des aimés, des arts à Mirabeau

nessim

Sous le pont …
C'est arrivé le jour où le regard brillant,
tes griffes sur mon mal, tu m'as dit lentement :
Là je sais que tu m'aimes ! Aussitôt j'ai compris
que mon amour pour toi allait me couler la vie.
 
Je ne l'ai pas cherché,
pas pu faire autrement :
Qu'apprendre à désaimer...
Te désaimer vraiment.
 
Novice en la matière j'ai découvert, alors…
Que désaimer fait mal comme un premier soleil.
Les yeux collés de nuit, l'esprit qui dort encore
s'aveugle au cauchemar d'un éclair au réveil.
La lumière brûle ses rêves, elle embrase la forêt
des faux vrais sentiments, pour laisser terre brûlée 
et désert d'émotion, derrière le masque, tombé. 
Toi… tu  ne savais pas que l'on peut désaimer… 
Moi non plus !
Aussi...
j'ai voulu,
j'ai appris.
 
Tu comprendras
pourquoi
et comment
finalement,
il m'a pris tout d'un coup, loin après qu'on se sépare
l'envie du pont des arts, pour y traîner minuit.
J'ai fait mon cinéma, ambiance Tamise, brouillard,
les deux pieds dans l'écran, c'est fort joli la nuit.
De toute façon, avant j'ai à peine réfléchi,
ton souvenir m'a poussé, je suis très vite sorti,
les mains au fond des poches, les deux poings refermés
l'une sur une pince coupante et l'autre sur une clef.
 
Entre les quais la nuit, ce pont craque, le sais-tu?
Les passants y reviennent, je nous ai entendus
et même revus, marquer, pour accrocher au pont
l'anagramme consacrée fait de nos deux prénoms.
Je t'ai regardée,
attendri
je t'ai souri,
tu t'impatientais !
Je te vois d'où j'étais, la tête dans les nuages,
je crois, non, je le sais !  Je t'ai vraiment aimée
et ce passé s'emploie quand on a eu le courage
de s'amputer du piège, quoiqu'on puisse en saigner.
Je t'ai dit t'avoir aimé, pas "comme personne avant",
je me garde ce présent pour un amour devant.
On peut s'avouer cela, quand on reste survivant
gardien d'un goût d'aimer, tenace, en corps dedans.


Sinon,
je t'ai comprise, toi, peu importe, tu t'en fous
les mecs sont tous pareils avec le même levier
l'amour tu sais le lire sans en connaître le goût
tu n'en sais les images que pour mieux les conter,
mieux me donner envie d'offrir au pont des arts
une serrure verrouillée aux fers de notre histoire.
Je l'ai vite retrouvée , aucune perte de temps,
la mémoire nous revient à défaut de sentiments.
Là, je te le dis,
même si
je le sais
tu ne vas pas aimer…
ce pont est ..."dégradé"!, j'ai épargné la clef,
plutôt que m'en servir j'ai coupé le grillage,
estimant qu'entre nous ce qui fut devait rester
accroché au métal comme à la porte d'une cage.
 
Sur le pont depuis peu, ils y ont mis des bancs
seul, assis, je nous ai vus repasser, toi devant,
avancer tranquillement et puis jeter ta clef
sans même t'arrêter voir ton sésame couler.
Bout de grillage et cadenas j'en ai fait tout autant
par dessus le balustre, noyés dans le courant.
...yeux au ciel, je me dis face au matin naissant
qu'ensemble on n'a pas vu un seul soleil levant.
Un signe sûrement...
 
Et puis, s'il a fait jour quand j'ai dû repartir,
c'est pas que j'ai attendu, c'est la terre qui tourne.
Quand le passé se vide, le présent faut le remplir
faire le plein d'avenir voir de quoi il retourne.
 
Au bout du pont des arts, en haut de l'escalier,
je me suis pas retourné, y'a plus grand chose à voir,
la nuit se coucher, le jour se lever , sous les regards
d'un univers entier qui se fout des ponts coupés !
 Au bas de l'escalier, comme au quai d'une gare,
la dernière marche passée, on marque un peu l'arrêt,
pour mieux saisir l'instant. C'est l'endroit consacré
pour le dernier regard sur un train au départ…
 
…après, exprès
                         ou pas exprès...
 
On se donne mort à l'autre, définitivement,
les yeux suivent les rives, déraillent l'eau revoir...
...vers l'adieu. Tout est dit, on ferme le grimoire.
Feu de toi je renais, de moi, naturellement,
sans attache nulle part,
ni pont, ni quai, ni gare.
Je dis pas je te raye
mais c'est un peu pareil,
je te gomme, je t'efface,
je libère toute la place.
Vers boiteux et pamphlet,
quand y'a plus cœur à dire  
les mots mentent à écrire...
A nos nouveaux sujets !
 
Paris m'a vu partir au nez de ses fenêtres
je les ai vues s'ouvrir sur un ciel dégagé
pas besoin de se dire : "on se reverra peut-être !",
aux yeux de ma mémoire je t'ai coulée à clef.
 
Il y a tellement de ponts où l'amour se déchaîne,
des rives des coups au cœur et sombre dans la Seine,
sous le pont Mirabeau comme sous le pont des arts ,
c'est jamais la même eau, toujours la même histoire…

 

   …Monsieur Apollinaire, je vous laisse à vos vers…
    Passent les jours et passent les semaines
    Ni temps passé
    Ni les amours reviennent
    Sous le pont …
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