D'une vie, l'autre.

Didier Kalionian

C'est l'histoire d'une femme de 40 ans, qui a décidé de vivre la vie qu'elle avait envie de vivre, notamment en découvrant le sexe comme moyen de s'épanouir.

-          Rachid ? C'est à cette heure-ci que tu rentres ?

-          Et alors ? T'as quelque chose contre ?

-          Tu pourrais prévenir quand même !

-          Pourquoi faire ? Tu sais très bien où j'étais. On est vendredi soir, je buvais un coup avec mon pote Kevin. Je rentre du boulot.

-          Tu sens l'alcool.

-          Bah ouais ! Quand on boit un coup, on sent l'alcool. D'habitude, ça ne te gêne pas trop. Et puis le Ricard, ça sent plutôt bon, non ? Allez ! Va te préparer, j'ai envie. File dans la chambre, hop au lit, j'arrive ! Je vais pisser et je te saute.

Véronique se dirigea sans un mot vers la chambre à coucher. En silence, elle se dévêtit, s'allongea nue sur le lit et attendit. Dans les toilettes, Rachid urinait sans ménagement pour le lieu, c'est-à-dire, que comme il était saoul, il mettait une partie à côté en arrosant allégrement la cuvette. Il tira la chasse d'eau puis s'essuya les mains. Il arriva dans la chambre, se déshabilla sommairement. La chemise et les chaussures partirent dans un coin, tandis que le pantalon de travail, raide de crasse, s'écrasait sur la moquette : il resta en slip, t-shirt et chaussettes. Il sauta sur le lit, s'allongea et besogna sans ménagement, sans préliminaire ni attention particulière sa gentille petite femme : Véronique gémit tout de suite...

En fait, elle aimait ce rituel un peu sauvage et brusque qui lui permettait de se défouler en jouant au jeu de la femme soumise. Rachid n'avait pas grand-chose à faire dans ce jeu, si ce n'était de rester le plus naturel possible : il y arrivait fort bien... Véronique avait de la chance, elle avait toujours voulu avoir une brute qui la fasse jouir, et avec Rachid, c'était réussi tous les soirs ou presque... Un bon quart d'heure plus tard de cette cavalcade quasiment animale ; Rachid finit par jouir dans un râle plus proche du barrissement que du soupir. Il avait la délicatesse du rhinocéros et la robustesse d'un bourrin au galop. La fragile et frêle Véronique avait l'impression d'être désarticulée après sa séance du soir. Mais, elle n'aurait échangé sa place avec personne d'autre.

Dès qu'il eut terminé, il s'affala de tout son long sur son corps menu tel un sac de patate de près de quatre-vingt-dix kilos. Il respira fort dans son cou. Elle tenta de le repousser de ses petits poings, il finissait toujours par se relever car il savait bien qu'il l'étouffait... Après une journée de travail qui s'était terminée au bar, il n'avait plus de force. Il avait l'habitude que ça se termine ainsi. Au fond, il s'en foutait un peu. Il avait eu ce qu'il voulait, il y aurait sûrement une suite avant d'aller dormir, où la tendresse l'emporterait sur la rudesse. Il roula sur le côté, sur son côté, le gauche. Il soufflait comme un phoque, il avait immanquablement envie de fumer, mais ce n'était pas permis dans la chambre à coucher. Véronique était intransigeante sur cette question et il ne voulait à aucun prix l'énerver : on était vendredi soir et il voulait sa gâterie avant de s'endormir. Il s'abstint, mais ça le démangeait furieusement. Alors, il eut recours à un stratagème pour arriver à ses fins. Elle connaissait l'astuce mais elle l'encourageait plutôt. Il fallait qu'il se déplace jusque dans la cuisine, là, il pouvait ouvrir la fenêtre et fumer frénétiquement au moins deux cigarettes d'un seul coup.

-          J'ai faim ! Qu'est-ce que t'as fait à bouffer ce soir ?

-          Un bœuf bourguignon ! Tu en veux ? La table est mise et la cocotte mijote. Y a plus qu'à servir.

Véronique aimait faire plaisir à son homme, le sexe et la bouffe étaient les deux mamelles du bonheur dans ce couple aussi mal assorti qu'heureux. Dans ces moment-là, Véronique rayonnait de joie. Elle se sentait pleinement exister comme jamais auparavant. Rachid était aux petits soins quand la cuisine était bonne, et Véronique se laissait attendrir par cet homme si gourmand de la vie. Ce soir, elle se débrouillerait pour avoir un dernier câlin, bien au chaud sous la couette.

Une fois le repas terminé, Rachid pourrait fumer comme un pompier...

 

... Vous qui lisez ce début de récit, vous avez remarqué que cette histoire commence bien ! Effectivement, elle démarre en trombe, et ce n'est pas fini ! Si l'introduction plante le décor, vous démarrez presque par la fin. C'est un paradoxe comme la vie en est remplie : Véronique va le découvrir pour son plus grand plaisir, et un peu pour le nôtre aussi...

 

     Avant Rachid, il n'y avait rien. Ou quasiment rien. Véronique s'était mariée avec le premier ou le deuxième homme qu'elle avait connu dans sa jeunesse. Elle avait eu deux enfants, une fille et un garçon – Pauline et Calvin, le choix des prénoms avait été une évidence : ils sonnaient bien, ils étaient modernes et contemporains - et un pavillon à crédit en banlieue parisienne... Elle avait alors une vie monotone, bien rangée, bien organisée, quasi monastique. Une femme de la e moyenne, assez moyenne, avec un niveau d'étude qui lui avait permis de devenir comptable. L'ascenseur social fonctionnait encore à plein régime dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, et ceux qui travaillaient plus, finissaient par gagner plus, et vivaient mieux. Elle était l'archétype de la bourgeoise qui ne l'était pas vraiment, mais qui faisait des efforts pour paraitre mieux : un vrai cliché.

Son mari avait réussi à devenir responsable dans un entrepôt logistique, il travaillait à l'autre bout de leur banlieue... Une vie bien huilée, du lundi au vendredi.

Les week-ends avaient aussi leurs rituels, ils démarraient dès le vendredi soir par le sacro-saint apéro, jusqu'au dimanche soir... La semaine au boulot et le samedi matin à Carrefour pour faire les courses. Une expédition qui nécessitait la venue obligatoire des enfants ainsi qu'une organisation quasi militaire, armés de listes où chacun savait ce qu'il devait prendre pour gagner du temps et être le plus efficace possible.

Le samedi, Véronique faisait le ménage en grand ainsi que les machines à laver des enfants. Il ne leur restait que le dimanche matin pour le devoir conjugal. Là aussi, ça ne durait pas plus d'un quart d'heure, mais c'était suffisant... Le déjeuner du dimanche était un sacerdoce où l'on recevait les parents ou les beaux-parents, des amis, ou des voisins, où ils refaisaient le monde en répétant les conclusions du journal télévisé de 20h tout en ayant l'air d'avoir bien analysé les situations. Ils avaient un avis sur tout, ce qui en faisait des érudits, du moins ils l'espéraient... Ces déjeuners duraient jusqu'en fin d'après-midi, où on finissait toujours par se désoler que ça soit passé aussi vite. Il fallait déjà penser à s'organiser pour le lundi matin... Les semaines passaient, les mois suivaient leur course immuablement, de l'hiver à l'été. Les autres saisons n'existaient que sur le calendrier et ne servaient qu'à attendre la semaine au ski, et les trois semaines à la mer...

Les années s'enfilèrent, les unes derrières les autres, comme si le passage sur Terre de ce petit monde devait durer éternellement.

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