Electric city

Christophe Paris

Texte pour une mini conférence le 25 et 26 mars prochain à la Cité des sciences, avec des tas de nouvelles machines de malades en essai. Mon témoignage de zinzin du bitume :)

Rider en électrique, ça vous change la vie, mais ça vous change aussi. Comme n'importe quelle activité humaine, le ride motorisé, vous modifie à l'intérieur et à l'extérieur. À titre d'exemple, un pianiste a les doigts qui s'allongent, augmente ses capacités d'écartements à force d'enchaîner les gammes, un percussionniste, s'enlève régulièrement la corne de ses paumes au cutter, durcies à l'extrême par la frappe.
Avec le ride c'est pareil, mais en mieux, exception faite des chutes et de leurs quiches, jargon local pour qualifier les grosses égratignures en cas de perte d'équilibre.

S'affranchir du temps et de la distance, c'est modifier votre regard, votre cerveau et votre corps. C'est beaucoup, certes, mais quand on aime on ne compte  pas.

Le regard, celui que vous utilisez de moins en moins à force de passer par les mêmes chemins du quotidien. Une fois motorisé, la fée électricité lui redonne goût à la vue. Fini la noyade dans le flux humain, il reprend contact avec la surface, plus exactement les surfaces, qu'il va falloir surveiller, apprivoiser, gérer.
Comme ce grain rugueux de la chaussée, celui qui vous fait pâlir la moyenne, déchire la peau en cas de plante, mais qui génère un son rauque, large et puissant. Vous êtes dans la place, tout le monde le sait et c'est bon !
Sa sœur toute douceur, cette peau d'asphalte, ce goudron bleu pétrole, si doux, si fin, que vous y glissez comme porté par un nuage, sans risquer aucun dommage. Les dalles et autres plaques au sol, dont chaque rainure secoue les genoux, dans un son proche d'un train rythmé par les traverses. Ça tonne, ça résonne, et tout le monde s'étonne, de voir un si petit truc faire autant de bruit, oui vous faites tourner les têtes, même celles des filles, et ça aussi c'est bon !
Évitez de jouer les pirates avec les bateaux de trottoirs, attention à l'abordage de face sous peine de blocus, à franchir à 45 ° si vous voulez éviter de boire la tasse. Restez vigilants sur les plaques à petites bosses pour aveugles qui vous font voir l'asphalte de plus près, 45 ° là aussi pour éviter une seule bosse, la vôtre.
Attention de ne pas croiser le fer avec les grilles d'aérations du métro, ou les bouches d'égout et leur traitre métal, plus glissant qu'un savon dans une baignoire. Sur ces matières, pas de virage, toujours tirer tout droit, à éviter impérativement par temps de pluie… Les pavés également, qui en cas de chute vous font comprendre qu'en dessous il n'y a pas de plage.

Passons au cerveau, qui doit gérer faune et flore d'une jungle urbaine prête à vous bondir dessus.
Un rider ça glisse, un piéton ça plane.
Pire qu'un automobiliste Smartphone en main. Normal, c'est son espace, et pour lui vous êtes un extra-terrestre. Vous passez alors en mode Einstein, et faites des calculs, des tas de calculs, ceux de vos trajectoires possibles pour laisser tout le monde tranquille.
En effet, force est de reconnaître que nous ne sommes pas toujours les bienvenus.
Certains peinent à partager leur bout de trottoir, se figeant devant vous en guise de protestation, quand d'autres vous file un coup d'épaule bien viril si vous les côtoyez de trop près. Restez zen et poli, excusez-vous, arrêtez-vous, et passez loin des gros costauds de mauvaise humeur.
Adaptez votre vitesse, n'effrayez personne pour que ces transports alternatifs soient acceptés par tous et partout. Attention également, aux petits d'hommes et à leurs virages aléatoires, prévenez les parents, et le cas échéant faites-lui essayer en cas de crise de « Z'en veux un pour noël ».
Quand vous ridez, vous parlez beaucoup aussi, pas à vous-même, bien que pour certains ce serait salvateur, mais à un autre type d'humain, celui qui trouve que ça déchire et pose la sempiternelle question : c'est électrique ? Si vous répondez, oubliez votre moyenne, la passion l'emportera sur votre peur d'être en retard et de voir votre boss tout colère.
Si vous êtes bavard, modérez, sinon impossible d'arriver à bon port, tellement sollicités vous serez.
Il n'y a pas que certains piétons qui désapprouvent l'utilisation de nos engins, mais aussi la race canine. N'oubliez pas que même un chihuahua se souvient qu'il est issu du loup, et les loups, c'est pas bon pour l'homme, y compris en planche.
La bête, souvent incommodée par la fréquence du skate, choppe la rage et vous course les mollets pour s'en faire une plâtrée de saucisses. Conclusion, attention au cordon noir invisible de la laisse extensible, ralentissement, prise de distance et sourire au chien chien en demandant au maître de bien le tenir ou de l'attacher, surtout s'il vous dit qu'il est gentil comme tout, mensonge éhonté la plupart du temps...
Enfin, il y a les pigeons. Pigeons qui ont trop la confiance, vraiment trop, du coup je vous invite à foncer dessus même si c'est pas beau, juste parce que c'est rigolo. Avec un peu d'imagination, on pense aux mouettes en bord de mer, excepté si vous respirez une grande bouffée après le passage d'un camion de la poste.
N'oubliez pas la flore et sa copine l'architecture urbaine.
Une branche à gros diamètre, et hop, blocage, un parterre de feuilles humides, et hop, dérapage. Avec les choux, les hiboux, les poux, et les genoux, pas de problème, en revanche les cailloux vous en poseront, déterminés à vous stopper la roue avant avec freinage d'urgence sans airbag. Fourbes les pierres qui n'amassent pas mousse, car pas toujours visibles, éloignez-vous de leur zone de méfaits, comme des portes et porches d'immeuble.
Ne roulez pas près des murs, vous risquez des percussions à divers niveaux, de douleur j'entends. Une porte s'ouvre, et c'est votre concierge qui prend le skate dans les chevilles et vous, sa facture de soins dans les dents. Un porche, et là, c'est chair contre acier, la vôtre contre celui de cette voiture qui démarre comme un cheval un jour de grand prix, vous laissant les quatre fers en l'air sur un coccyx douloureux. Prenez vos distances plutôt que de prendre sur vous, envisagez le pire à chaque option pour vous en mettre à l'abri. Rappelez-vous, la vie est un combat, la ville une jungle, mélangez les deux et vous aurez à peu près une idée de ce que représente le mot rider.
Alors attention à votre corps, vous n'en avez qu'un et pas toujours facile à réparer. Ce corps, que vous allez modifier par votre pratique jour après jour, ça va vous changer.
Rider en électrique ne signifie pas se déplacer sans effort. Vos muscles bossent, certains même pour la première fois en fonction du mode de déplacement choisi, et vous le font savoir par des courbatures liées à votre apprentissage. Et puis tout s'arrange, finit les douleurs, bienvenus les grands bonheurs. Votre plaque de chocolat, fondue par des années passées assit au bureau, reprend du poil de la bête et remontre le bout de ses petits carrés. Vos mollets, vos chevilles, retrouvent souplesse et force jusqu'à dépasser leurs anciennes limites.
Votre dos s'est musclé, ne souffre plus, votre équilibre s'améliore jusqu'à repousser des limites que vous pensiez infranchissables. Une fois la maîtrise acquise, la machine et votre corps ne font plus qu'un. Vous profiterez alors de ce travelling géant dans la ville, ou les immeubles semblent bouger à votre place, où les perspectives se tordent, s'enchaînent, vous révélant les secrets de leurs courbes et de leurs profondeurs de champ, qu'ils soient Élysée, ou non. Les éléments reprennent leurs places, Éole vous pousse ou vous repousse, cheveux aux vents, Zeus fait parfois verser ses larmes sur votre destin, tandis que Chronos ne s'y retrouve plus, perturbé par votre inhumaine moyenne réduisant la ville comme une peau de chagrin.
Vous êtes devenu un titan, un géant, dans une ville rétrécie par cette fugace énergie que l'on nomme électricité, ce courant qui alimente une autre énergie, la vôtre, dans un bonheur de liberté totale.

  • Salut Christophe, j'ai bien aimé ton voyage sur ton tapis volant. De toute façon, j'aime ton style. Tu partages ta passion avec une vitalité qui donne envie. Un vrai cours. Bravo. Viens sur le Bassin, tu feras fuir les mouettes.

    · Il y a environ 7 ans ·
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    lyselotte

    • Bah jpeux pas suis pas étanche et mon skate aussi, bizounes

      · Il y a environ 7 ans ·
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      Christophe Paris

  • Epatant. Drôle et sérieux à la fois, écrit avec un rythme qui nous met les deux pieds sur la planche ou la quelconque machine électrique (atomique en quelque sorte). Ça plaira j'en suis sûre…

    · Il y a environ 7 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

  • Un texte au rythme endiablé adapté à l'engin avec déplacement à hauts risques :) et une vigilance de tous les instants ... franchement ça roule, !! Tu devrais assurer ...bravo Christophe

    · Il y a environ 7 ans ·
    W

    marielesmots

    • merci marie c'était marrant à écrire, j'aime bien partagé un peu de tout, là c bien venu !

      · Il y a environ 7 ans ·
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      Christophe Paris

  • Super texte plein de passion et d'humour! Bravo!

    · Il y a environ 7 ans ·
    Poup%c3%a9e des survivantes

    Natacha Karl

  • Merci c'est gentil, partage de passion, on verra à l'oral... :) Ton avis m'encourage et me rassure merci du passage et du com !

    · Il y a environ 7 ans ·
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    Christophe Paris

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