Ecrire une belle page

dechainons-nous

Je voudrais écrire une belle page, à l'encre violette tirée à la bouteille, égratignée par une sergent major sur du papier bulle, et aspirée par le buvard lové sous le tampon.

Mon cahier claire fontaine, imprimé de mon écriture calligraphique, recouvert des tables de multiplication rejoindrait le livre de lecture dans ma case.

L'ardoise crissant sous son crayon, s'élèverait haut dans la classe et disparaitrait sous le chiffon aux mille poussières d'étoiles.

Je voudrais écrire une page d'amour, passer mes doigts dans ta chevelure de gitane, presser ton sourire sur mes lèvres mouillées de désir.

Mes mains soutiendraient le galbe de ta poitrine, tandis que mon souffle fiévreux de bête tenue en haleine glisserait de ta nuque jusqu'à ton épine dorsale. Le creux de tes reins tendrait la cime de tes fesses qui s'écraserait sur mon pénis. Le ressac de nos corps enfiévrés ferait jaillir l'écume de notre jouissance.

Je voudrais écrire une page de banalités, tu me dirais je t'aime et je te répondrais moi aussi et pour toujours. Nous aurions des enfants, une maison et un jardin. Le chien se ferait vieux devant la cheminée et irait dormir sous les hortensias. Les enfants quitteraient le foyer bien après notre amour, le rossignol, un rossignol annoncerait encore et toujours le printemps bien avant l'arrivée des beaux jours.

Je voudrais écrire une page de vie, celle qui passe et nous abandonne. L'histoire de mes rides qui creuseraient les sillons du temps dans la fleur de mon épiderme. Je raconterais mes premiers émois de flirter avec la dame blanche, mon envie de connaitre une dernière fois l'émotion d'une étreinte enflammant l'esprit , de se sentir invincible et de pouvoir quitter fièrement cette vie qui se joue de nous.

Je voudrais écrire à ne plus en finir, de belles pages qui raconteraient mes joies et mes peines, des pages qui peindraient la beauté de la misère, et la laideur de la souffrance. Une écriture qui rendrait noble et unique la simplicité de nos jours. Les saisons imagineraient un temps inventant le charme et la sagesse apportant l'envie de se fondre dans l'ordre universel, de devenir le maître du temps.

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