De bonnes pâtes

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Haute-Rivoire est située dans les monts du Lyonnais. Les Taravouériens – présentement, ce ne sont pas des Rivoiriens – sont fiers de leur commune. En effet, Rivoire est carrée. Dans ses ruelles et ses maisons à l'architecture modern style, vous ne rencontrerez pas de nouilles. Tout le monde est à l'ouvrage, toujours de bonne humeur : ce sont de bonnes pâtes et ils ne sont jamais à la penne.

Cependant, leur patience a des limites. Évitez de trop leur casser les œufs ; ils pourraient se brouiller. À vrai dire, ils sont devenus méfiants à l'égard des allogènes depuis une sale affaire de ravioles au lit. La femme du boulanger fut surprise en présence d'un pizzaiolo à jouer avec sa tagliatelle al dente alors qu'il lui caressait ses cheveux d'ange et qu'il lui pétrissait les miches. Il fut à deux doigts d'être fait fusilli. En guise de représailles, on se contenta de le rouler dans la farine, jugeant qu'il s'était suffisamment mis dans le pétrin.

L'histoire a également retenu l'ergot de seigle qui ravageât le bourg durant l'été 1951. Des dizaines d'habitants furent saisis d'hallucinations. Il se dit que la population du bourg voisin de Bellegarde-en-Forez, spécialisée dans une production de châtaignes déclinante et jalouse du succès des exploitations locales et de leurs champs de froment, remplaça la levure par ce champignon hallucinogène. On les surnomma les céréales killers.

Le jour de la fête du village, vous pourrez y danser la macaroni ou vous y initier au western spaghetti. Pas d'inquiétude : en guise d'hémoglobine, vous ne serez taché que par de la sauce bolognaise. Pour les plus jeunes, en plus du traditionnel mât de cocagne pour y décrocher un paquet de vermicelle alphabet, ils pourront s'adonner à la pêche aux cannellonis.

Haute-Rivoire est jumelée avec la cité suisse de Gruyères. Quand les deux localités se réunissent, l'ambiance se fait urbaine. Dans la salle communale, les adolescents se réunissent pour une battle des meilleurs chanteurs de rap. Par tradition, à la fin de la compétition de hip-hop, les vainqueurs, bien qu'essorés, sont heureux de se voir offrir une passoire. Pour célébrer les retrouvailles, on fait le tour du bled en meule jusqu'au silo à grains. On boit de l'alcool, souvent de la vodka. Un peu bourrés, ils échangent leurs aspirations, souvent des rêves de blé. On se fait amis, donc. Quelquefois, l'ivresse aidant, on se colle des pains.

 

Quant aux anciens, il se font plus coulants et préfèrent cuisiner les lardons pour s'assurer de leur caractère onctueux. Ils sont gentils ces enfants. On peut même affirmer que c'est la crème de la crème. Ils sont si touchants par la fraîcheur de leur jeunesse.

 

Quand l'hiver approche, on se recroqueville autour du feu. On s'y raconte des histoires. La plus populaire est celle du colonel Carbonara, un héros garibaldien qui trouva refuge en France et finit par échouer dans la paroisse. Fin cuisinier, il se fit un plaisir de partager ses spécialités. C'est ainsi que rapidement, tout le monde se mit à préparer des linguines à la toscane, des farfalles au jambon et même des gratins de crozet.

À la fin du repas, on aime se raconter des salades. Rien de tel qu'une frisée ou qu'une laitue pour digérer un plat roboratif. Dans le patois du sud du Beaujolais, on dit que l'on a le fécu lent quand la digestion se fait difficile.

Au-delà du canton de Fribourg ou de l'Italie, une autre patrie leur est chère. C'est l'Ukraine. Ici, les parcelles sont rabougries. Quand elles atteignent quinze hectares, on est déjà sur des terrains de grande importance. Autant dire que les plaines d'Europe centrale sont de l'ordre de la fantasmagorie, au même titre que la fable de la mère Lustucru que l'on raconte aux bambins.

Un jour, on a appris que les terres tchernozem étaient ravagées par la guerre. Les Taravouériens sont de braves gens, carrés et bonnes pâtes. Ils ont été les premiers à accueillir leurs frères.

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