Elle et Lui
Jean Pierre Martinez
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D'abord scénariste, Jean-Pierre Martinez est aujourd'hui auteur de théâtre.
Pour le petit écran, il a écrit une soixantaine d'épisodes de séries : Avocats & Associés, Équipe Médicale d'Urgence, Enquêtes Réservées, Sur Le Fil, Extrême Limite, Studio Sud,
Cap des Pins, La Vie Devant Nous, Indaba, La Dernière Réserve...
Pour la scène, il a écrit quinze comédies : Café des Sports, Come Back, Photo de Famille, Elle et Lui, Strip Poker, Brèves du Temps Perdu, Morts de Rire, Vendredi 13, Le Comptoir, Bed & Breakfast, Les Monoblogues, Sens Interdit, Happy Hour, Eurostar, Le Bocal...
Ses pièces ont déjà été montées par une centaine de compagnies amateurs ou professionnelles, tant en France que dans les pays francophones et hispanophones.
Il est sociétaire de la SACD et membre des Ecrivains Associés du Théâtre.
Toutes ses pièces sont librement téléchargeables sur son site : http://comediatheque.net
Elle et Lui
Monologue Interactif
Une comédie à sketchs
de Jean-Pierre Martinez
Cette comédie met en scène dans chaque sketch un couple
qui peut être toujours le même... ou à chaque fois différent.
Elle est donc interprétable par un nombre variable de comédien(ne)s
Entrée des artistes
1 - Nuit de noces
2 - Le temps des cerises
3 - Panne de télé
4 - Quarantaine
5 - Définition de l'amour (par défaut) et Retrouvailles
6 - Tiens, voilà du Boudin !
7 – Disparition
8 – L'Equipe
9 - Où est-ce qu'on va quand on est mort ?
10 - La saison des pluies
11 - Petit commerce
12 - Coup de vieux
13 – Cauchemar
14 – Les meubles
Sortie de secours
Entrée des artistes
Le noir (et donc le silence) se fait, comme si le spectacle allait commencer. Mais il ne se passe rien pendant un temps assez long pour que le malaise s'installe. La lumière se rallume dans un coin de la salle où un spectateur et une spectatrice qui ne se connaissent pas sont assis l'un à côté de l'autre. L'homme compulse nerveusement l'Officiel des Spectacles. Il regarde sa montre. La femme puise dans un grand pot de pop corn. Elle grignote de façon compulsive et peu discrète.
Lui - Excusez-moi, vous savez ce qui se passe... ?
Elle (avec un geste d'ignorance) - On attend les comédiens...
Lui - Jusqu'à maintenant, il n'y avait que les spectateurs qui arrivaient en retard au théâtre. Si les acteurs s'y mettent aussi...
Silence.
Elle (inquiète) - Je peux voir votre Officiel. Au cas où la représentation serait annulée...
Il lui tend son Officiel. Elle ne sait pas comment le saisir avec son pot géant de pop corn entre les mains.
Elle (lui tendant son pot de pop corn) - Vous en voulez ?
Il hésite, puis accepte, pour la débarrasser. Elle feuillette l'Officiel mais semble s'y perdre. Il mange un pop corn et fait la moue.
Elle (renonçant) - Excusez-moi, j'ai l'habitude de Pariscope...
Lui (avec un air dégoûté) - Je n'aime pas trop le pop corn non plus...
Elle lui rend son Officiel et récupère son pop corn.
Elle - De toute façon, c'est foutu pour une séance de cinoche... Tant pis, je préfère attendre.
Lui - J'espère que ça vaut le coup...
Elle (inquiète) - Les critiques sont mauvaises ?
Lui (regardant derrière lui) - Il n'y a pas grand monde dans la salle...
Elle – Remarquez, les critiques, ça ne veut rien dire, hein... Des fois au théâtre, on voit de ces trucs. Encensés par Télérama. Ça dure des heures. Personne n'ose dire qu'il s'emmerde de peur de passer pour un con. Après, on vous dira : la preuve que c'est une pièce profonde, vous n'avez rien compris.
Lui - Avec la comédie au moins, les gens simples ont parfois de bonnes surprises. Même quand les critiques ont trouvé ça sinistre... C'est très dur de faire rire un critique.
Elle - Vous êtes critique ?
Lui - Pas vous ?
Elle - Comédienne...
Lui – Ah, oui…
Elle - À part les comédiens et les critiques, plus personne ne va au théâtre. Un spectateur sur deux est un acteur. On finira par ne plus savoir où est la scène...
Lui - Vous connaissez la pièce ?
Elle - Non... Mais j'ai une amie qui joue dedans. Je viens la voir... pour lui faire plaisir.
Lui - C'est une actrice connue ?
Elle - Elle fait surtout du théâtre...
Lui - Dans ce cas... (Un temps, soupçonneux) Vous êtes vraiment comédienne ?
Elle (inquiète) - Vous trouvez que je joue mal ?
Lui - Non, non... Vous jouez très bien.
Elle - Comédienne le soir et... gardienne de musée pendant la journée.
Lui - Vu la modernité du répertoire, c'est un peu le même métier...
Silence.
Elle - Je n'ai plus de pop corn.
Lui (soupirant) - On sera peut-être morts de faim avant le début de la pièce.
Elle - Oui, on dirait qu'ils nous ont oubliés...
Lui - Dans quelques années, une femme de ménage retrouvera nos deux squelettes l'un à côté de l'autre, la main dans la main.
Elle - La main dans la main... ?
Lui - En voyant venir la fin, on s'abandonnera peut-être à un élan de tendresse. On est un peu comme deux naufragés sur une île déserte, hein ? On n'a pas tellement le choix...
Elle - Vous croyez qu'ils vont nous rembourser ?
Lui (étonné) - Vous avez payé ?
Elle - Non...
Lui - Dans ce cas...
Ils se lèvent pour partir.
Lui - On pourra toujours revenir un autre jour...
Elle - La pièce ne sera sans doute plus à l'affiche. Vu son immense succès...
Lui - On ira en voir une autre.
Elle - C'est une invitation... ?
Lui (sortant un carton) - Pour deux personnes.
Elle - J'espère que cette fois ça commencera à l'heure... C'est quoi cette pièce... ?
Lui (lisant le carton) – Elle et Lui...
Ils échangent un regard dubitatif.
Elle – Ça n'a pas l'air très gai...
Lui - N'oubliez pas de rallumer votre portable...
Elle – Ah tiens, c'est vrai, j'avais encore oublié de l'éteindre.
Ils s'en vont. Noir dans la salle.
1 - Nuit de noces
Elle et lui s'affalent sur le canapé, visiblement exténués.
Elle - J'ai cru qu'ils ne partiraient jamais...
Lui - Il paraît que sept couples sur dix ne baisent pas pendant leur nuit de noces. Je comprends pourquoi...
Elle - On pourrait peut-être essayer de faire mentir les statistiques...
Lui - Tu oublies qu'on décolle à 6H45... De Beauvais...
Elle - De Beauvais ?
Lui - Je t'ai dit ! J'ai eu les billets avec une enchère sur E.Bay...
Elle - Pourquoi les compagnies low cost décollent de la ville la plus déprimante de France... ? D'un autre côté, c'est vrai que quand tu pars de Beauvais, ça fait rêver d'atterrir n'importe où. Même à Bratislava...
Lui - Il paraît que c'est très beau, Bratislava... Au printemps...
Elle - Tu ne confonds pas avec Prague... ?
Lui - C'est à côté, non ?
Elle - Les Seychelles c'est beau toute l'année... Et je te rappelle que le printemps, c'est que dans deux mois...
Lui - Oh, Les Seychelles... Tout le monde y va...
Elle - C'est sûr qu'un voyage de noces à Bratislava, c'est beaucoup plus original... On ne risque pas de croiser beaucoup de jeunes mariés dans l'avion... Le seul couple qui avait confondu Bratislava avec Brasilia a revendu ses billets sur E.Bay...
Lui - On se paiera Les Seychelles dans quelques années... Pour notre anniversaire de mariage...
Elle - C'est ça, pour nos noces d'argent... Quand je ne pourrai plus rentrer dans mon maillot de bain... (Soupir) La vie est mal faite. On devrait hériter à 20 ans, commencer à travailler à 50 à la fin de sa retraite, et faire des gosses à 70, histoire de pas vieillir tout seul... Et le mariage ferait office de dernier sacrement...
Lui - D'un autre côté, une vie sans belle-mère... Est-ce que ça vaut vraiment la peine d'être vécue... ?
Elle - Tu crois que je t'aimerais encore, dans 20 ans ?
Lui - Est-ce que tu auras encore le choix...? Quand tu ne rentreras plus dans aucun maillot de bain...
Elle - Je connais une fille qui a dit non le jour de son mariage. Pour déconner. Elle voulait dire oui tout de suite après... Mais ça n'a pas du tout faire rire le maire. Elle a dû attendre six mois avant de pouvoir se représenter à la mairie... Il y a un délai de prescription, il paraît. C'est comme pour le permis de conduire. Tu peux pas le repasser tout de suite après l'avoir raté. Tu savais ?
Lui - Non...
Elle - C'était chiant, ce mariage, non ?
Lui - On ne se marie pas pour s'amuser...
Elle - Ne me dis pas que c'est pour partir à Bratislava depuis Beauvais au milieu de la nuit, parce que là, je commencerais vraiment à me demander si j'ai bien fait de dire oui... C'est dans quel pays, au fait, Bratislava ?
Lui - Je ne sais pas trop... Prague, c'était la capitale de la Tchécoslovaquie...
Elle - Alors tu ne sais même pas dans quel pays tu m'emmènes en voyage de noces ! Ma mère a raison, je ne sais vraiment pas où je vais, avec toi...
Lui - Attends... Prague, c'est la capitale de la Tchéquie... Bratislava, ça doit être la capitale de la Slovaquie. Ou de la Slovénie... En tout cas, c'est dans la zone euro ! On n'aura même pas à changer d'argent...
Elle - Et toi, tu m'aimeras encore, dans 20 ans... ?
Lui - Comment ne pas aimer toute la vie une fille qui accepte de me suivre dans un pays inconnu de la zone euro... ?
Elle - Si c'est une épreuve, alors...
Séquence émotion, interrompue par lui.
Lui - Je ne voudrais te presser, mais notre avion décolle dans deux heures. Et Beauvais, ce n'est pas la porte à côté...
2 - Le temps des cerises
Un couple, assis sur un canapé.
Elle - Tu as vu ? Le cerisier est en fleurs.
Lui - Encore une année de passée...
Silence.
Elle - On est heureux… ?
Lui - Oui... (Un temps) On s'emmerde, non ?
Elle - Ensemble ?
Lui - En général.
Elle réfléchit.
Elle - On pourrait changer de canapé...
Lui - Qu'est-ce qu'on ferait de l'ancien ?
Elle - Partir en vacances...
Lui - Ce n'est pas la saison.
Elle - Faire une fête...
Lui - Pour fêter quoi ?
Elle (réfléchissant) - La floraison du cerisier !
Lui - Il paraît que les Japonais font ça, au printemps. Ils invitent des amis à admirer leur cerisier, en sirotant du thé, sans rien dire...
Elle - Il faudrait se dépêcher. Les premières pétales tombent déjà.
Lui - C'est masculin.
Elle - Quoi ?
Lui - Pétale. C'est masculin. Les premiers pétales. (Un temps) Et qui est-ce qu'on inviterait ?
Elle - Des amis.
Lui - Les gens ne sont jamais libres...
Elle - Il suffit de les prévenir à l'avance!
Lui - Tu leur proposes de prendre l'apéritif, ils sortent leur agenda. Au lieu de boire l'apéro, on discute d'une date éventuelle. La semaine d'après, ils te rappellent pour annuler et fixer une nouvelle date... (Un temps) Moi, quand j'ai envie de boire un coup, c'est tout de suite. Dans trois semaines, je n'aurai peut-être plus soif. Il n'y a plus aucune improvisation!
Elle - C'est peut-être parce que les gens ont peur de s'ennuyer, justement...
Lui - Tu verras! Ils ne seront pas libres. Ils te proposeront une date. En attendant, les pétales du cerisier seront par terre.
Elle - Un tapis de pétales, c'est joli aussi.
Lui - Aujourd'hui il fait beau. Quel temps il fera dans un mois ? En plus de faire coïncider les agendas, il faudrait consulter Météo France. Inviter des amis, ça devient encore plus compliqué que de prévoir une éclipse. (Un temps) Non... Plutôt que de risquer de m'amuser avec des tas de gens dans un mois, je préfère encore être sûr de m'ennuyer tout de suite avec toi.
Elle - C'est gentil…
Lui - La dernière fois, mon meilleur ami me laisse un message. Ça faisait six mois que je n'avais pas eu de ses nouvelles. Je le rappelle aussitôt et je lui propose de prendre un café. Il me répond qu'il n'est pas libre, qu'il m'appellera pour fixer une date. J'attends toujours. Je n'ai jamais su pourquoi il m'avait téléphoné...
Elle - Il avait peut-être un coup de cafard... ?
Lui - Je ne sais pas si après son coup de fil, il s'est senti beaucoup moins seul. Dans six mois il me rappellera, et ce sera la même chose. Alors c'est ça qu'on appelle des amis, maintenant ? (Un temps) Internet, c'est pareil, hein ? On nous dit que c'est «convivial». Tu n'adresses pas la parole à ton voisin, mais avec ça, tu vas pouvoir bavarder avec les Chinois en espéranto. Tu en connais beaucoup, toi, des Chinois ?
Elle - Quand j'étais petite, avec mon voisin d'en face, on essayait de communiquer en morse, la nuit, avec des lampes électriques. Ça ne marchait déjà pas très bien...
Lui - Les gens sont surbookés en permanence. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien avoir à faire de tellement intéressant, au point de ne jamais avoir le temps de prendre un verre avec leur meilleur ami à l'improviste. Moi, j'essaie de rester disponible. Mais personne n'est jamais libre. Alors je m'emmerde... Tu ne t'ennuies pas, toi ?
Elle - Avec toi, jamais...
Silence.
Lui - Et si on se le prenait quand même, cet apéro ?
Elle - Tous les deux ?
Lui - Tu serais libre ?
Elle - Quand ?
Lui - Tout de suite.
Elle - Pas de problème.
Lui - Je vais chercher les verres.
Elle - Je m'occupe des cacahuètes.
On sonne.
Lui - On attend quelqu'un ?
Elle - Non. Qui ça peut bien être à cette heure-ci ? On va bientôt passer à table.
Il fait signe qu'il ne sait pas.
Lui - Les gens sont d'un sans gêne. On ne peut pas être tranquille cinq minutes, même le week-end.
Elle - Je vais aller ouvrir...
Lui - Je ne suis là pour personne.
Elle se retourne vers lui.
Elle - Et si c'est un ami ?
Il réfléchit.
Lui - Tu lui dis que notre cerisier du Japon est encore en fleurs... Et qu'il repasse quand il aura des cerises.
3 - Panne de télé
Un couple assis sur un canapé. La pièce est vide de tout autre meuble. Ils ne font rien, ne disent rien, et regardent fixement droit devant eux.
Elle - Qu'est-ce qu'il y a, ce soir, à la télé ?
Lui - Je ne sais pas. Pourquoi ?
Elle - Pour savoir... (Un temps) Tu ne veux vraiment pas qu'on en rachète une ?
Lui - Quand on avait la télé, on ne pouvait pas s'empêcher de la regarder!
Elle - C'est fait pour ça, non ?
Lui - On était complètement abrutis! On ne faisait rien d'autre!
Ils regardent toujours fixement droit devant eux.
Elle (ironique) - Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
Lui - Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?
Elle - Rien...
Lui - C'est déjà mieux que de regarder la télé... (Un temps) Quand il n'y avait qu'une chaîne, encore, ça allait. Maintenant avec le câble...
Elle (nostalgique) - Quand j'étais petite, on n'avait pas la télé. J'allais la regarder chez mon voisin...
Lui - Tu veux que je demande au voisin si tu peux aller regarder la télé chez lui ?
Silence.
Elle - On pourrait discuter.
Il lui lance un regard inquiet.
Elle - Puisqu'on n'a plus de télé, on pourrait en profiter pour discuter.
Lui - Vas-y, commence.
Elle réfléchit.
Elle - Tu m'aimes ?
Lui (interloqué) - On pourrait peut-être commencer plus progressivement...
Il réfléchit.
Lui - Qu'est-ce qu'on mange, ce soir ?
Elle - Mercredi, c'est le jour du poisson.
Lui - Normalement, c'est le vendredi...
Elle - Le vendredi, c'est poulet.
Lui - C'est pas très catholique, tout ça...
Silence.
Lui - Qu'est-ce que je prends comme poisson ?
Elle - J'irai. Il faut que j'achète des lentilles.
Lui - Chez Picard ?
Elle - Chez l'opticien... Je ne suis pas trop surgelés, en ce moment...
Lui – A propos de surgelé, tu as entendu parler de ce type qui s'est fait congelé ?
Elle - Il devait déjà être un peu givré. Si je prenais des maquereaux au poivre ?
Lui - C'est pas trop épicé ?
Elle - C'est poivré.
Silence.
Lui - Si un jour tu me trompais, tu me le dirais ?
Elle le regarde, surprise.
Elle - Tu veux dire : si tu me trompais, est-ce que je voudrais que tu me le dises ?
Lui - Aussi, oui...
Elle - Pourquoi tu me demandes ça ?
Lui - Comme ça, pour parler... Comme on n'a plus la télé.
Elle réfléchit.
Elle - Comment veux-tu que je réponde à cette question ?
Lui - Par oui ou par non.
Elle - Tu crois vraiment que c'est aussi simple que ça ?
Lui - Non ?
Elle - Répondre, c'est accepter déjà la possibilité que tu me trompes.
Lui - Et alors ?
Elle - C'est comme si tu me demandais : si je t'assassinais, tu préférerais que j'aille me livrer à la police après ou que j'essaie d'échapper à la justice ?
Il n'a pas l'air de comprendre le rapport.
Elle - Ça suppose que j'envisage tranquillement la possibilité que tu m'assassines. C'est ça la vraie question. La deuxième, est annexe.
Lui - Un adultère, ce n'est pas un crime, tout de même.
Elle - L'adultère conduit parfois au crime...
Il réfléchit, un peu inquiet.
Lui - Si je te trompais, tu pourrais me tuer ?
Elle - En tout cas, si je le faisais, j'irais certainement me livrer à la police après. La justice a toujours été très clémente pour les crimes passionnels...
Silence.
Elle - Donc, tu envisages tranquillement la possibilité de me tromper.
Lui - 95% des animaux sont polygames. Le reste ne vit en couple que le temps d'élever les gosses. Ça prouve bien que la fidélité, ce n'est pas un truc naturel...
Elle - On n'est pas des animaux.
Lui - Il y a quand même 5% d'animaux monogames. Ça ne fait pas d'eux des humains pour autant. Pourquoi la fidélité serait un critère d'humanité ?
Elle - C'est le fondement de la famille, qui est le fondement de la société.
Lui - Alors tu m'es fidèle par civisme ?
Silence.
Elle - Ça te pèse tant que ça, la fidélité ?
Lui - Non... Je me demande seulement si la fidélité a le même sens pour les hommes et pour les femmes.
Elle - Et alors ? Pourquoi les hommes sont fidèles, à ton avis ? Quand ils le sont, bien sûr...
Il réfléchit.
Lui - Pour éviter les complications... ?
Silence.
Lui - Je me demande si on ne ferait pas mieux de racheter une télé.
4 - Quarantaine
Elle est assise sur le canapé. Il arrive.
Lui - C'est dingue, je viens encore d'avoir un coup de fil d'un ami d'enfance qui m'invite pour ses 40 ans. C'est incroyable, non ?
Elle - Si vous aviez 20 ans à la même époque, ce n'est pas très étonnant que 20 ans après vous en ayez 40 à peu près en même temps.
Lui - Non, ce qui est dingue, c'est que je n'avais plus aucune nouvelle de tous ces gens depuis des années... Et là, le téléphone n'arrête pas de sonner!
Silence.
Elle - Tu vas y aller ?
Lui - Ça me fait un peu peur. Ils ont dû changer, depuis tout ce temps.
Elle - Physiquement, tu veux dire ?
Lui - Physiquement, moralement... J'espère qu'ils ne sont pas trop décrépis.
Elle (minaudant) - Et moi ? Tu es sûr que je suis pas trop décrépie ?
Lui - Toi, j'ai eu le temps de m'habituer petit à petit. Mais eux, comme ça, tout d'un coup... C'est carrément Le Retour des Morts Vivants... C'est bizarre, ce besoin subit de se rassembler à l'approche de la quarantaine.
Elle - Ça s'appelle un anniversaire, non ?
Lui - On dit que les animaux se rapprochent des hommes en sentant venir la fin. Ça doit être quelque chose ça. Une sorte d'instinct grégaire. (Un temps) Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui offrir à celui-là, encore ?
Elle - Une convention-obsèques... ?
Lui - C'est cher, non ?
Elle - Je plaisante… Et toi ?
Lui - Moi aussi.
Elle - Non, je veux dire : Et toi, tu comptes faire quelque chose pour tes 40 ans ?
Lui - Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Tu as une idée pour empêcher ça ? En tout cas, je t'en prie, tu ne me prépares pas de fête surprise, hein... ? Si je ne vois plus tous ces gens depuis 20 ans, il y a sûrement une bonne raison.
Silence.
Lui - Tu as quel âge, toi, exactement ?
Elle le regarde, offusquée, mais ne répond pas.
Elle - Il faudrait peut-être qu'on invite les voisins à dîner, un de ces soirs.
Lui - Pourquoi ?
Elle - Pour rien!
Lui - Eux, ils ne nous ont jamais invités.
Elle - Avec des raisonnements comme ça...
Silence.
Lui - Ce n'est pas parce qu'on est voisins qu'on est obligés d'être amis.
Elle - Tous nos amis habitent à cinq cents kilomètres ! C'est sympa d'avoir des amis à côté de chez soi...
Lui - Oui, c'est pratique... Ça limite les frais de déplacement. Donc la pollution. On pourrait presque dire que c'est écologique, de sympathiser avec ses voisins.
Silence.
Lui - Qu'est-ce qu'il fait, lui, au juste ?
Elle - Je ne sais pas exactement. Je le vois partir tous les matins avec une mallette. Je ne sais pas où il va. La prochaine fois, je lui demanderai, si tu veux...
Lui - Et elle ?
Elle - Ils sont très discrets...
Lui - Ça risque d'être joyeux, ce dîner. Si on ne veut pas paraître intrusifs...
Elle - Tu pourras toujours parler de toi.
Lui - Ils ont des enfants, non ?
Elle - Tous les jours, il y en a trois qui sortent de chez eux pour aller à l'école. Je suppose que ce sont les leurs.
Lui - Ah oui... Un petit, un moyen et un grand... (Inquiet) Il faudra les inviter aussi ?
Elle - Non! On leur précisera que c'est une soirée entre adultes. Ça les mettra à l'aise.
Lui (pris d'un doute) - Tu me parlais bien des voisins d'en face ?
Elle - Des voisins d'à côté! Les voisins d'en face, ils ont déménagé il y a six mois, après leur divorce. Tu n'as pas vu le panneau à vendre ?
Lui - Non.
Elle - D'ailleurs, ils n'avaient pas d'enfants.
Lui - Ah, ouais... ?
Silence.
Elle - Ce ne serait pas la semaine ménage, par hasard ?
Lui - Ce n'est pas impossible. (Soupirant) Le ménage, c'est le ciment du couple... La preuve, un couple, on appelle ça un ménage. Quand on est trois, un ménage à trois.
Elle - Trois, ça peut aussi être un couple avec un enfant...
Lui - Chacun ses fantasmes.
Silence.
Elle - Alors ?
Lui – Tu crois vraiment qu'on a les moyens d'avoir un enfant en ce moment ?
Elle – Ce n'est pas une question d'argent, tu le sais bien… Et puis on n'est pas si pauvre que ça…
Lui – On le sera avec une ribambelle de gosses…! Regarde ce qui se passe en Afrique, avec la natalité galopante... J'ai lu un bouquin, il y a des années : «L'Afrique Noire Est Mal Partie». Eh ben ça ne s'est pas arrangé depuis… Aujourd'hui, plus personne ne pense sérieusement que l'Afrique pourrait aller quelque part… Sauf avec la dérive des continents… Plus les gens ont d'enfants plus ils sont pauvres…
Elle – Tu es sûr que ce n'est pas l'inverse ?
Lui – En tout cas, si les pauvres ne faisaient pas d'enfants, au bout d'une génération, tout le monde serait riche... Prends les chinois. Ils n'ont plus droit qu'à un enfant. Eh bien ça va déjà mieux...
Elle – Alors commençons par en faire un…
Lui - Quand est-ce qu'on s'en occuperait, de cet enfant ? On n'a déjà pas le temps de passer un coup de balai ?
Elle - On prendrait une femme de ménage.
Lui - Où est-ce qu'on le mettrait, ce bébé ?
Elle - Tu pourrais installer ton bureau en bas.
Lui - Ça commence bien... Et toi ? Tu comptes arrêter de travailler ?
Elle - On prendra une nourrice.
Lui - En plus de la femme de ménage ? Ce n'est plus un ménage à trois, là, c'est une PME! Je ne suis pas sûr d'avoir l'esprit d'entreprise...
Silence.
Lui - On ne pourra plus sortir le soir.
Elle - On prendra une baby-sitter.
Lui - Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point la natalité avait un effet direct sur l'emploi.
Elle - Et sur la consommation...
Lui - Couches, petits pots, jouets, soins médicaux...
Elle - Nouvelle voiture...
Lui – Finalement, tu as raison, je crois que cet enfant est capable de sortir le pays de la crise...
5 - Définition de l'amour (par défaut)
Lui (à une interlocutrice imaginaire) - Ça fait combien de temps qu'on se connaît ? Vingt ans, au moins, non ? (Silence) Pourquoi on a jamais couché ensemble, au fait ? C'est vrai, on s'entend bien... On aurait même pu se marier! C'est marrant, je te vois un peu comme une ex. Alors qu'on n'est jamais sortis ensemble... On a failli, une fois, tu te souviens ? Tu m'avais fait boire. A moins ce ne soit le contraire. On a fini chez toi, complètement bourrés. On a rigolé comme des bossus pendant toute la nuit, mais on a oublié de coucher ensemble. C'est peut-être parce qu'on s'entend trop bien, justement. Ça manquerait un peu de piment. On s'ennuierait, à la longue. C'est vrai, on se marre bien, tous les deux, mais... Je ne m'imagine pas en train de faire l'amour avec une fille qui se marre. Bon, il y a rire et rire. Je peux faire rire une fille pour coucher avec elle. Mais alors coucher avec une fille qui me fait marrer...! Non, si je couchais avec toi, j'aurais l'impression de coucher avec un copain. Avec une copine, si tu préfères. Et puis je n'aime pas les blondes. Je sais, tu n'es pas blonde. Mais tu l'étais quand je t'ai rencontrée... J'ignorais que ce n'était pas ta couleur naturelle, moi! A quoi ça tient, hein ? Ce n'est pas que je n'aime pas les blondes, mais... Ça dépend. Ça devait être la couleur. Tu étais un peu trop blonde pour moi. Les filles trop blondes, je ne sais pas, ça me dégoûte un peu. Physiquement. Je ne sais pas pourquoi… Ça doit être une question de peau. Maintenant, c'est trop tard. Je t'imaginerai toujours dans la peau d'une blonde qui s'est faite teindre en brune. Et puis tu n'es pas vraiment brune... C'est pas châtain, non plus. Je ne sais pas comment appeler ça... C'est ni blond ni brun. Ce n'est pas que tu ne me plais pas, hein ? D'ailleurs, tu plais à tous les mecs. D'habitude, c'est plutôt motivant... Mais là, non. Non, je n'arrive pas à définir exactement pourquoi je n'ai jamais eu envie de coucher avec toi… Ça doit être ça, l'amour… Je veux dire, le «je ne sais quoi» qui fait qu'on a envie de baiser ensemble, ou plus si affinité. On a réussi à cerner ce que c'était, dis donc! Par défaut... Maintenant, pourquoi je me suis marié avec ma femme plutôt qu'avec toi ou une autre, alors là ? Bon, déjà, à elle, je lui plaisais. C'était moins compliqué. Si je ne lui avais pas plu, est-ce que je me serais accroché... ? Et si je m'étais accroché, est-ce que ça lui aurait plu... ? On ne le saura jamais. L'amour partagé, c'est plus simple, mais c'est moins... Comment dire... ? A vaincre sans péril, on a le triomphe modeste. D'ailleurs, je me demande ce qu'elle a bien pu me trouver ? Tu as une idée, toi… ? Je pourrais lui demander, tu me diras, mais... Si elle me retourne la question... Des fois, il y a des sujets qu'il vaut mieux ne pas aborder. Un peu de mystère, dans le couple, ça ne peut pas nuire. Enfin, il ne faut pas exagérer, non plus. Une fois je suis sorti avec une fille. Au bout d'un an, elle m'a plaqué. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a répondu qu'elle s'emmerdait au lit avec moi. Un an! Il y a des limites à la discrétion... Alors maintenant, pourquoi elle est sortie avec moi pendant un an ? Je n'ai même pas pensé à lui demander... Il devait quand même bien y avoir une raison! Ou alors elle m'a menti. Sur mes performances sexuelles, je veux dire... Pour se venger… Je ne dis pas ça parce que ça m'a vexé dans mon orgueil de mâle, hein ? Ça m'a un peu surpris, c'est tout. C'est vrai, j'ai plutôt la réputation d'être un bon coup. Et toi ? Non, je veux dire, et toi, tu ne veux vraiment pas me dire pourquoi tu n'as jamais eu envie de sortir avec moi ? (Inquiet) Tu n'es pas obligée de me répondre, hein ?
Et Retrouvailles
Elle arrive, avec un grand sourire.
Elle (ravie) - Tu me reconnais ?
Lui (se retournant embarrassé) - Non.
Elle (avec un air entendu) - C'était il y a quelques années, mais bon...
Lui - Ah, oui, peut-être...
Elle (un peu offusquée) - Peut-être ?
Lui - Si, si, ça me revient, oui... Comment ça va ?
Elle - Ça va. Qu'est-ce que tu fous là ?
Lui - Ben, rien. Et toi ?
Elle (inquiète) - J'ai changé à ce point là ?
Lui - Non, pourquoi ?
Elle - Tu n'avais pas tellement l'air de me reconnaître, tout à l'heure.
Lui - Excuse-moi, je ne m'attendais pas à te revoir, c'est tout.
Elle - En tout cas, toi, tu n'as pas changé, hein ?
Lui - Merci...
Elle - Alors, qu'est-ce que tu deviens ?
Lui - Bof, toujours pareil...
Elle - Toujours aussi bavard, hein ?
Il ne sait pas quoi dire.
Elle - Tu es revenu il y a longtemps ?
Lui - D'où ?
Elle - Ben, de là-bas!
Lui - Ah, euh... Oui. Enfin, non.
Ils se sourient bêtement, gênés.
Elle (émue) - Ça m'a fait plaisir de te revoir.
Lui (gêné) - Moi aussi...
Elle (sur un ton entendu) - Il faut que j'y aille, là, on m'attend.
Après une hésitation.
Elle - On s'embrasse ?
Lui - Ok...
Le prenant par surprise, elle lui roule un patin.
Elle (pathétique) - A une autre fois, peut-être.
Lui (perturbé) - Peut-être, ouais...
Elle - Bon ben, salut Paul!
Elle se détache de lui, les larmes aux yeux.
Lui - Ouais, salut.
Elle s'en va. Ils se font des petits signes. Il reste seul.
Lui (interloqué) - Paul ?
6 - Tiens, voilà du Boudin !
Un couple, admirant contre un mur invisible quelque chose qu'on ne voit pas.
Lui - C'est Bonnard, hein ?
Elle - Non, c'est...
Elle s'approche et, se penchant, lit le nom du peintre sous le tableau.
Elle - Picasso.
Lui - Ah, oui...
Ils admirent longuement le tableau, puis passent à un autre.
Elle (joueuse) - Tu essaies de deviner ?
Lui - Si tu veux...
Il regarde le tableau attentivement.
Lui - Miro ?
Elle - C'est toi qui deviens miro. Faudrait penser au double foyer...
Lui - Milo ?
Elle - Milo! Tu veux dire Millet ?
Lui - Ah, oui! Je confonds toujours. L'Angélus de Millet, et la Venus de Milo.
Ils passent à un autre tableau.
Lui - A toi ?
Elle regarde avec attention.
Elle - Manet... ?
Il regarde le nom sous le tableau.
Lui (corrigeant) - Monet!
Elle - Oh...! C'est un peu pareil, non ?
Ils passent à un autre tableau.
Elle (très sérieusement) - Tiens, voilà du Boudin...
Il la regarde, interloquée, puis ils regardent tous les deux le tableau.
Elle - C'est bien, hein ?
Lui - Oui, c'est...
Elle - C'est du Boudin.
Lui - Oui...
Silence.
Elle (pensif) - Je me demande toujours...
Lui - Quoi ?
Elle - Si je ne savais pas que c'était du Boudin, est-ce que je trouverais ça aussi bon.
Il la regarde sans comprendre.
Elle - Si j'ignorais que ces tableaux valent des milliards! Franchement, imagine que tu n'aies jamais entendu parler de La Joconde. Tu tombes dessus dans une brocante. À vendre. Cinq cents balles. Est-ce que tu peux affirmer, sincèrement, que tu l'accrocherais au-dessus de ta cheminée ? Cette gourde avec son sourire idiot ?
Il réfléchit.
Lui - On n'a pas de cheminée, de toutes façons...
Elle - Non, il faut être honnête, on a beau avoir visité des dizaines de musées et des centaines d'expositions, est-ce qu'on ferait vraiment la différence entre une croûte et un chef-d'oeuvre... ?
Lui - On ne saura jamais. On ne voit que des chefs-d'oeuvre, dans les musées. C'est un tort, d'ailleurs. Dans chaque musée, ils devraient réserver une salle pour exposer exclusivement des croûtes. Le principe du test placebo, tu vois ? Histoire de vérifier si les autres tableaux sont vraiment beaux, ou si on les trouve beaux seulement parce qu'on nous a dit qu'ils l'étaient.
Elle - Oh... De toutes façons, les musées, c'est comme les églises, hein ? On y va surtout pour l'ambiance.
Lui - On n'a pas besoin d'être croyant pour être pratiquant, heureusement... C'est comme pour l'amour...
Elle le regarde, pas sûre de bien comprendre.
Lui - Non, je veux dire, c'est comme pour le mariage... Regarde-nous... On s'est bien mariés à l'église... Et pourtant on ne croit pas vraiment en Dieu...
Silence.
Elle - Tu te souviens de notre premier rendez-vous ? Tu m'avais emmenée au musée Picasso...
Lui (nostalgique) - Ah, oui...
Elle - On était tellement émus... Ce n'est qu'à mi-parcours qu'on s'est rendu compte que c'était le musée Carnavalet...
Lui - Eh, oui... Ils sont tous les deux dans le marais...
Elle (amusée) - Je commençais à me demander pourquoi les préliminaires duraient si longtemps...
Lui - Les préliminaires... ?
Elle - Enfin, je veux dire, euh... Picasso... Sa première période...
Lui - Ah, oui...
Silence. Ils commencent à s'éloigner.
Elle - Tu as entendu parler de cet artiste qui peint sous la mer ?
Il ne comprend pas bien.
Elle - Il a une combinaison d'homme-grenouille, il plante son chevalet sur les fonds marins et il peint des coraux.
Lui - Des Corots ?
7 - Disparition
Un couple, assis sur un canapé. Ils ne parlent pas et ne se regardent pas. Ils semblent s'emmerder. Il se met à chercher quelque chose, mais ne le trouve pas.
Lui - Tu n'aurais pas vu la télécommande ? Elle a disparu...
Elle le regarde, étonnée.
Elle – Mais… on n'a plus de télé!
Lui - Ah oui, c'est vrai...
Silence.
Lui - Qu'est-ce que tu ferais si je disparaissais ?
Elle le regarde, interloquée.
Elle - Comme la télécommande ?
Lui - Mais non, pas comme la télécommande! Si je disparaissais, tu vois ce que je veux dire...
Elle - Tu ne te sens pas bien ?
Lui - Si, si, ça va. C'est juste une hypothèse.
Elle - Tu n'as pas une hypothèse plus gaie ?
Lui - Je suis plus vieux que toi. Je partirai sûrement avant.
Elle - On n'a que trois ans de différence...
Lui - Les femmes vivent plus longtemps que les hommes! Et puis je peux avoir un accident. Une crise cardiaque. Un cancer.
Elle - Moi aussi!
Lui - Oui, mais c'est moi qui ai posé la question le premier.
Elle - Je ne sais pas. Il sera toujours temps d'y penser.
Lui - Il vaut mieux prévenir...
Elle le regarde, ne comprenant pas.
Lui - Je veux dire, il vaut mieux prévoir.
Silence.
Lui - En tout cas, je te préviens, je préfère être incinéré.
Elle - Pourquoi tu me dis ça maintenant ?
Lui - Ben, je ne vais pas te le dire après, hein ? (Un temps) C'est ma hantise, ça. D'être enterrer vivant. Pas toi ?
Elle - Ça ne doit pas arriver très souvent.
Lui - Il suffit d'une fois.
Elle - Et d'être brûlé vif, ça ne t'angoisse pas ?
Il la regarde, inquiet.
Lui - Je n'avais jamais pensé à ça... (Un temps) Tu crois qu'il y a une vie après la mort ?
Elle - Est-ce que c'est vraiment à souhaiter... ?
Lui - Tu n'aurais aucun souci à te faire du point de vue financier, tu sais...
Elle (surprise) - S'il y avait une vie après la mort, tu veux dire ?
Lui - Si je venais à disparaître!
Elle - Ah, oui... Je n'étais pas inquiète.
Silence.
Lui - Je ne t'en voudrais pas si tu te remariais.
Elle - Merci.
Lui - Enfin, vous n'êtes pas obligés de vous mariés, non plus.
Elle - Qui ça, nous ?
Lui - Toi et lui. Le type avec qui tu te recaserais. Autant garder ton indépendance.
Elle - Quelle indépendance ?
Lui - C'est marrant, j'ai du mal à t'imaginer avec un autre mec, quand même...
Elle (vexée) - Tu crois que personne ne voudrait de moi ?
Lui - Si, si. justement. En fait, je pense que je serais jaloux.
Elle - Quand tu seras mort, tu seras jaloux ?
Lui - Oui...
Elle - Et si je disparaissais avant toi ?
Lui (de mauvaise foi) - Là, tu me prends de court. (Un temps) Si je me recasais, tu m'en voudrais ?
Elle - Je ne serais pas là pour le voir.
Lui - Mais tu serais jalouse... ?
Elle le regarde, méfiante, mais ne répond pas.
Lui - Avec qui tu me verrais ?
Elle - Tu veux que je te présente une copine, au cas où, c'est ça ?
Lui - Ben, pour les enfants, il y a les parrains et les marraines... Pour les députés, c'est pareil. Il y a les suppléantes. S'il y en a un qui meurt ou qui démissionne, on a immédiatement une remplaçante. C'est prévu...
Elle - Oui... Pour les voitures, il y a les roues de secours. En cas de crevaison... (Inquiète) Tu n'es pas en train de me dire que tu m'as déjà trouvé une suppléante... ?
Lui - Ben, ce n'est pas si évident, que ça, hein ?
Silence.
Lui - L'avantage avec la bigamie, c'est qu'en cas de décès, on n'est qu'à moitié veuf.
Elle le regarde, sidérée.
Elle - Oui...
8 - L'Equipe
Elle lit Elle. Il s'emmerde, hésite et ouvre L'Equipe. Elle le remarque et paraît surprise.
Elle - Tu achètes L'Equipe, maintenant ?
Lui (comme pris en faute) - Pourquoi je n'achèterais pas L'Equipe ?
Elle (incrédule) - Et... tu comptes le lire.
Lui – Je le feuillette... Pour voir...
Elle - Pour voir quoi ?
Lui - Je ne sais pas. Tous les mecs lisent ça, dans le métro. J'étais curieux de savoir ce qu'il y avait de si passionnant là dedans...
Elle - Et tu as trouvé ?
Lui - Non...
Elle a l'air consternée.
Elle - Tu t'intéresses au sport ?
Lui - Très peu...
Elle - Alors ce n'est pas étonnant que tu ne vois pas l'intérêt de lire L'Equipe...
Il pose son journal.
Lui - Oui, enfin... S'intéresser au sport, c'est une chose. De là à éprouver tous les matins le besoin impérieux de savoir si Bordeaux a battu Bègles 3 - 2 ou s'ils ont fait match nul... (Un temps) Je ne sais même pas où c'est, Bègles...
Elle - C'est à côté de Bordeaux...
Lui (surpris) - Comment tu sais ça, toi...,
Elle (comme une évidence) - Ben, à cause de Mamère !
Lui - Ta mère habite à côté de chez nous !
Elle - Mamère, le maire... Le maire de Bègles, tu sais bien...
Lui - Ah oui...
Silence. Elle se replonge dans son magazine.
Lui - Qu'est-ce que tu en pense, toi ?
Elle - Oh, moi, tu sais, le foot...
Lui - Du mariage homosexuel !
Elle - Ah... Oh, je me demande si c'est vraiment la solution...
Lui - Pour qui ?
Elle (surprise) - Ben pour les homosexuels !
Il se replonge dans L'Équipe. Elle commence à être sérieusement inquiète.
Elle - Mais pourquoi ça te travaille tellement, tout d'un coup, de comprendre pourquoi les hommes lisent L'Equipe ?
Lui - Il faut croire que j'ai besoin d'être rassuré sur ma virilité...
Elle - Eh ben c'est raté!
Lui - Merci...
Elle (pour le réconforter) - Ecoute, on peut être un homme sans lire L'Equipe !
Lui – Tu crois... ?
Elle réfléchit.
Elle - Je ne sais pas... Tu veux que je t'abonne à Auto-Magazine ?
Il la regarde, se demandant si elle se fout de lui. Elle reprend la lecture de Elle.
Lui - Et toi ?
Elle - Quoi, moi ?
Lui - Quel intérêt tu trouves à lire Elle ?
Elle le regarde.
Elle - Tu le lis aussi...
Lui - Oui, oh... C'est juste pour rigoler un peu...
Elle - Moi je ne lis pas L'Equipe... Même pour rigoler un peu...