Discussion philosophique.

Hervé Lénervé

Pour réussir une bonne discussion philosophique, il faut avoir deux intellectuels sous la main. Si vous en n’avez qu’un, c’est bancal, trois, la foire d’empoigne.

Gaston, appelé Dionysos le Grecque, quand il philosophe et Bertrand, le maréchal ferrant, surnommé Bacchus le Romain quand il boit, discutent de philosophie générale, ensemble.

Le premier est vêtu d'une tunique de belle facture, mais du prêt à porter, tout droit sorti de la boutique en ligne « la cuisse de Jupiter ». Le second a revêtu une toge très simple mais pratique avec sa poche intérieure pour le portable et bien échancrée aux encolures pour la libre circulation des idées.

Les philosophes modernes étayent leurs raisonnements sur les découvertes des Sciences et des Techniques. Mais en tant que philosophes, ils essaient d'aller plus loin, en tentant de comprendre le sens de ces découvertes. Alors que les Sciences, plus terre à terre et brut de pomme, se contentent du « Comment ça marche ce putain d'truc ? » Le philosophe, lui se pose la question : « Mais pourquoi ça marche ce putain d'bidule. »

Surprenons nos deux compères en pleine discussion philosoporifiques.

Dionysos dit à Bacchus qui l'écoute, c'est un peu la règle de tous échanges verbaux, autrement on n'y comprend queue d'chique dans les prés.

Diony – Merci pour ton coup de main d'hier, mon Bacchus !

Bacchus – De rien ! C'est toujours un plaisir de rendre service aux gens qu'on aime.

Diony – Remarque, ce serait très con de rendre service aux personnes que l'on déteste !

Bacchus - Certes ! D'ailleurs, je n'oblige personne à aimer les gens que je n'aime pas.

Diony – C'est la sagesse même ! Vois-tu, mon Bacchou, la pomme de Newton tombe, certes, mais sait-elle seulement qu'elle tombe et sur quelle tête elle tombera, cette conne de pomme ? Si elle ne sait discriminer ses amis de ses ennemis, qu'elle peut bien être le sens de son action.

Bacchus – La pomme est un objet vivant, elle n'a ni volonté, ni conscience propre, ou sale d'ailleurs, elle n'a qu'un petit noyau de réflexion limitée à sa saveur sucrée pour satisfaire nos palais.

Diony – Tu as tort de tout ramener à l'être humain, le vivant vit indépendamment de l'Homme quand ce dernier ne l'extermine pas avant. Le vivant ne se soucie pas de nous. La beauté intrinsèque n'existe pas en dehors d'un regard humain.

Bocchu – C'est ce que je lui reproche ! Le vivant vulgaire n'a aucune conscience de notre supériorité intellectuelle. Mais peu importe, quand un chat tombe, il réagit par instinct en se repositionnant confortablement dans les airs, il n'a pas particulièrement peur, car il n'anticipe pas le choc. L'homme lui, fait dans son froc, car il se projette dans l'avenir et sait qu'il va se fracasser lamentablement sur les rochers trente mètres plus bas. Le chat ne vit que le présent, l'Homme vit le présent via son passé misérable vers la potentialité d'un futur funeste.

Diony – C'est vrai que sur ce point précis de la découpe du temps, la bestiole est plus sereine. Son répertoire se situe entre l'agression ou la fuite devant l'adversité. L'homme réfléchit, envisage, calcul son devenir et en oublie d'apprécier le présent pour ce qu'il est.

Beaucul – Le supplicier sur la roue ne pense qu'à ce qu'il va pouvoir bien faire plus tard comme boulot avec des membres complètement ruinés, plutôt que de mettre à profit sa situation présente pour analyser les bienfaits de la Roue, cette invention fabuleuse et révolutionnaire dans sa révolution rotative.

Diony – Prenons pour exemple le théorème de la poussée d'Archimède. Il ne l'a pas découvert d'emblée de jeu. Au début il avait écrit : « Tout corps plongé dans un liquide en ressort mouillé. » Ce n'était pas faux, mais cela n'apportait rien aux mécanismes physiques de la flottaison des corps. Pourquoi un navire en ferraille de plusieurs milliers de tonne flotte, alors que ma belle-mère qui ne pesait rien, s'est noyée.

Bacchus – Parce que tu l'avais attaché avant de la jeter, peut-être ?

Diony – Ne complique pas tout, cela n'a rien à voir ! J'ai tout simplement démontré que ma belle-mère devait être bien trop lourde pour vivre, c'est tout !

Bacchus – elle n'était pas conçue pour vivre sous l'eau !

Diony – Exact ! Encore fallait-il le prouver. I do it !

Bacchus – Tu voudrais le prix Nobel pour avoir trucider ta belle-mère ?

Diony- Je n'en demande pas tant en emporte le vent.

Bacchus – Tu ne voudrais pas vérifier ton hypothèse avec ma femme, des fois ?

Diony – Eh, chacun son champ de recherche, je n'empiète pas dans le jardin du voisin, qui est sal con, au demeurant.

***

Et ainsi de suite… On voit ici, toute la portée bénéfique que peut avoir une réflexion philosophique dans des rapports communicatifs. Inutile de prolonger l'exercice plus avant… La philo, ça ne sert à rien ! CQFD !

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