Des mots en file indienne (III)

redstars


[Les émotions, que l'on a prit soin d'effacer, de gommer, d'annihiler. Et qui, brusquement, se réveillent. Et qui n'attendent pas pour faire bouillir le sang au creux des veines. Qui battent, et battent… au rythme du cœur. Si vives, si violentes, que cela en est presque intolérable. Le cerveau est sur batterie. Le rouge clignote. J'avale quelques cachets. Mais il clignote toujours. C'est douloureux, ça croque doucement. Comme si l'on se faisait arracher un lambeau de chair par des dents de lait. De toutes petites dents de lait…

Des envies tout aussi virulentes. Cogner le mur du poing. Encore. Et encore. Coucher avec le premier venu dans les toilettes d'un bar glauque. Encore. Et encore. Éteindre sa cigarette sur l'épiderme. Encore. Et encore. Prendre une lame et dessiner des arabesques sur mes cuisses… encore, sauter d'un pont… à jamais.

Impulsive, je mélange les médicaments, je me retourne dans le lit, je me relève, je prends la voiture, je roule trop vite, je m'arrête et dépense un argent que je n'ai pas. Il faut courir plus vite que la douleur. Plus vite que la souffrance. Que l'écœurement de soi. Aller, vite, cours ! Fuis le mal qui te poursuit. Tu as envie d'avoir mal. Besoin d'avoir mal. Tu aimerais te projeter contre le bitume. Pour le choc. Tu aimerais atteindre les veines du bout de ta lame. Et avec un sourire de clown accroché au visage, ce visage qui faisait trop semblant, ce visage qui mentait trop.

Les émotions sont revenues. Elles lancent comme une douleur de règles. Tout aussi rougeoyantes et limpides. La solitude observe et ricane dans mon dos. Je la sens. Je la sens respirer tout contre ma nuque. Oui, j'ai besoin d'avoir mal. Cogner, mutiler, baiser, cogner, couper, avaler, rouler, frôler, effleurer, flirter…. Alors je multiplie les petites pilules, qui se rient de moi. Je suis une boule de nerfs. Qui roule et ravage tout. Je suis un tas de fils aux couleurs multicolores, une bombe que personne ne saura jamais désamorcer, par même moi. Tic, tac. Vous entendez ? Tic, tac... j'attends, je soupire, je patiente, je savoure.

Car bientôt il ne restera plus rien.]


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