CURRICULUM VITAE

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Voyage autour de la terre.


— S'il vous plaît, décrivez-moi votre parcours professionnel, vos qualités et vos défauts ?


— Je ne suis qu'un esprit simple, un esprit entier, franc, rond comme une noix commune, sans méchanceté, sans vice et sans violence. J'ai dessiné quelques arabesques sur la table en verre, j'ai roulé et puis je suis tombé parterre. Mes entrailles séchaient au plein soleil. Une balayeuse s'est penchée au-dessus de moi, elle a poussé mes coquilles dans sa pelle et m'a jeté dans un large sac en plastique noir. J'ai fait un petit tour en camion et j'ai volé avec le sac dans une décharge. Un rat a déchiré mon sac de ses griffes et de ses dents et il est parvenu ainsi à me saisir et me sortir de cette puanteur obscure. Il s'est payé en récompense de ma pauvre cervelle. Je n'ai plus qu'une once de mémoire pour traiter du passé. Mon enveloppe est restée derrière ce rat bleu aux yeux noirs et lui s'en est retourné à ses occupations dans la décharge. La pluie m'a aidé à remonter le courant : une flaque, puis un ruisseau, puis la rivière et un fleuve dont j'ignore encore le nom. Je suis tombé dans la mer, j'ai flotté courageusement jusqu'à une terre d'ocre rouge mais il continuait de pleuvoir et toute ma coque prenait l'eau. Je me suis retrouvé jeté sur le sable. Un pêcheur passait de bon matin ramasser des coques, il m'a pris avec, dans son panier de crabes. Je suis rentré chez lui, il m'a déposé sur la table avec les autres et finalement il m'a jeté par la fenêtre de sa cuisine dans le grand jardin lumineux. Je suis tombé à l'envers sur un haut tas de terreau mêlé d'algues. Le pêcheur a vendu le tout à un agriculteur qui habitait dans le haut pays. L'agriculteur bien avancé en âge et sans y voir mal, a fini par marcher sur ma tête avec ses bottes de champs vertes. Juste un craquement sourd pour me retrouver en plus petits, tout petits morceaux. Avec sa fourche le paysan m'a doucement mêlé au tas et versé dans une grande cuve. Ensuite sa machine tentaculaires m'a pulvérisé sur l'une de ses terres balayée par les vents. Je me suis dispersé aux quatre coins de cette belle terre riche et profonde. Bizarrement je pouvais encore sentir qui j'étais dans chaque parcelle de moi qui ne pouvait plus s'unir. Des arbres alors se sont mis à pousser dans ces fragments de mon cœur et je me trouvais à l'intérieur d'eux tous. J'étais noyé depuis déjà bien des années mais je continuais de respirer à travers les feuilles vertes, mon corps réchauffé par les rayons du soleil tendre qui rend le monde si jaune.

— Alors vous êtes un véritable noyer ?

— Oui monsieur un vrai noyer, franc, entier, sans méchanceté, sans vice et sans violence, pour vous servir.


Le Gallicaire Fantaisiste

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