Dans l’air du temps…

Jean Marc Kerviche

Un aparté impromptu...


            Au coin de deux rues, sous l'auvent d'un café désaffecté, trône un canapé rouge défoncé. Il obstrue complètement la porte d'entrée. Deux barbus l'occupent. D'aspect repoussant, les cheveux en bataille, sales et hirsutes, ils invectivent les ombres qui passent en leur quémandant une pièce à chacune de leur apparition. Ils les invitent à laisser leur obole dans une sébile posée judicieusement sur un tabouret non loin d'eux, obligeant les donateurs à un détour.

            L'un est jeune et blond, l'autre, vieux et plutôt gris. En permanence à l'écoute de chaque pièce qui tombe, le jeune lance à son voisin : 

            - Eh bé ! Sont pas généreux aujourd'hui !

            - Y a peut-être de quoi s'acheter une bière ! répond l'autre.

            - Faut compter !

            - Compte !

            Le blond se lève mollement, va jusqu'à la sébile afin d'estimer les quelques centimes déposés, et lance :

            - Y a pas assez !

            Dépité, il revient à la place qu'il occupait, se rassied et se tournant vers le vieux, il lui lâche :

            -  Dis, je peux te poser une question ?

            -  Pose toujours !

- T'avais un chez toi avant ?

            - Oui !

            - T'avais une femme ?

            - Oui !

            - T'avais un travail ?

            - Oui !

            - Moi je peux comprendre pourquoi je suis là, j'avais rien, mais toi, pour en être arrivé là, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

            - C'est simple, dans l'ordre j'ai perdu mon boulot, ma femme, mon appart !

            - Non !... Et alors ?

            - Alors je suis allé dans un squat, et là, royal, la liberté totale, la tranquillité, plus de souci, le juste nécessaire, besoin de rien, les restos du cœur de temps en temps, le RMI… et puis je ne sais pas ce qui s'est passé, j'ai perdu mon argent, je me suis fait voler le peu que j'avais, et l'alcool aidant, je me suis fait virer du squat pour une histoire de coucherie !

            - Et après ?

            - Et après ! Après, je suis devenu clodo !

  • Triste descente en enfer...il en faut peu pour basculer...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Ils sont tous les jours au carrefour et je tombe dessus à chaque fois que je sors.
      Que peuvent-ils se dire à part évoquer leurs vies d'avant. L'avenir, ils n'en ont point quand le présent se résume à compter les miettes du ruissellement promis par nos énarques...

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

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