Débordée

nat28

Projet Bradbury - Semaine 13

            Je n'y arrive pas. Je n'y arrive plus. J'ai essayé. Tout essayé. Ca marche pas. Je fais tout pour. Mais je n'ai pas le temps.  

 

            Pas le temps, pas le temps, pas le temps.

 

            Pas le temps pour aller faire du sport. Pas le temps pour cuisiner de bons petits plats équilibrés. Pas le temps de me faire belle tous les jours pour mon homme. Pas le temps de mettre un sérum ET une crème. Pas le temps de lire. Pas le temps de sortir. Pas le temps d'aller me cultiver. Pas le temps de prendre le temps.

 

            Je cours tout le temps. Pour emmener les enfants à l'école, pour aller les récupérer, pour les habiller, les laver, les faire manger, les aider avec les devoirs... Depuis combien de temps n'ai-je pas pris un instant pour les regarder ? Juste les regarder ? Pour jouer avec eux ? Ils ont l'air tellement grands ! Ils ont leur vie, des secrets avec les copains, leurs codes... Je n'y comprends rien.

 

            Pas le temps de m'y intéresser. Pas le temps d'intégrer tout ça.

 

            Je fais les courses sur Internet, entre deux coups de fil au travail, j'oublie la moitié des choses la plupart du temps, alors je dois recommencer le lendemain, faire avec ce qui reste à la maison, stocker des rouleaux et des rouleaux de papier toilette pour ne jamais en manquer. Le papier toilette occupe toutes mes pensées !

 

            Pas le temps de faire une liste.

 

            J'ai l'impression de n'être qu'une visiteuse dans ma propre maison, je ne prends pas le temps d'apprécier mon salon orienté plein sud, la décoration faite avec amour par mon homme, la grande cuisine, la baignoire...

 

            J'étais si contente d'avoir une baignoire ! En visitant la maison, la première fois, je me suis imaginée dans un bain plein de bulles, avec un magazine, et du temps pour moi... Je ne l'ai jamais fait. La baignoire ne sert qu'à doucher les enfants et à stocker le linge sale.

 

            Pourquoi je n'ai pas le temps ? Pourquoi ? Je fais des listes, je m'organise, je fais tout pour gagner du temps... Je prends des nouvelles de mes amis sur Facebook, dans les transports en commun, je m'informe en laissant BFM TV en fond sonore quand les enfants sont couchés, je me suis débarrassée du superflu, à la japonaise, j'ai même cédé aux sirènes des entreprises de services à domicile qui m'envoient une femme de ménage tous les lundis soirs.

 

            Et pourtant... pas le temps.

 

            Ce qui me ronge, c'est cette impression de n'avoir rien fait à la fin de la journée, comme si les heures défilaient à toutes vitesse sans que j'ai de prise sur elles. Je lutte contre le temps, je ne réfléchis plus, je fais tout en automatique, au travail, à la maison... au lit, aussi.

 

            Le plus grave, c'est que j'ai l'impression que tout le monde autour de moi est aussi comme ça. Que personne ne s'en rend compte. Ou ne se rebelle contre cette fuite du temps. Suis-je la seule à être victime de cette course infernale ?

 

            Je voudrais prendre mon temps, de temps en temps. Mais j'ai peur. peur que tout s'écroule, que ma routine explose en mille morceaux si jamais j'ose dévier d'un millimètre de mon parcours quotidien. Que deviendrait ma famille, si je baissais les bras ? Que deviendraient mes enfants si je me posais dans le canapé au lieu de m'occuper d'eux ? Et mon homme est incapable de faire cuire un œuf.

 

            Comment avoir plus de temps ?

 

            J'ai déjà rogné sur tout, mon bien-être, mon sommeil, mes interactions sociales... Et quand je prends un jour de congé pour essayer de tout arranger et de faire ce que je n'ai jamais le temps de faire... C'est encore pire ! La journée file encore plus vite et je maudis ma fainéantise en allant me coucher.

 

            Il n'y a qu'un moyen de gagner contre le temps, c'est l'arrêter. C'est m'arrêter. Définitivement. Etre égoïste, juste un instant.

 

            Je dois trouver un moyen. Pas douloureux, pas violent. Il faudrait que je cherche... mais je n'ai pas le temps.

 

            "Maman" !

 

            Ma fille, affolée, qui m'appelle depuis la salle de bain. Je lâche ma casserole et je me précipite à son secours.

 

            "Maman, ça coule !"

 

            La baignoire. J'avais commencé à la remplir avant d'aller dans la cuisine. Et je l'ai oublié.

 

            Elle a débordée.  

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