Des chants

Christian Lemoine

Des chants sourdent du sol, ruisseaux transfuges des anciennes pluies, qui défient les cailloux dans leurs jeux de brillance à se vouloir diamants. Déjà ces rus crédules ont délaissé le rêve des océans et ne vénèrent plus en insolent karma, dans leurs prières cinglées d'herbes folles, que la fougue des cascades. Des chants montent du soir dans la danse feutrée des fumées. Ces enroulements de coraux gris sont comme les pelures d'orange spiralées, la partition exubérante des brindilles sèches craquant au cœur du foyer. Et les ricochets des volutes, un temps retenus dans le puits rugueux des cheminées de pierre, s'évadent soudain vers l'espace en autant de bulles sonores transcrites pour les yeux. Des chants enluminent la nuit, qui tapissent de fleurs les débris et les ordures. Ils rampent miséreux mais grandioses d'espérance, rythme battu par le cœur des invisibles, scansion obstinée de la vie jamais soumise. Entendez-vous ? C'est comme le grondement continu des trains souterrains, méconnus, méprisés, et cependant cette rumeur secoue les édifices, capable de se muer en fracture tectonique. Des chants embrasent les aurores, frénésie de plumes oubliées, inattendues. Caqueteries, craquettements, cancanages, halètements ; toutes fureurs ordaliques de volatiles outrés qui toisent de haut les parois étagées en façades lisses. Cela coule le long des vitres et pleure des mélodies décentes et discrètes, se glissant dans les interstices, investissant les failles pour les adoucir en l'offrande de leur béance. Des chants lente éclosion dans le jour blanc, contre la prétention des surfaces stériles. Un long poème de noms de villes qui s'appellent alentour du monde. Des chants de révolte et de fierté qui viennent cueillir sur les rameaux tremblants les derniers bourgeons ainsi fleuris, qu'un printemps surgisse avant le terrible solstice.
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