Dix mots

vividecateri

Du 14 au 22 mars, se déroulait la semaine de la Francophonie. À cette occasion, un atelier d'écriture a proposé:
Écrivez un texte en utilisant des mots intégrés à la langue française, venant de tous horizons.
amalgame (arabe)
bravo (italien)
cibler (suisse allemand)
grigri (origine inconnue)
inuit (inuktitut)
kermesse (flamand)
kitsch (allemand)
sérendipité (anglais)
wiki (hawaïen)
zénitude (japonais)
 
Ces dix mots ont été choisis pour illustrer cette thématique (entre parenthèses, la langue d'origine)
 
Pour info : http://www.institutfrancais.com/fr/numerique-educatif/semaine-de-la-langue-francaise-et-de-la-francophonie
 
 http://www.semainelanguefrancaise.culture.fr


 Christine regarde les préparations du goûter qu'elle offre cet après-midi, à des amies à l'occasion de la kermesse du village et de son aménagement.

Dans le salon de la maison, héritée de sa tante, la table est dressée: des muffins, des millefeuilles, des éclairs, des macarons.

Auprès du baba au rhum et des îles flottantes, dans un grand plat en porcelaine, tout un amalgame de gâteaux et de fruits secs.

Christine lève les yeux vers le mur tapissé d'un papier kitsch, où des angelots préraphaélites, encadrés de dorures alternent avec des gravures de mode, des vues du grand canal de Venise, et un portrait de son oncle Robert, le bras droit sur l'épaule d'un inuit. Photo en noir et blanc prise lors d'un voyage, dans le grand nord.

Christine n'a pas encore eu, ni le temps, ni le cœur de changer le décor, depuis qu'elle s'est installée au village.

Sur un guéridon, son ordinateur est recouvert par un foulard, ce n'est pas pour dissimuler cet accessoire de travail que Christine l'a ainsi camouflé. Mais pour faire joli…

Christine ne cache pas sa vie laborieuse d'écrivain et est fière qu'on peut-être à la fois un être normal, de séduction et un être de travail laborieux.

On sonne, c'est Roselyne.

Les deux amies s'embrassent.

Roselyne est la rédactrice en chef de: "La femme est un homme parfait" surprenante revue philosophique, mondialement connue, et dont Christine est une des plus brillantes chroniqueuses.

- N'oublie pas de m'envoyer ton "papier" ma chérie, dit Roselyne à Christine qui s'avance, une tasse de café à la main. Pour Mercredi au plus tard!

- Sois tranquille! Lait ou sucre? Faut-il te faire un "topo" explicatif sur l'actualité de l'article?

- Non la secrétaire fera le "chapeau". Un nuage de lait…et deux morceaux de sucre. Merci.

- Surtout, Roselyne, il faut impérativement, que je reçoive, les épreuves pour les examiner…La dernière fois…Un macaron? C'était plein de coquilles. Préfères-tu un millefeuille?

- D'accord, mais parlons un peu de toi. Comment vont les petites?

- Très bien. Merci

Christine a l'esprit trop correct et loyal pour ne pas conformer sa vie, à sa doctrine.

C'est une fervente partisane de l'indépendance du cœur.

Un soir, pourtant, où le printemps creusait en elle un vaste abîme et qu'elle était dans un esprit ou plutôt dans le désir d'un style de vie, combinant une ouverture aux expériences et à la curiosité.

Elle comprit enfin, le mot "sérendipité" qu'elle avait lu dans une revue scientifique.

Elle réalisa, immédiatement, qu'elle était au bon endroit, au bon moment.

Ce soir là, elle fit la rencontre d'un inconnu… disparu dès le lendemain.

Depuis, elle le cherche avec un insatiable appétit de fidélité.

Elle a cru le retrouver en la personne d'un jeune-homme mystique qui collectionnait des grigris africains.

Puis celle, d'un architecte qu'elle avait pris plaisir à "cibler" durant toute la soirée, lors d'une exposition de peinture, émue par ses jolis yeux qui se mouillaient de tendresse derrière le verre fumé de ses lunettes.

Mais elle n'avait retrouvé que rares et amoindries en eux, les qualités si admirablement groupées chez son bel inconnu.

Alors, Christine, avait reçu les confidences d'un poète qu'elle avait rencontré dans un atelier d'écriture.

Depuis quelques mois, il incarnait le beau fantôme qu'elle poursuivait en vain.

Elle avait pris de lui, le goût de la méditation et de la "zénitude". Elle s'était efforcée en retour, de lui dévoiler les splendeurs mystérieuses des promenades en forêt.

Ces multiples pratiques, avaient chacune porté leur fruit, dont elle était extrêmement fière :

Quatre jolies petites filles aux rires frais, qu'on entend courir dans la maison et qui viennent d'entrer wiki wiki dans le salon.

Après elles, tout un groupe de femmes aux jupes multicolores et froufroutantes.

- Et bien, fait Roselyne, puisque nous sommes au complet. Le moment est venu…

Dans le silence qui suit sa parole, elle sort de son sac à main, un petit étui et s'approche de Christine.

- Ma chère Christine, pour fêter ton installation, je viens au nom de la rédaction, t'offrir cette petite chose, en gage de l'amitié que nous te portons.

Couché sur le velours grenat de l'écrin, un stylo d'or orné d'un chiffre en diamant: C.M-C.

- Bravo maman! Lance une petite fille.

Tout le monde applaudit.

Christine est debout, muette, ses yeux s'emplissent de larmes.

Elle doit s'appuyer à la table pour ne pas tomber.

- Je rêve, je ne peux accepter, c'est trop beau! Balbutie-t'elle.

- Nous avons choisi, dit Roselyne, très émue aussi, ce qui pouvait le mieux symboliser la formidable collaboratrice que nous aimons en toi.

Elles s'approchent pour l'embrasser.

Toutes, pénétrées d'un sincère attendrissement.

Elles passent un agréable après-midi.

Les amies parties et les petites au lit.

Christine désire essayer le cadeau, elle le remplit d'une belle encre violette, sa préférée, et le fait courir sur une belle feuille blanche.

Elle pense écrire immédiatement, une chronique sur le rôle philosophique de la femme en amour…

Mais son esprit s'évade, elle regarde ses doigts légèrement tâchés d'encre…

Elle se lève et se dirige vers la fenêtre qui donne sur le jardin, elle l'ouvre et aspire l'air du soir.

Appuyée contre le garde-corps, elle contemple le coucher de soleil.

L'horizon est comme noyé de pourpre et d'or.

Tout le zénith devient vert, le soleil est vaincu par la nuit et disparaît dans un voile gris-perle.

Christine demeure longtemps, accoudée à sa fenêtre, les doigts sous le menton, les yeux perdus dans l'infini, absorbée par ses rêves d'amitié, d'avenir et d'amour.

Demain, à l'aube, c'est décidé elle écrira, le premier chapitre de son futur roman.

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