COPYRIGHT , extrait 2

chachalou

Extrait d'un roman, hors norme :)

Alec m'entraîna dans la zone de tirs à blanc, là où jusqu'à lors, je n'avais connue que des échecs. La mine grave, il ramassa son gilet par balle et l'enfila, l'œil sévère et la rage au poignet. Je reculai. Un cliquetis, une posture... Et vif, il dégaina son arme. Une fois, deux fois. Ce geste répété en série laissa finalement place à de violents coups de feu tirés sur une palette de bois large clouée en fond de salle.

- Un bon tireur est réactif. La précision vient naturellement.

L'instructeur se retourna et me tendit l'arme.

- Tout sauf réactif.

Je pris le flingue et appuyai sur la détente.

- Oh merde.

J'avais criblé le mur d'impacts.

- La posture avant le tir. Fais des efforts, bordel.

Le reproche était sévère et le ton plutôt sec. Alec était intolérant et dans un monde plus dur, son intransigeance aurait rendu quiconque excellent. Dans ce terrible renouveau pourtant, alors qu'il aurait pût espérer bien mieux, les générations nouvelles ne cessaient de le décevoir : bien plus vulnérables, parfois trop fébriles, jamais dévouées... Il en était las et blessé, sans cesse confronté à sa droiture et ses exigences ficelées depuis des lustres. Je baissai l'arme. Inutile d'insister, il ne changerait pas ses méthodes pour me plaire.

- À voir ta tête, tu fais partie de ce lot majoritaire de susceptibles incapables. Ressaisi-toi. Porte tes valeurs et respecte-les : la quête du parfait, la hargne à l'effort et la sagesse au combat. Allez, recommence. C'est un ordre.

- Je suis épuisée, j'arrête. Si tu doutes de mon choix ou que tu t'y oppose, réfère-toi à cet homme sage qui me sauva la vie un jour d'horreur, juste après les attentats. Cet homme connaissait l'apaisement mieux que quiconque et respectait les failles béantes du corps humain... Chaque coup porté sur cette palette se soldera par un échec. Pourquoi poursuivre, Alec ? Je n'en ai plus la force.

- Et tu as raison, sourit-t-il. Je t'accorde une demi-heure de repos et pas une seconde de plus. J'apprécie au passage ton honnêteté et ce ton très direct. Je devrai passer une annonce : « Merci de me dire ce que vous ressentez lors des entraînements, histoire que je ne vous maltraite pas. » , signé Alec, instructeur bourreau, qui ne comprend jamais rien à rien.

Le malaise monta en flèche et Alec rit à gorge déployée.

- C'était de l'humour, cocotte ! Je plaisantai. Le break c'est pour les agents qui se donnent à fond pas pour les feignasses dans ton genre. Non ? Tu n'as pas l'air d'accord...

Je tordis du nez typiquement vexée - enragée même - et la journée passa ainsi, au rythme des divers ordres et exercices. La pause de midi ne dura qu'une maigre demi-heure, offrant tout de même à nos papilles assoiffées quelques gorgées d'eau tiède. Quant-au repas, il se résuma à une boîte de thon, deux ou trois barres de céréales et une pomme encore verte. C'était « amplement suffisant » d'après Jim, qui avait savouré un barbecue extérieur en compagnie des autres instructeurs. Le soir venu, il fallu regagner les vestiaires, des sortes de cages à poules mixtes trop nombreuses et séparées entre elles par des portes en métal blindées. Dans l'une d'elles, enfermée comme l'étaient mes coéquipiers, j'attendais que l'on vienne nous chercher. C'était petit. Ça puait le renfermé et la transpiration. Et pour couronner le tout bien entendu, nous n'avions reçus aucunes explications, ni consignes particulières. Je grommelai donc sans cesse, toujours en rogne contre Alec.

- Curieuse méthode, finit par lancer Tom.

Mais c'était l'heure d'une pause tardive prise par des instructeurs levés depuis l'aube et la journée était loin d'être terminée. Vincent se raidit, tourna en rond dans le vestiaire et s'assit trois fois sur différents sièges. Il avait d'ailleurs de ces airs de détresse et de stupeur qui vous laissait sans voix, et, même s'il n'y paraissait pas, qu'il était souvent anxieux, dépassé par les événements ou même tétanisé, il avait toujours de la suite dans les idées.

- Oui ! Lança-t-il tout émoustillé. Chacun des stages enseigne l'adaptation, l'innovation ou encore le talent, tout ces termes qui de près ou de loin reviennent à dire : sauver sa peau dans un contexte incertain et de dernière minute.

Vincent grimaça sur la fin et Camille dévissa le bouchon de sa gourde.

- Certes, conclut-elle. Il faut s'attendre au pire.

À ces mots, un rire résonna. C'était un rire grave, long et vibrant.

- Ce genre d'éclats de voix ne présage rien de bon, coupa Tom.

Car Alec ne riait que de l'horreur et c'était pour lui un véritable trait de caractère, une forme d'habitude malsaine mais terriblement spontanée, un fait qu'il ne pouvait vraisemblablement jamais contrôler. C'était sa voix que l'on entendait au dehors, sa présence que je devinai, son amusement qui débordait par tout côté, allant jusqu'à contaminer cet air sec, étouffant et l'atmosphère environnante. Il préparait un sale coup. Un de plus qu'il ajouterait à son incroyable palmarès d'Emmerdeur. 

- Lacrymogène ! S'exclama Camille. Le gaz se répand !

La belle brune bondit de son assise, direction la sortie restée close et se colla à la porte en espérant peut-être un miracle, parce qu'Alec, dans ses pulsions surprenantes de dernières minutes aurait très bien pût regretter son geste et ouvrir la porte en s'excusant platement, gros câlins à l'appui. Aujourd'hui pourtant, l'instructeur ficelé par son rôle paraissait bien déterminé et ne changerait pas d'avis.

- Bon. On a dix minutes si on se protège correctement. Mettez des vêtements épais sur votre visage, protégez vos yeux et évitez au maximum le nuage de fumée. Je m'occupe du reste.

La bombe lacrymogène trônait au centre du vestiaire et libérait son poison à haute dose. Tom jeta ses affaires en tas par dessus pour retarder l'asphyxie générale et Camille sortit un pied de biche de son paquetage. Elle tenta de forcer la porte blindée à trois ou quatre reprises, sans même réfléchir. Elle était acharnée à la tâche et terriblement anxieuse, ce qui avait pour conséquence de gaspiller une importante quantité d'oxygène.

- Tiens, très curieux, commenta Vincent. En principe ces matériaux ne sont fournis qu'en cas de missions extérieures périlleuses parce qu'en général, c'est là que les ennuis commencent... Je parle du pied de biche, hein. Mais bien entendu, vous ne m'écoutez pas.

- Garde ton oxygène, crétin. Réfléchissez un peu ! Par où cette merde est entrée ?

Vincent me fixa mal à son aise et désigna le plafond, comme une évidence.

- Tu sers vraiment à rien, toi, coupai-je lassée.

Tom leva la tête dans le brouillard dense puis toussota. Effectivement, là haut et sur le côté droit, dans un recoin poussiéreux tissé de toiles d'araignées, il semblait y avoir une trappe. Il pointa la zone de son indexe.

- La bombe lacrymogène a été balancé de là avant de rouler au centre. Allez, on s'active.

Après une courte échelle, Tom peina avec le mécanisme, manqua de s'étaler au sol et fit sauter la sécurité en lâchant un glacial soupire. L'air s'engouffra dans le vestiaire confiné et dans un nuage de fumée grise, Tom hissa Camille sur le toit, aida Vincent rendu hagard par les gaz et me tendit ses mains. Elles étaient chaudes et douces, de vraies poignes de fer dans des gants de velours.

- Les tôles sont glissantes ! M'écriai-je dans les vents.

Bien que déstabilisés, nous progressâmes jusqu'à la tranche où je repris mes esprits, à califourchon et lasse, quelque peu frigorifiée. Dans mon dos, Vincent toussait toujours et au devant, en bonne leader improvisée et chef de file, Camille ne disait mots, sûrement tétanisée par la hauteur. Je réglai les lanières de mon sac commando. Mes doigts engourdis par le froid devenaient peu à peu blancs et le danger s'intensifiait davantage à chaque instants passés dans l'inertie. Vincent s'énerva en premier.

- Et maintenant, que fait-on ? Une idée ? Parce qu'honnêtement, je me gèle ! Le fait d'être immobiles dans ce froid et à cette hauteur nous expose à de réels dangers : hypothermie, engelures... Je ne sais pas vous. Moi, je m'en passerai. 


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