De l'amour

Susanne Derève



En fallait-il  assez pour voir

lever les aubes

pour y sentir perler la rosée du matin

et sur la mer   cueillir ce rayon incertain

qui vient défaire la brume 

aux premières aurores

 

Aveugle  est-on sans lui

avec des yeux qui ne savent plus

voir            saisir

le doux reflet du monde  

 

On a perdu ce pas étincelant

qui nous poussait au long des rives

à guetter le ciel

son moindre éclat sur l'eau

on marche droit

on n'enjambe plus les herbes hautes

ou les fossés pour y guetter l'oiseau

 

Lève-t-on même les yeux

pour glaner les fruits murs

et quand fulgurent les premiers éclats

du printemps

va-t-on chercher encore aux crocus

les premières étamines de safran

sous les feuilles sèches

de l'hiver moribond

 

aveugle et sourd   est-on

 

L'ai-je su  s'il avait fui

par les fenêtres

par les interstices du jour

ou par les pores de la nuit

une nuit ronde épaisse

où flottait sans un bruit

une entêtante odeur

d'humus  et d'averse 

 

et sans doute n'était-ce pas tout à fait

le silence

ou bien un silence si lourd

qu'il sonnait le glas

de l'amour

comme il faut bien un jour mettre fin

à l'enfance

pour y rejoindre un monde

aveugle et sourd

rongé d'absence




Illustration : Eugène Boudin - Nuages blancs ciel bleu

 

 

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