Disparue (38)

Louve

La maladie de Camille.


Héloïse était enfin apaisée, heureuse. Sa fille était en sécurité, et, elle même, avait pu, au printemps dernier, se rendre sur la tombe de ce père qu'elle n'avait jamais connu. Elle y avait déposé un modeste bouquet de jonquilles comme si elle faisait enfin connaissance, comme pour lui dire : je suis enfin venue vers toi...

Beaucoup plus tard, sur Internet, outil merveilleux pour elle à ce moment, elle avait enfin découvert son visage. Une vieille photographie datant de 1943, un miracle ! Il était assis sur un banc, adossé à une maison dont la fenêtre était entrouverte. A côté de lui, ses deux fils.. ils étaient tous trois disparus, hélas !

A présent, lorsqu'elle se regardait dans le miroir, Héloïse y voyait deux visages s'y refléter, s'y superposer : son père, sa mère. Comme cette dernière aurait été heureuse pour elle, si elle avait été encore de ce monde.

Enfin, malgré le décès de ces êtres chers : sa mère, Louis, elle allait enfin avancer, vivre chaque instant de sa vie, avec délectation, auprès de son nouveau compagnon : Michel.

La boucle était bouclée, pour le mystère de sa naissance du moins, mais l'avenir allait lui démonter que les épreuves n'étaient pas terminées.


Dès qu'elle le pouvait, Camille descendait en Charente. Le week-end en général. Cependant, ces derniers temps, Héloïse avait constaté que les visites de sa fille commençaient à curieusement s'espacer, et lorsqu'elles se promenaient sur le chemin des douaniers, leur lieu de prédilection, des silences gênants s'installaient, de plus en plus, entre elles deux. Héloïse qui avait partagé des moments de bonne humeur, de confidences avec Camille, ne savait plus quelle contenance adopter. Elle se demandait pourquoi sa fille avait un air si renfrogné. Elle essayait de la dérider, s'efforçant de prendre un ton léger, en lui racontant, par exemple, les anecdotes de la semaine écoulée, même si le cœur n'y était pas. Elle avait nettement l'impression de jouer un rôle et qu'un mur se dressait, peu à peu, entre elle et sa fille. D'ailleurs, cette dernière, ne réagissait aucunement à ses boutades.

Et puis, un après-midi, alors qu'elles revenaient d'une balade, une nouvelle fois tristement silencieuse, Camille s'arrêtant brusquement et attrapant le bras de sa mère, éclata en sanglots convulsifs. Atterrée, Héloïse la conduisit doucement vers le premier banc qu'elle put trouver.

Là-bas, le pont du diable, immuable dans le temps, s'enfonçait dans l'océan turquoise. Quelques promeneurs téméraires s'avançaient prudemment jusqu'à sa pointe, comme pour se plonger au cœur des éléments.

Héloïse entoura d'un bras qui se voulait le plus apaisant possible, les épaules de sa fille :

- Que se passe t-il Camille ? Raconte-moi !

Entre deux sanglots, Camille tout en serrant convulsivement entre ses mains tremblantes son mouchoir, lâcha brusquement :

- J'ai vu Victor Briand !

- Mais c'est impossible ! Je me tiens au courant des événements et je peux t'assurer qu'il est toujours détenu.

- Je le vois pourtant et puis...je le sens !

Héloïse n'y comprenait vraiment rien.

- Comment cela, tu le sens ?

- Oui, il est sur moi, dans mon dos, sur mon cou ! Maman, que m'arrive t-il ?

Héloïse réalisa alors que sa fille avait un gros problème : elle avait des visions visuelles, sensorielles. Et c'était ce qui expliquait, depuis quelques temps, sa morosité, son changement de caractère.

- Tu dois aller voir un médecin, le plus tôt possible, car je pense que c'est, à retardement, tous ces événements terribles qui t'ont perturbée.

- Oui, tu as raison, répondit Camille d'une voix faible. Et c'est vrai que depuis, beaucoup d'images me reviennent la nuit. Et, depuis quelques semaines, j'ai ces horribles sensations, visions, et cela peut arriver à n'importe quel moment de la journée. C'est un cauchemar que je vis éveillée !

- Rentrons à présent, Camille, tout va s'arranger, j'en suis certaine ! Avec un traitement approprié, tout devrait rentrer dans l'ordre.


Une fois par semaine, Héloïse, qui était remontée en région parisienne, accompagnait Camille chez un psychiatre à Lagny. Pendant une demi-heure - c'était bien court - Camille lui confiait ses déboires, ses angoisses.

Ce qui avait, au début, choqué Héloïse, c'était que le spécialiste ne voulait, en aucune façon, lui donner quelques explications sur ce qui arrivait vraiment à sa fille. Naturellement, Camille était majeure, mais tout de même ! Elle comprit beaucoup plus tard, que ce médecin de l'âme, voulait surtout instaurer un climat de confiance entre lui et sa patiente. Mais, franchement, était-ce normal de laisser un parent dans l'expectative, le désarroi ? Héloïse attendait, seule, désemparée, dans la petite salle d'attente, que la consultation prenne fin. 

Ce n'est que lorsque, malheureusement, la situation s'aggrava et que Camille commença à faire des séjours en hôpital psychiatrique, qu' Héloïse put avoir, enfin, quelques réponses quant à l'avenir de sa fille. Elle avait déjà, forcément réalisé, l'extrême gravité de son état, mais guérirait-elle un jour ? A 50 ans environ, il y aurait une amélioration...lui avait-on répondu. Camille en était loin ! Elle avait tant de choses à vivre encore !

La jeune femme était venue se réfugier chez Héloïse et Michel. Elle ne pouvait plus exercer sa profession et pas davantage rester seule chez elle, surtout si loin de leur domicile.

Au tout début de sa maladie, elle acceptait, sans problèmes, les visites régulières chez le psychiatre, mais lorsqu'elle réalisa l'extrême gravité de son état, elle refusa tout net de continuer à se soigner. Elle n'acceptait pas, et c'était compréhensible, de se trouver aspirée dans cette spirale infernale. Sa vie en était littéralement bouleversée. Elle niait sa maladie, comme si de se mentir à elle-même, pouvait changer le cours des choses. C'était contradictoire, mais elle s'exclamait souvent :

- Pourquoi moi ? Pourquoi ?

Héloïse était torturée, elle aussi. Sa fille avait toujours été en bonne santé, physique et morale, jusqu'alors. Une fille saine et joyeuse, bien dans sa peau. Etait-ce seulement les événements ou avait-elle commis une ou plusieurs erreurs dans son éducation ? Tellement de questions qui restaient sans réponses.

Pourtant, un médecin lui avait bien précisé, qu'il y avait toujours un terrain à la base, et qu'un jour, un fait imprévisible déclenchait le processus. Cela pouvait donc être génétique. Par la suite, Héloïse apprit que d'autres personnes dans la famille possédaient cette fragilité.


A présent, Camille se réfugiait de plus en plus souvent dans sa chambre. Parfois, Héloïse entrouvrait précautionneusement la porte et essayait d'entamer un dialogue avec elle, mais c'était peine perdue. Sa fille était assise par terre dans l'obscurité en la fixant sans mot dire. Lorsqu'elle pouvait encore converser avec elle, Héloïse essayait de lui faire entre raison. Il fallait, à tout prix, qu'elle prenne ses médicaments. Camille, butée, gardait les comprimés dans son poing fermé. Héloïse arrivait enfin, après de très longues minutes, à force de discussions, à lui faire desserrer les doigts. L'effet était très rapide, elle retrouvait, l'espace de quelques heures, sa fille, comme elle l'avait toujours connue. Elle reprenait espoir mais après l'accalmie, tout recommençait. C'était à nouveau le refus et les mêmes palabres.

Camille ne voulait même plus s'alimenter, elle avait perdu beaucoup de poids, elle flottait dans ses vêtements. Mais Héloïse avait trouvé l'astuce. Elle laissait traîner des gâteaux, des chips dans la cuisine. Désolée, elle voyait sa fille raser les murs, la tête baissée, les yeux rivés au sol, venir chiper un peu de nourriture. Une autre fois, Héloïse avait dilué les fameux comprimés dans une bouteille d'orangeade. Cela avait bien fonctionné quelques temps, mais ensuite Camille allait boire à même le robinet de la salle de bain comme si elle s'était doutée de quelque chose.

Il ne faut surtout pas penser que cette affreuse maladie qu'est la schizophrénie détruit l'intelligence, il n'en est rien !

Camille était également bipolaire. Contrairement à la schizophrénie où le malade est harcelé par tout un monde imaginaire, la bipolarité est un changement de comportement dans le caractère. La personne peut passer d'un état euphorique et joyeux à une colère incompréhensible pour son entourage. La dépression est là et peut mener au suicide si le traitement est mal adapté.

Héloïse "battit le tambour" partout, elle avait besoin d'aide pour sortir sa fille de ce marasme où elle s'enfonçait inexorablement. Elle finit par apprendre qu'avec l'accord d'un généraliste et de deux psychiatres, elle pouvait faire hospitaliser Camille, mais cette fois sans son accord, un placement d'office ! Mais, d'abord, elle devait avoir l'accord du préfet de la région. Tant d'abus dans le passé, des gens avaient été enfermés, par calcul, alors qu'ils ne présentaient aucun signe de démence.

Un matin, des ambulanciers accompagnés des pompiers vinrent chercher Camille. Malgré les injures de sa fille à son encontre, Héloïse ne cilla pas et fut soulagée que l'on puisse enfin la soigner.

C'était bouleversant de la voir partir ainsi, soulevée de force par les infirmiers et pompiers mais c'était absolument nécessaire.


Quelque jours après, Héloïse franchissait les portes de ce lieu où les gens ont un comportement si étrange. Ainsi, certains vous regardent de travers en déambulant autour de vous.

Le plus pénible, surtout la première fois, pour elle, fut d'entendre le trousseau de clés. Ce cliquetis lui paraissait tellement énorme. De savoir sa fille derrière ses portes, enfermée comme une criminelle, lui déchirait le cœur...

  • quelle terrible épreuve que ces maladies mentales si difficiles à soigner, même si on suit son traitement médicamenteux. Un terrain fragile à la base..

    · Il y a environ 7 ans ·
    Poup%c3%a9e des survivantes

    Natacha Karl

    • Terrible en effet...

      · Il y a environ 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Quel triste rebondissement ! tu as raison, c'est terrible la maladie mentale, j'avais une cousine décédée maintenant atteinte de schizophrénie et c'était terrible car elle était consciente d'être malade et harcelée par des voix ! bref c'est super bien argumenté et j'ai vu aucune faute !! donc CHAPEAU A RAS DE TERRE ma belle pour ton polar qui va bien finir j'espère ! j'y cours !!!

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Epo avatar

    Christine Millot Conte

    • J'ai lu, il y a bien longtemps, que cette maladie était mortelle, je ne comprenais pas pourquoi, mais je l'ai compris plus tard, hélas. En fait les malades sont très dépressifs, mal dans leur tête et dans leur corps, car c'est physique aussi ; et puis, dans des moments de crise, une force les pousse à commettre l'irrémédiable : le suicide.

      Sinon, aucune faute, grâce à toi, j'ai été davantage attentive, merci cher professeur au chapeau !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Je suis littéralement bouleversée, Louve... J'ai failli me tromper de prénom en marquant le tien, tellement cela me bouleverse. Comme tu le décris parfaitement ! J'ai l'impression de le vivre en direct et je ressens ce que ressent Héloïse...

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • En fait Héloïse, c'est moi, et Camille, c'est ma fille Nathalie. Et ce que je raconte là, c'est seulement une partie de ce qu'elle a pu vivre...bises.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Mais pour Camille, cela se terminera bien.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • En fait, je m'en doutais... Te dire pourquoi m'est difficile. Peut-être mon cœur de mère ? Mais ton récit était trop "vrai", trop bouleversant pour ne pas alerter une maman...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Coquelicots

      Sy Lou

    • C'est certain ! C'est d'ailleurs un "chapitre vérité " mais il y a aussi cette petite ville que je connais bien en Charente-Maritime et cet océan dont je ne me lasse jamais.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je comprends... Et je te donne toute mon amitié quand j'imagine ta souffrance. Je rends hommage à la maman que tu es.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Coquelicots

      Sy Lou

    • Merci beaucoup Sy Lou, toi aussi tu es une maman...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Certes, mais je me demande toujours si j'aurais pu trouver la force de survivre à ce que tu as traversé. J'ai une amie d'enfance qui a perdu son fils de 17 ans dans un accident de moto et quand je la vois maintenant, pleine de vie, confiante et sereine, je me dis qu'elle a compris beaucoup de choses essentielles, qu'elle a su trouver la force d'aller de l'avant. J'admire ces personnes-là qui sont étonnantes de vie et je suppose que c'est ton cas. Ton roman mené tambour battant, sans perte de temps ni dans la rédaction, ni dans la lecture qui alimente toujours le suspense, prouve ta combativité. Ta fille peut être fière de toi, Louve...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Coquelicots

      Sy Lou

    • J'ai eu envie de me laisser sombrer mais j'ai pensé au reste de la famille, surtout à ses enfants. C'est la nuit que c'était terrible, alors, je me suis dit : il faut que tu trouves quelque chose -pas de médicaments, juste un peu au début- donc la seule chose qui m'a toujours permis de m'échapper c'est la lecture ! donc, je me suis mise à lire davantage la nuit, mais cela a été difficile parce que je n'arrivais plus à m'accrocher à l'histoire, et puis j'y suis arrivée, et comme cela je ne pensais plus et je m'endormais sur mon livre. Evidemment le réveil était difficile mais comme ton amie, la journée je souriais vivais comme d'habitude ave des instants de larmes, bien sûr. A présent, ça va mieux mais j'y pense chaque jour et j'évite de trop m'attarder sur mes pensées.
      Merci beaucoup Sy Lou pour ta gentillesse !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • C'est moi qui te remercie de m'avoir confié ton histoire, d'avoir accepté de revenir sur ces moments-là. Ce qui me conforte dans ma certitude que tu es vraiment forte, battante et que tu vas de l'avant. Je rends hommage à cette louve que tu es...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Coquelicots

      Sy Lou

  • C'est très émouvant Martine. Bises

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Version 4

    nilo

    • Merci nilo, des bisous !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Je sais pas si je vais lire la suite... trop de mauvais souvenirs tu m'evoques.......
    .

    · Il y a plus de 7 ans ·
    12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

    Maud Garnier

    • Ah ! je suis désolée, j'ai eu envie d'écrire cela, pourquoi ? puisque pour moi aussi c'est douloureux, c'est pour elle - ma fille- que j'écris cela, mais dans l'histoire ça se terminera bien !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je t'ai envoyé un message....

      · Il y a plus de 7 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Je n'ai plus de messagerie privée sur WeloveW. depuis juillet. Si toi tu peux m' envoyer des messages, moi, je ne peux les lire, c'est toujours erreur. Bises.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Mince comment on peut s'écrire en privé ?? Si tu as un compte sur Short il y aussi une messagerie sinon c'est Facebook.... ou mail

      · Il y a plus de 7 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Je te trouve pas sur short.... si tu m'écris sous un de mes textes je pourrais te trouver..... bises

      · Il y a plus de 7 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Tu peux enlever j'ai relevé. Sur short je suis Maud. Je peux pas te faire de mail maintenant le ferait plus tard la Rv à l'hôpital pour mon fils... bises

      · Il y a plus de 7 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Pas de problèmes Maud ! Bises !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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