Elle

nat28

Projet Bradbury - Semaine 2

Je n'y crois pas.

Hier soir, elle était là, comme tous les soirs depuis 9 ans d'ailleurs, toute belle, encore chaude après notre folle virée, prête à repartir, n'attendant que mon bon plaisir...

Et ce matin, plus rien.

Elle n'est plus là, elle a... disparu !

Je ne sais même pas  comment réagir, comme si toutes mes émotions s'étaient envolées avec elle. Je reste là, face à son absence, incapable de faire quoi que ce soit, tout en étant très conscient du fait qu'il est urgent que j'agisse. Car il y a surement quelque chose à faire. Il n'est sûrement pas trop tard...

Mais les pensées se bousculent dans ma tête sans réussir à s'organiser, et je sens même mes jambes et mes bras commencer à trembler...

Je ne vais quand même pas faire un malaise !

Je ferme les yeux et je prends cinq grandes respirations pour tenter de me remettre les idées en place. J'ai beau être sceptique quand à l'efficacité des techniques de relaxation vantées par ma sœur, à cet instant, je ne vois rien d'autre pour me venir en aide.

Un... Deux... Trois... Quatre... Cinq...

Cette ré-oxygénation profonde et le fait que j'ai les yeux clos me donne un peu le tournis. Et une idée stupide germe dans mon esprit : peut-être ai-je mal vu ? Peut-être qu'en réouvrant les yeux, je vais la voir, là, devant moi, où elle aurait dû être depuis le début !

Je souris malgré moi avant de jeter un nouveau coup d'eoil...  qui me confirme malheureusement son absence.   

Je n'y crois pas, mais pourtant, je dois me rendre à l'évidence : on a volé ma voiture. 

Comme chaque soir, je l'avais garée devant la maison, à cheval sur le trottoir, après avoir fait une petite virée dans la campagne normande, histoire de faire rugir un peu le moteur sur les petites routes désertes (et sans radar). Je l'avais senti vibrer autour de moi, j'avais caressé son volant recouvert de cuir vieilli et j'avais écouté avec délice la mélodie de sa belle mécanique anglaise.

Et maintenant, elle n'était plus là. 

A la mort de mon père, qui vivait en veuf reclu dans la maison familiale depuis la disparition de ma mère, je m'étais demandé quoi faire de mon héritage.  Je ne me voyais pas aller me perdre au fin fond du bocage dans un petit village paumé, qui plus est dans la maison qui avait vu ma mère souffrir d'un cancer et mon père mourir d'une crise cardiaque. J'avais vingt-cinq ans, j'étais célibataire, et encore un peu adolescent, alors j'avais tout vendu, même mes propres souvenirs, pour faire table rase d'un passé pas très joyeux, et commencer une nouvelle vie. Le petit pécule que j'avais tiré de l'opération aurait pu être employé à m'acheter un appartement dans Rouen, où je venais de décrocher un travail pas trop ennuyeux et assez bien payé. 

Mais pourquoi être raisonnable ? Les placements proposés par mon banquier me semblaient d'un ennui mortel, et j'avais assez fréquenté les cimetières durant les trois années qui venaient de s'écouler.

Alors je m'étais posé une question toute simple : qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Vraiment plaisir ?

Et la réponse était arrivée presque instantanément : une TVR Griffith. Rouge vif. Une vraie voiture d'enfant gâté. J'étais encore un enfant, et j'étais le seul à pouvoir me gâter.

Et voilà qu'après 9 ans, ma TVR disparaissait...

L'assureur m'avait bien dit de louer un garage pour la mettre en sécurité, mais tout comme le banquier, je n'avais pas eu envie de l'écouter. Et puis elle avait dormi dans la rue pendant 9 longues années, je pensais qu'il ne pourrait plus rien lui arriver !

Et voilà, elle n'est plus là.

Je n'y crois pas. 

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