COPYRIGHT . Extrait d'un roman. hors norme !

chachalou

Extrait d'un roman d'AVENTURE et pas de SF ( j'insiste) contexte : 2038, attentas, guerres, informatiques.

Je m'aperçus alors que Vincent saignait abondamment de la tête. Son front ouvert sur le haut laissait s'échapper un filet de sang épais et je déchirai mon maillot sur le bas pour enlacer doucement la blessure. Le malheureux m'adressa un regard on ne peut plus plaintif et ainsi, pâle comme un mort et recouvert de terre, avec ses lèvres tremblantes, on aurait dit un guerrier éprouvé par l'effort, les cavales incessantes et les esquives de terrains minés. Cependant, je n'avais aucune compassion. Vincent passait le tiers de l'année convalescent, esquivait des tas d'épreuves sportives et se faisait très mal voir de la plus part des instructeurs. Se blesser, c'était devenu son habitude la plus maladive et personne n'aurait osé la lui reprocher tant il était gauche et malchanceux.

- La plaie s'infectera si je ne reçois pas de traitements adéquats. Est-t-il envisageable de rebrousser chemin afin que je puisse être convenablement soigné ?

- Belle demande, bien formulée. Il en est hors de question.

Abandonner pour cause de blessure gâcherait à coup sûr notre avenir au sein de la base et je n'étais pas en mesure de faire un tel sacrifice. Par ailleurs, cette décision d'apparence irresponsable rendrait service à Vincent car même s'il était grincheux, qu'il râlait sans cesse et n'avait jamais les bonnes approches, il voulait réussir. Son désir était palpable et sa rébellion très proche. Vincent prouverait bientôt que oui, il en était capable.

- Je vais dépasser toutes tes attentes en matière de coaching.

- Je n'ai pas, je crois, réclamé que l'on s'occupe personnellement de mon cas.

- … C'était de l'humour, repris-je froidement. Je perds toutes possibilités d'évolution de carrière au sein du mouvement Incognitos si tu abandonnes. Je ne coulerai pas avec toi. On commence le coaching par les ordres : je commande, tu m'obéis. Peut-être qu'ainsi tu comprendras ce qu'est la notion d'entraide sportive. On lève le camp dans dix minutes. Point final.

Se disant, je posai ma veste à terre et fouillai dans nos provisions. J'y trouvai une barre chocolatée aux éclats de noisettes. C'était la gamme préférée de Vincent et je l'a lui tendis en silence.

- Vincent. Tu es capable d'aller très loin mais tu baisses encore les bras aux premières contrariétés, aux premières difficultés. Rien ne semble réellement te pousser au devant de tes frayeurs. Tu n'as pas d'envies, guère de courage et aucun objectif. En somme, que fais-tu là ? Sois franc, lâche le morceau ! Qu'est-ce qui t'empêche d'avancer. Pourquoi ne crois-tu pas en toi. Je ne veux pas d'un récital de poésie ou d'une citation philosophique à propos de la vie. Je veux la vérité, en deux ou trois mots.

Le concerné croqua dans sa barre chocolatée et me regarda platement.

- Je ne trouve pas l'origine du dysfonctionnement mais je reste compréhensif. J'entends bien que tu veuilles poursuivre ta route seule. Alors fais-donc. J'aurais l'occasion de frapper à quelques portes d'ici deux ou trois heures et réclamer l'hospitalité.

Je baissai les bras, dépitée.

- En admettant que tu ne tombes pas d'inanition avant, tu as la tête d'un mort vivant ! Et puis tu sais... Ça ne marche pas comme ça. L'épreuve est là pour solidifier nos rapports humains. Ce n'est pas un challenge en solo, c'est une course par binômes.

Le garçon hocha douloureusement la tête et grignota sa barre chocolatée. Dans mon estomac creux, la faim ne s'était pas encore déclarée et mon ventre quémandait bien plus de répit que de nourritures. Pour faire court, j'étais crevée et mes muscles, las de trop d'efforts. Je me levai donc au hasard d'un murmure entendu, tout près des ronces enchevêtrées. C'était discret, le bruit que faisait les feuilles tremblantes sur le sommet des gros arbres touffus. Étrange, même. Le côté sinistre s'amplifiait à chaque rafale et j'enjambai quelques branches mortes avant de rejoindre le pied mousseux d'un vieil arbre. Mes jambes contre les herbes sauvages, légèrement penchée en avant, je défis ma ceinture. Les toilettes ne faisaient jamais partis du programme et de ce côté là, j'étais une vraie trouillarde. Les insectes. La solitude d'un moment. Le côté pratique bien entendu. Et le froid. Ce froid mordant qui coupait mes jambes à nues. Je retins mon souffle quelques instants puis tournai la tête. Mon regard tomba soudainement.

- Bordel de m... entamai-je à la vue d'une araignée noir et rouge.

La bestiole patientait immobile au bas de ma basket, gesticulant lentement sur ses pattes fines. Tétanisée, je n'osai pas bouger et scrutai attentivement mon mollet droit. Il n'y avait pas de marques particulières et je me redressai avec grande prudence.

- C'est psychologique, me répétai-je à voix basse. C'est psychologique... Les veuves noires ne survivent plus depuis vingt ans dans cette zone... Il y fait bien trop froid. Alors c'est sûrement sa cousine. Ou peut-être sa nièce. Qui sait sinon, sa sœur jumelle. Elle lui ressemble quand même vachement... Et purée. En faite, je suis dans la merde.

Je baissai une nouvelle fois les yeux. L'araignée campait sur sa position.

- Prévenir Vincent, c'est une mauvaise idée.

Le garçon rappliquerait paniqué et tenterait tout pour me sortir de ce faux pas : frapper la bestiole avec des branches, crier en espérant qu'elle prenne peur, arroser mes jambes de flotte, se terrer seul et replié dans un coin en attendant l'aube de jours meilleurs... Bref, dans le meilleur des cas, Vincent prendrait ses jambes à son cou et augmenterait ainsi mes chances de survie. Patiemment, je posai mes mains sur les hanches et récitai l'alphabet en trois langues, à l'envers comme à l'endroit, avec des sauts de lettres pour le dernier niveau, probablement le plus évolué. Chaque minute passée, d'une éternité fatale, me rappelait à cette situation délicate : le moindre mouvement précipité me coûterait la vie. Je patientai donc longuement, tristement et sans certitude aucune, jusqu'à ce que la bestiole regagne la terre ferme et cavale vers d'autres horizons. Là seulement, je pu me revêtir et le fis sans tarder, tremblante et vraisemblablement sous le choc. Mes jambes fourmillaient, je mourrai de chaud et cette question d'importance me hantait. Avais-je était mordue ? La peur m'aurait bien faite imaginer n'importe quoi ! Au final, je n'aurais su dire si la mort se répandait dans mes veines mais il était temps de passer outre car la prétendante au poste d'injection ne relevait pas de mon intérêt le plus grand. L'arachnologie n'avait jamais été une passion.

- Ne pas faire attendre Vincent.

J'ai soufflé ça à voix basse, la bouche blanche et bien tremblante. J'ai l'air d'un cadavre à peine ressuscité : pâle comme jamais et le corps complètement frigorifié. L'oxygène me manque et ma tête tourne. Je presse le pas et me hâte. Dans la forêt, le brouillard bas floute le sol et les vents pénètrent par les cimes, soufflant toujours plus intensément ma tignasse. Je progresse dans les ombres que je dessine en marchant, l'esprit vide de questions et la garde baissée. Ce défaut de vigilance me coûte. Un coup de poing heurte mon crâne, la douleur ne sévit pas et je m'écroule, fatalement inconsciente.

Trois jours, c'est rien. Mais c'est pourtant trois jours de trop. Trois fois vingt-quatre heures durant lesquels je subis inconsciente, toutes ces formes et tout ces contours - des ombres sans silhouettes - qui se succèdent dans un silence pesant et forcé. Le temps suspendu retient l'ensemble des cris que je veux gueuler et le tout reste savamment cadenassé. L'inertie est longue, le désespoir profond et mon gosier réclame son eau. Je rouvre les yeux et hurle, en premier lieu. Puis observe le monde, en second. Le spectacle est désastreux : des plafonds noirs de moisissures et des portes rouillées, des planches de bois qui soutiennent mon dos et m'isolent de l'humidité, des dizaines d'araignées qui cavalent sur mon corps empaqueté de vêtements crades et ce typique lacet de cuir, qui entrave ma bouche et coupe les commissures de mes lèvres violacées. Une lampe s'éclaire dans un couloir proche, une porte grince et je cligne des yeux.

- Que de voyage en une seule nuit !

Je ne relève pas la plaisanterie et laisse cet homme me mettre debout, debout sur ces jambes frêles dont les genoux se touchent en tremblant. On tire mes cheveux en arrière, on dépose un goulot de verre contre mes dents serrées et ma langue coincée entre les filets parfumés de whisky délecte amèrement les gouttes absorbées, bues ou feintes. Mes paupières se ferment. Et c'est toujours le même écœurement.

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