Critique Voyage au bout de la nuit, Louis Ferdinand Celine.
Boris Adelski
Voyage au bout de la nuit, quand la littérature vous transforme
Il y a un avant, et un après Voyage au bout de la nuit
Une lecture honnête et sensible du roman de Céline ne peut pas laisser indifférent. La perception de la société, de l'homme, est durablement modifiée par la découverte du livre.
Le délitement progressif
Au début du roman, l'auteur entame cette couche d'être sociable, éclairé et civilisé qui constitue la cape du cigare humain. Au-fur et à mesure du roman, il attaque la couche inférieure, puis la tripe, pour ne laisser qu'une vague ossature, à l'équilibre fragile, vouée à retourner à la poussière dont elle est issue. Les restes de chair constituent crument le met fétiche des vers-de-terre. Sous nos yeux se déroule le délitement progressif et inéluctable de Bardamu, médecin de son état, et être pourtant inséré dans la dimension sociale des choses.
La lucidité crue, une souffrance de chaque instant
Progressivement, à force de tailler dans les chairs, de réparer, d'écouter les maux réels et imaginaires de ses contemporains, le médecin va recouvrer une lucidité féroce et totale concernant la condition de l'être humain. Il perd d'abord cette distanciation toute médicale, puis cette capacité salvatrice au refoulement, et enfin toute possibilité de résilience. La dépression la plus sévère résulte de cette objectivité totale et sans concessions. Bientôt, il ne reste plus que le squelette de Bardamu, le squelette de la condition humaine, débarrassé de tous ses oripeaux sociaux et uniquement habillé de son immense inutilité, de sa totale fragilité.
Âmes sensibles, passez votre chemin
Attention, cet ouvrage mériterait le tampon "Explicit Lyrics" sur la première de couverture. Une mise en garde pour que les lecteurs potentiels traversant une petite crise de moins-bien remettent la découverte à plus tard. Le livre fait l'effet d'une dose d'acide sulfurique sur un matériel humain. Il fait fondre les couches, et place chacun face à son miroir de manière violente, sans concessions, brutalement. Le style, superbe, épuré, clinique, y contribue. Un ouvrage majeur, mais une lecture après laquelle il est difficile de briguer toute promotion, de nourrir toute ambition, de se montrer optimiste et constructif, tant votre propre condition vous semble totalement vaine et les artefacts sociaux totalement artificiels.