Déchéance

chachalou

"La chute prend parfois du temps, elle est programmée et bien trop préméditée. La vie est une garce"

La gamine est née le 30 Octobre à Lyon, l'année 1995. Elle est blonde, les yeux bleus gris et les cheveux terriblement bouclés. Les passants se retournent sur elle et demandent constamment à la mère de l'enfant, si elle a osé lui poser des bigoudis, ou si cela est naturel. Style ancien, tête d'Ange et d'une grande pureté ou joie de vivre, elle prend déjà la pose et charme tout les adultes. Elle est Belle, c'est vrai. On l'a prend pour l'incarnation même d'une beauté vague, qui représenterait les enfants de son âge. La peau laiteuse, des tâches de rousseurs, cet air charmeur, romantique ou absent et ses mimiques. Des mimiques de chipie, de petite enfant moqueuse et en mal d'être aimée. Chipote par ci, chipote par là. Ne peut pas dormir sans sa maison, son lit, ses peluches et son petit quotidien pépère. Inadaptable et capricieuse, chochotte effrayée à la vue de la moindre petite araignée... Elle fait bien rire son entourage. 

" Tu as peur ? Mais de quoi ?" Elle rigole mais ne le sait pas encore. Elle a peur de tout. Du Monde, de la Vie, de la Mort et de l'Abandon. D'ailleurs, si elle cherche bien, sous son petit masque d'enfant joyeuse, se cache déjà bien des tourments. Abandon paternel, reconnaissance hâtive d'un homme dont elle portera le nom au moins le tiers de sa vie, amour qu'on lui offre, constant ou en dents de scie. La Gamine se tait mais ressent tout ceci. Elle dévisage donc le Monde et les nuages, les avions qui passent et rigole aux éclats, surprenant toujours autant. 

" Pourquoi rit-elle ? Rien n'est marrant." Mais elle rit du Monde et de sa connerie. Elle rit de son histoire, de son passé et de ses origines. Elle rit parce qu'il n'y a chez elle, rien de plus naturel que cela. Prendre de la hauteur, se faire aimer, charmer et charmer encore, à n'en plus pouvoir sourire... Parce qu'elle veut qu'on l'aime. Parce qu'elle ne veut plus être abandonnée, délaissée. Parce qu'elle veut prouver et du haut de ses toutes petites années, que Oui, elle vaut la peine d'être aimée. 

Mais les événements se déroulent plus tragiquement que prévu. En grandissant, on lui offre un petit frère dont au départ, elle ne sait que faire. Que veut-t-il, qui est-t-il. Que va-t-elle lui apprendre ? D'autorité, gamine solide et qui se veut forte, lui inculque rapidement les mathématiques et le français. Il saute une classe, il aime apprendre, il aime jouer des lettres et des chiffres. Petit dernier, fils-fils à maman et à papa, la Gamine s'en lasse parfois... Il n'assume rien et n'encaisse pas, constamment dans les jupons de maman, pour tout rapporter, tout décréter et prouver à sa soeur aîné, qu'il a raison. 

Elle est conciliante. Elle dit "oui, oui" et pense sauvagement "mais quel crétin ce petit". Elle hoche la tête, elle le prend dans ses bras, elle se rappelle lui avoir donné son repas plusieurs fois et lui avoir apprit des tas de choses. Elle le trouve mignon, au final. Il est si fragile, si susceptible, si perdu parfois, qu'elle se sent en devoir d'enrayer cela. Elle tue la Peur en lui et tue la Crainte dans ses pas. Elle le gonfle de confiance et lui offre toute sa reconnaissance. Qu'il est doué, ce marmot. Qu'il a du talent. Quelle intelligence mature, sous ses airs perspicaces et innocents. Elle l'aime à la folie et lui trouve des tas de qualités. Elle pense avant tout à lui, s'oubliant parfois, à chaque journée. 

Lorsqu'elle va quelque part, elle lui écrit une carte postale en premier, lui téléphone ou lui ramène un souvenir, des jouets, des accessoires de mode ou de quoi décorer sa chambre. Oui, il est gâté. Ses parents le lui disent souvent, à Elle. " Tu n'as déjà pas grand chose, cesse de tout céder à ton frère". Mais la Gamine a grandit et comprit que ce qu'elle avait de plus cher au Monde, ce n'était pas son père absent, ni sa mère moralisatrice. Son petit frère était sa raison de vivre. Elle était en vie pour lui. On l'avait abandonnée très tôt pour qu'au final, lui seul en trouve le bénéfice. Et cette Chance-là, elle ne saurait l'en priver. 

Alors, souvent, elle le regardait manger, jouer, s'amuser. Elle allait le chercher à la sortie de l'école et le regardait courir sur le chemin du retour, ayant comme toujours oublié son cartable dans l'établissement. S'il avait pût y passer la nuit, les vacances et toutes ses journées, il l'aurait fait. Tête en l'air, écervelé, il n'omettait jamais qu'une seule chose, se marrer. Il ne riait pas et ne jouait jamais vraiment. Trop scolaire, trop sérieux, petit prodige aux yeux marrons sombres et à la gueule un peu fatigué.. il était né las et lassé de ce monde, pessimiste au plus haut point et sans envies réelles. Mort-né ou trop vivant, justement, criant à la Vie, à la Mort, à la Perte en elle-même qu'il ne connaissait pas le sens de son existence. 

Mais sa Grande soeur, Dieu qu'il l'aimait. Toutes ses pensées et toutes ses journées lui étaient réservées. Il parlait d'elle à ses copains, à ses copines et racontait combien elle était grande et belle à ses yeux. Elle savait tout faire, ou presque. Elle était parfaite et s'il avait bien une seule idée de la Perfection, c'était Elle, sa grande soeur. 

Et le père est tombé gravement malade et la Gamine d'adulte à dût supporter le poids de la morosité et de la maladie. Elle a tout fait, s'oubliant davantage, pour épargner à son petit frère ces angoisses-là, multiples et sournoises. Elle devenait plus exigeante, plus dure, plus froide, sans compromis et sans retour en arrière, jamais. Une décision qu'elle prenait était toujours appliquée. Un ordre donné était toujours exécuté. Et cette mentalité tyrannique faisait naître la droiture dans le coeur et dans l'âme d'un petit frère lentement explosé par la vie. Elle le rassurait lorsqu'il pleurait. Elle l'engueulait lorsqu'il baissait les bras. Elle le tenait. Elle le tirait vers le haut tant bien que mal. Elle puisait dans sa force et ses ressources personnelles pour sauver à tout prix et coûte que coûte ce jeune marmot. 

Marmot qui piaille, se croit Grand sans l'être et reste Petit en étant Grand. Gamin de son sang, de sa chaire pour partie, qu'elle prend à partie comme s'il avait été son enfant. Elle n'est pas sa mère mais suppléer le rôle parental pour quelques années rudes et d'enfer, quand dans le soir tard, elle songe encore à l'avenir et tout ce qu'eux deux pourront faire. Elle l'emmènera à Disney Land et ils profiteront de leur vie tout les deux. Elle l'emmènera au ski dans les montagne et elle verra son sourire sur ses lèvres. Elle lui fera découvrir les bars et restaurants et elle attends déjà avec impatience ses dix-huit ans. 

Elle le veut petit parfois et si grand, déjà. Elle veut lui offrir des vêtements d'adultes et des beaux T-shirts, elle veut lui payer un verre à boire et aller grimper avec lui. Elle veut le porter au devant de ses capacités et lui dire que même s'il change et devient très différent, qu'importe, il restera son petit frère chéri à jamais.

Et dans le soir tard, le terrible constat qu'elle fait est bien celui-là. Qui est-t-elle sinon une grande soeur dévouée et uniquement ? Quel est son rôle, mise à part tenir un jeune garçon par les mains et lui montrer le chemin ? 

Elle s'oublie dans le rôle qui lui incombe. Elle ne sait plus ce qu'elle veut mais reconnait ce qu'il désire. Elle ne comprend plus ses choix et se reporte sur les siens. Il veut aller jouer dehors, allons-y. Il veut lire des histoires, faisons-le. Il désire plus que tout jouer au tennis, pourquoi pas... Elle est toujours partante pour lui. Même blessée, même cassée, même fracassée, pour son petit frère, elle aurait enterrée toute sa peine. 

La gamine est presque adulte et se jette dans le Sport en simple solution de survie. Deux ans de club, deux ans d'athlétisme seulement et voilà les France qui lui tendent les bras. Elle hésite, elle se perd. Tout cela va trop vite pour elle qui n'y est pas préparée, pas habituée à gagner, peu confiante quant à ses capacités. Elle décide de tout lâcher, sur une blessure ou un coup de tête, qu'importe... Puisque les ras-le-bol amènent toujours à cela : lâcher à tout prix, peu importe les solutions et les moyens établis.  

Puis elle part. Elle fait sa vie en Savoie, jeune adulte qu'elle est et se découvre finalement là-bas. Elle apprend à se connaître, à s'offrir, à se donner des moments, à se cajoler parfois, prendre soin d'elle et même se plaindre. Elle comprend qu'elle a le droit d'aller bien ou d'être à terre, que ce n'est pas une machine, ni un PC et que tout ses ressentis ont le droit d'être exprimés. Faculté de sport maltraitante comme jamais, elle fait deux années là-bas, acharnée à la tâche. Le choix est à double tranchant. Le sport d'un côté, passion sans fin et sans fonds. Les blessures et sacrifices de l'autre, parfois graves et toujours solitaires. Alors, elle prend constamment sur elle, endosse sa vie et la porte comme une fierté ou un fardeau selon les jours, s'ils sont Noirs, Gris, ou Rose. Rose, c'est la joie et le bonheur d'être entourée, aimée et de recevoir des doses d'adrénalines conséquentes. Gris, c'est la pluie et la morosité, quand certains combats deviennent un peu trop lourd à porter et qu'elle décide, pour tout oublier, de sortir le soir tard en boîte, avec ses amies. Noir, c'est les idées mortellement dangereuses et l'idée même qu'elle ne s'en sortira jamais. Ni aujourd'hui, ni même demain, comme si son Monde et sa Vie, Putain de Destin n'aurait jamais assez de Courage pour lui sourire. 

Alors, elle vénère le rose, appréhende le Gris et fuis le Noir. Souvent, ce dernier tente de la rattraper. L'épuisement en est cause, les souffrances physiques n'arrangent rien. Son squelette est musclé et le sport le tient. Sans Lui, elle n'est rien. Ses muscles sont douloureux mais elle aime ce Mal comme une masochiste excentrique. Elle s'endort toujours sans traîner, fatalement crevée et explosée. 

Un dos pourri et qui craque à chaque jour de repos. Des cervicales en miettes. Un trauma crânien qui lui rappelle constamment qu'elle vit dangereusement. Une mâchoire explosée et cassée à vie. Des acouphènes terribles. Une cheville qui cède sur un exercice spécifique de triple saut : interne, externe, arrachement osseux. Une épaule qui se fragmente en deux morceaux. Un genou qui fait des siennes. Un corps qui n'en peut plus et un mental qui tente de le tirer vers le haut. 

Elle croit, elle veut, elle reste et perdure dans le temps, dans le sport, toujours présente bien que fracassée, juste pour se prouver à elle seule que Oui, elle peut y arriver. Un coup bas à droite, une malchance à gauche, elle prend des chemins de traverses et poursuis son évolution. Ne pas penser, ne pas souffrir, ne pas savoir le Mal qui l'a tient et ne point constater l'étendu des dégâts. 

Corps en miettes, fragmentés à vingt-deux ans, douleurs intenables et articulations pétées, elle continuer pourtant à avancer. Elle avance bien moins. Elle fait moins de choses. Elle est épuisée et se tape un Burn Out au final... 

Elle ne baisse pourtant pas les bras. 

Parce que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. 

Et que tout ce qui ne nous rend pas plus fort nous descend. 

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