En Grève

Stéphane Rougeot

Un couple passe une crise difficile. Comme si cela ne suffisait pas, il doit également jongler avec un frère envahissant, une vieille amie de passage et des grèves à répétition.


La scène présente la terrasse d'une maison individuelle dans un quartier résidentiel d'une petite ville de province.

Au milieu, sous une tonnelle, une table de jardin avec six chaises autour. Entre la table et le public, un peu de verdure et quelques fleurs.

Au fond, une baie vitrée ouverte donne sur le salon.

Côté jardin, une haie. Entre la haie et la table, une banquette balancelle.

Côté cour une porte vers le garage ainsi qu'un barbecue.

Acte 1

Fin de matinée. Le soleil brille, les oiseaux chantent. C'est une belle journée d'été prometteuse.

Scène 1

Daniel arrive par la porte du garage. Il porte une paire de lunettes de soleil sur le nez ainsi qu'une petite sacoche en cuir en bandoulière. Son visage est fermé. Il s'assied sur une chaise, retire ses lunettes et les jette d'un geste négligé sur la table. Il dépose sa sacoche à côté. Il se lève, va s'asseoir dans la banquette. Il soupire. Il se lève, tourne autour de la table deux fois, puis revient sur la même chaise. Il prend sa sacoche, la tourne et la retourne dans ses mains, puis la repose exactement où elle était.

Daniel (à lui-même) — Mais oui… Mais non…

Daniel se lève, fait à nouveau le tour de la table, s'arrête devant le barbecue et l'observe, puis retourne s'asseoir dans la banquette.

Daniel croise ses jambes dans un sens, puis dans l'autre sens, puis revient au premier sens et fait basculer légèrement la banquette.

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — On va y arriver, on va trouver une solution, hein !

Daniel se lève, s'approche de la haie, puis se retourne.

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — Tu sais, ma puce, ça arrive de plus en plus, ce genre de choses. On n'est pas les seuls dans ce cas.

Daniel fait encore le tour de la table, puis vient se planter dans l'espace vert.

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — Bon, c'est vrai que généralement, c'est la faute à l'un des deux plus particulièrement.

Daniel (à lui-même) — Comme ça au moins on peut blâmer quelqu'un, tandis que là, on cherche à qui on en veut, mais y a personne. Ah, si ! On va pointer du doigt…

Daniel pointe un doigt vers le ciel.

Daniel (à lui-même) — Le Tout-Puissant ! Mais c'est facile. Surtout qu'Il a forcément une raison de faire ça, et tant qu'on aura pas trouvé laquelle, on sera pas plus avancés.

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — Il a dit quoi le toubib, déjà ? Un problème de compatibilité ? Oui, je sais ce que tu vas encore dire : pourquoi on s'est mariés ensemble ? Mais c'est justement nos différences qui nous ont rapprochés, tu peux pas le nier !

Daniel (à lui-même) — après on va dire que je fais rien pour que ça tienne, mais je me bats depuis le début. Je fais concession sur concession dans l'unique but que ça marche. Elle en fait aussi, je sais bien, mais des fois elle y met de la mauvaise volonté. Ah, quand elle fait sa femme, j'arrive plus à la comprendre ! Pourquoi on est pas fait pareils, les hommes et les femmes, bon sang ? Oui, non, c'est con ce que je dis, sinon on serait tous homosexuels et ça serait dur de se reproduire…

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — Ma puce ? Tu m'entends ?

Daniel (à lui-même) — Où elle est passée…

Daniel prend son téléphone dans sa poche et tape un SMS.

Daniel (à lui-même) — On fait son fainéant de lui envoyer un SMS alors qu'elle est à côté, mais c'est tellement pratique, ces machins-là...

Daniel envoie le SMS et attend, mais rien ne se passe.

Daniel envoie un autre SMS, puis encore un, et au bout d'un moment, la sacoche posée sur la table émet plusieurs bruits d'aboiement.

Daniel (à lui-même) — Ah, merde, c'est vrai qu'elle m'a donné son téléphone parce qu'elle avait pas de poche, ce matin.

Daniel sort le téléphone de la sacoche, regarde les notifications, puis le pose sur la table.

Daniel (haussant la voix, en direction du salon) — Ma puce ? T'es où ? T'es pas en train de déprimer, quand même ?

Scène 2

Leïla entre sur scène par la porte du garage. Ses gestes sont détendus et son visage serein. Peut-être un peu exagérément serein.

Leïla — Déprimer ? Qui c'est qui déprime ? Toi ? Parce que moi, ça va très bien, je t'assure !

Daniel — Ah, ma puce, t'étais là ?

Daniel pointe une main vers le salon.

Daniel (à lui-même) — Et moi qui cause par là depuis une heure !

Daniel se tourne vers Leïla.

Daniel — Non, au contraire. je me porte comme un charme. Il n'y a que des solutions qui s'offrent à nous, alors tout va pour le mieux !

Leïla — Que des solutions ? Sans problème, pourquoi on aurait besoin de solutions ?

Daniel — Tu prends les choses plutôt bien, ma puce.

Leïla — Les choses ? Quelles choses ?

Daniel — Ben le docteur et…

Daniel réalise que Leïla le mène en bateau.

Daniel — Ah, tu me taquines… Hé ! Hé ! Mais fais quand même attention de pas tomber dans le déni, hein.

Leïla — Non je te taquine pas : tout va très bien, je t'assure. On a uniquement ce que Dieu a prévu pour nous, un point c'est tout. Je vois aucun déni là-dedans. De toute façon, j'assume tout ce qui s'est passé ce matin.

Daniel — Absolument tout ?

Leïla — Oui, ben il s'est pas passé grand-chose avant qu'on parte. Un peu de fatigue, sans plus. Ça t'arrive jamais, à toi ?

Daniel — Ça arrive, oui. Mais je vais quand même te surveiller un peu. Faudrait pas que tu nous fasses une petite dépression.

Leïla se plante à côté de Daniel.

Leïla — Je te le répète : tout va bien. Tu peux lire sur mes lèvres ? Tout va bien. J'avais peut-être juste besoin de l'entendre, mais au fond de moi je m'en doutais un peu.

Daniel — Tu te doutais de quoi ? Qu'on était pas compatibles ? Comment tu pouvais le savoir ? T'es allé lire dans nos gênes ?

Leïla — Rends-toi à l'évidence : tout nous sépare. On a pas la même origine, pas la même culture, pas la même éducation. Tu fais sans arrêt des références à des films ou des musiques que je connais pas. On a pas les mêmes goûts, pas les mêmes centres d'intérêt… D'ailleurs, je me demande souvent pourquoi…

Daniel (coupant Leïla) — Pourquoi on s'est mariés ? Oui, je connais la chanson, à force de l'entendre. Mais t'oublies un peu vite tous les bons moments qu'on passe ensemble, tout ce qu'on s'apprend mutuellement et tout ce qu'on découvre l'un grâce à l'autre.

Leïla — Non, j'oublie rien du tout.

Leïla s'assied sur une chaise.

Leïla — Au fait, tu sais pas où j'ai mis mon téléphone ? Je le retrouve pas. Il est pas dans la voiture ni dans la chambre. J'espère que je l'ai pas oublié chez le médecin.

Daniel — Tu me l'avais donné par manque de poche, tu te souviens pas ?

Daniel pointe le téléphone posé sur la table.

Daniel — Tiens, il est là.

Leïla — ah merci.

Daniel — Il a aboyé plusieurs fois, mais j'ai pas regardé les messages.

Leïla consulte son téléphone.

Leïla — ah, mais c'est toi ! qu'est-ce que tu…

Daniel — Ben oui, je te parlais et tu répondais pas. Je savais pas où t'étais, alors…

Leïla — Et puis Soraya, aussi. Ah, merde ! Elle est sortie du train, et on l'a complètement oubliée !

Daniel — Ah, tu vois que toi aussi t'es perturbée par cette nouvelle !

Daniel se lève.

Daniel — Appelle-la, dis-lui que j'arrive d'ici une vingtaine de minutes. Quoi que non, un peu moins. Ça devrait bien rouler, avec la grève des transporteurs de carburant, les gens restent chez eux, ce week-end.

Daniel attrape sa sacoche et se dirige vers le garage, mais Leïla le retient.

Leïla — Attends, un autre message est arrivé un peu après. Comme on répond pas, elle suppose qu'on fait la grasse matinée. Du coup elle prend un taxi pour venir jusqu'ici.

Daniel — Un taxi ? Attends, elle a envoyé le message à quelle heure ? Si ça se trouve, elle va pas tarder à pointer le bout de son nez.

Leïla — Ça fait plus d'une heure… Hm, faut que je l'appelle, c'est trop long, là.

Daniel — Attends… T'es sûre que c'est une bonne idée de la recevoir justement aujourd'hui ?

Leïla — C'est mon amie depuis de nombreuses années. Elle m'a appelée hier pour demander si elle pouvait débarquer pour une semaine improvisée. C'est si soudain, j'imagine qu'elle a besoin de décompresser de son divorce qui traîne et qu'elle a pu prendre quelques jours au dernier moment. Et puis, elle doit être dans le taxi, maintenant, voire au bout de notre rue. C'est délicat de lui annoncer qu'elle doit repartir sans nous voir, tu crois pas ?

Daniel — Ouais, t'as peut-être raison. En tout cas faut savoir où elle en est, et si on a besoin d'aller la chercher. Bon, alors, t'appelles ou faut que je le fasse moi-même ?

Leïla compose le numéro, puis porte le combiné à son oreille.

Leïla (au téléphone) — Allô ? Soraya ?... Salut ! Comment tu vas, ma belle ?... Ah, oui, les grèves des transports. Mais t'es… Ah, ton train était un des rares à partir à l'heure… Oui, ça je veux bien te croire qu'il était bondé, mais tant que t'as pu avoir ta place, c'est l'essentiel…

Daniel (à voix basse) — Alors, elle est en route ?

Leïla le repousse du revers de la main.

Leïla (au téléphone) — Oui, c'est toujours chiant, pendant les grèves, on voyage pas aussi bien… Ta valise ? Mais comment t'as f… Ah, il s'en est rendu compte avant que le train reparte et il te l'a ramenée. Tant mieux…

Daniel (à voix basse) — Faut que j'y aille ou pas ?

Leïla (au téléphone) — Écoute, Soso, tu me raconteras tout ça une fois que tu seras arrivée. Faut qu'on vienne te chercher ?... Oui, dans ton message tu dis que tu prends un taxi, mais c'est pas si loin… Ah, oui ? Les taxis aussi sont en grève ?... Ah, t'as mis le temps, mais maintenant c'est bon ?… Ben écoute, je te laisse… Très bien, alors à tout de suite, ma belle !... Bisous.

Leïla raccroche.

Daniel — C'est bon ?

Leïla — Oui, elle a mis du temps, parce qu'il y avait la queue et très peu de taxis à la gare, mais elle arrive !

Daniel — Ça va, c'est déjà ça.

Leïla réfléchit un moment.

Leïla — Bon, qu'est-ce que je vais bien lui faire à manger, moi ? Ah mais au fait, ça tombe bien qu'elle arrive. J'ai vu tout à l'heure qu'il y a encore pas mal de viande au frigo ! Faut absolument qu'on fasse un barbecue très vite sinon elle sera bonne à jeter.

Daniel regarde sa montre.

Daniel — Pour midi c'est un peu juste, le temps de le mettre en route et de cuire, sauf si c'est pour le goûter. Mais on va dire pour ce soir. Ça fera un repas de bienvenue chaleureux et convivial ! Je m'occupe de la viande, et je te laisse voir le reste, OK ?

Leïla — Ben oui, OK ! On a toujours fait comme ça, alors pourquoi ça changerait ?

Daniel — Parce que les choses peuvent changer. Il faut savoir s'adapter à la situation, ma puce.

Leïla — Ah, oui, t'as bien raison : faut s'adapter. Bon, quand est-ce que tu vas voir ailleurs ?

Daniel — Voir ailleurs ? Voir quoi ?

Leïla — Ben… Chercher une femme avec qui tu pourras avoir des enfants, pardi ! Vu qu'on peut pas en avoir ensemble, va bien falloir que tu t'adaptes et que t'ailles chercher une pondeuse là où il y en a !

Daniel — Et pourquoi ça serait à moi d'aller voir ailleurs ? Pourquoi ça serait pas à toi ? T'as autant envie que moi, pour autant que je sache.

Leïla ne sait quoi répondre.

Daniel — Sans compter l'instinct maternel ! Il paraît que vous, les femmes, vous avez presque toutes un désir viscéral d'enfanter. D'ailleurs vous entretenez des rapports très serrés avec vos enfants. C'est bien pour ça que pendant les divorces les femmes ont plus souvent la garde que les hommes, non ?

Leïla soupire.

Leïla — On va pas se faire la guerre, si ? On jurerait qu'on est sur le point de divorcer.

Daniel — C'est pas ce que tu sous-entendais, il y a cinq minutes ?

Leïla se rapproche de Daniel et le regarde dans les yeux.

Leïla — Je parlais d'aller voir ailleurs, pas forcément de divorcer…

Daniel — Tu suggères donc qu'on aille chacun de notre côté pour se reproduire, mais qu'on reste ensemble pour tout le reste ?

Leïla — Pourquoi pas ?

Daniel — Faut réfléchir un peu, ma grande : qu'est-ce qu'en penseront les personnes avec qui on sera ? Surtout quand les grossesses se seront mises en branle ?

Leïla — On a qu'à choisir des gens qui comprendront. Et puis, suivant la religion, c'est pas forcément interdit…

Daniel — Qu'est-ce qui n'est pas interdit ? Personnellement, je connais aucune religion qui tolère un couple à quatre, deux hommes et deux femmes ! Mais je suis loin de tout connaître, alors éclaire ma vessie, je t'en prie !

Leïla — Ta lanterne, tu veux dire ?

Daniel — Comme t'as l'air de prendre ma vessie pour une lanterne, tu m'excuseras le lapsus ?

Scène 3

Pascal entre sur scène par le salon. Il est en pyjama, les cheveux en bataille et les yeux bouffis.

Pascal — Ah, c'est vous qui parlez si fort. Qui c'est qui suce qui ?

Leïla et Daniel restent bouche bée.

Pascal — J'espère que j'interromps rien de sexuel… Faut dire que j'ai pas franchement l'habitude, avec vous deux, y s'passe jamais rien d'intéressant. Ça serait pas pour me déplaire, remarquez. Peut-être que ça me ferait du bien, à moi aussi de vous voir en pleine action…

Leïla — Daniel ?

Daniel — Oui ma puce ?

Leïla — Tu peux dire à ton frère que sa remarque est très déplacée, limite vulgaire ?

Daniel (à Pascal)— Pascal, ta…

Pascal (coupant Daniel) — Oui ça va, j'ai compris. J'oublie toujours que ta femme a des oreilles très chastes.

Leïla (à Pascal) — Tu sais ce qu'elles te disent, mes oreilles chastes ?

Pascal s'assied sur une chaise.

Pascal (en étouffant un bâillement) — Houla ! Faut se calmer, de si bon matin…

Daniel — Il est onze heures et demie passé, tu sais, faudrait pas trop la ramener.

Pascal — Ah bon ? Seulement ? Pourquoi je me suis levé si tôt, moi ? Ah, oui : vous parliez fort et ma fenêtre est juste au-dessus.

Leïla — Non, ta chambre donne sur la rue.

Pascal — T'es sûre ? Je vous ai entendus de si loin ?

Daniel — On parlait pas si fort, pour nous entendre de la rue, même la fenêtre ouverte.

Pascal — Bah je sais pas pourquoi je me suis réveillé, alors.

Leïla — Peut-être que c'est l'heure ? Que t'as assez dormi ? Ah, mais non, suis-je bête : t'as jamais assez dormi, toi ! Tu peux rester des jours et des jours à rien faire et à ronfler. Faudrait nous rappeler un peu pour quelle raison on t'a accueilli chez nous, et sous quelles conditions ?

Pascal (à Daniel) — Elle a avalé un lion affamé, ce matin, ou quoi ?

Daniel — Faut dire que tu charges un peu la mule, toi. Mais sinon, oui, elle est quand même à prendre avec des pincettes.

Pascal — Comme bien souvent, je trouve.

Pascal cherche quelque chose du regard sur la table.

Leïla — Hé, ho, je suis là, j'entends tout. Et si vous avez des remarques à me faire, adressez-vous directement à moi, surtout.

Pascal — Ah non, ça risque pas. Quand t'es comme ça, vaut mieux rien te dire, sinon ça s'empire.

Pascal (cherchant quelque chose sur la table) — Z'avez déjà fini votre petit dej ?

Leïla regarde Daniel, attendant une réaction qui ne vient pas.

Leïla (à Daniel) — Et toi, tu dis rien pour me défendre ?

Daniel — Faut dire qu'il a pas tout à fait tort, pour le coup. Quand t'es… quand t'as tes humeurs, tu remballes tout le monde illico et si on insiste tu montes vite sur tes grands canassons.

Leïla fait la moue, réfléchit un instant, puis tente de reprendre le dessus.

Leïla (à elle-même) — OK, tout va bien aujourd'hui, je suis dans de bonnes dispositions…

Pascal — Je sais pas qui t'essaies de convaincre, mais sur moi, en tout cas, ça marche pas.

Leïla (à elle-même, ignorant Pascal) — Dans de BONNES dispositions et j'en veux à personne sauf à un certain beau-frère dont je tairai le nom comme ça il va pas se reconnaître, car avec l'atome qui lui sert de cerveau ça risque pas.

Pascal — Ah c'est malin, ça. Bon, puisque je suis levé, maintenant, autant prendre mon petit dej. Personne a pensé à aller chercher des croissants ? Mais qu'est-ce que vous avez foutu, depuis que vous êtes levés ?

Daniel — Tiens, au fait, en parlant nourriture, on prévoit un barbecue, ce soir.

Pascal — Ah, il était temps ! Je me demandais quand vous alliez vous décider, parce que la viande est dans le frigo depuis un bon moment, déjà. J'ai un peu pioché dedans le midi quand je suis tout seul, mais il en reste quand même encore pas mal.

Leïla — T'étais au courant et t'as rien dit ?!

Pascal — Ben je suis pas chez moi, je pensais que vous étiez au courant de ce qui traîne dans votre frigo. C'est pas à moi de tout vous dire, non plus !

Pascal (à Daniel) — J'imagine que si vous me le dîtes, c'est que je suis invité ? Au barbecue…

Daniel — T'imagines bien. Finalement, tu te réveilles assez vite, maintenant. T'as fait de gros progrès.

Pascal — Et c'est à quelle heure ?

Leïla — Ce soir, on t'a dit.

Pascal — Oui, mais encore ? C'est plutôt vague, comme horaire, « ce soir ».

Leïla — Ce soir moins cinq, environ. C'est mieux, comme ça ? De toute façon, tu traînes toujours ici, surtout le week-end, alors tu verras bien quand on met la table.

Pascal — Mais peut-être que j'avais prévu quelque chose à l'extérieur, justement cet après-midi ou ce soir ?

Daniel — C'est le cas ?

Pascal — Ben… non… Pas encore en tout cas. Mais ça pourrait très bien arriver !

Leïla — Ça tombe bien, faut que tu vides ta chambre, donc ça va pas mal t'occuper jusque là.

Pascal — Que je… On me met dehors ? Avec effet immédiat j'imagine ? Et je vais où, moi ?

Leïla — Chez toi ?

Daniel — Non, elle plaisante. Je vais t'aider à installer un lit de camp dans le bureau, tu y seras mieux que sur le canapé, même si on sait que tu le squattes souvent. À moins que tu préfères le garage ?

Pascal — Non, le bureau, ça sera très bien.

Pascal (à lui-même, en soupirant) — Le garage… Pourquoi pas sous les ponts ?

Leïla — Si ça pouvait te donner un bon coup de pied au cul et te motiver à chercher à la fois un boulot, un appartement, et accessoirement une copine, t'aurais eu le coup de pied au cul depuis très longtemps, crois-moi !

Daniel (à Pascal)— T'inquiètes, c'est temporaire. On va avoir besoin de la chambre pour une petite semaine, pas plus.

Pascal — À partir d'aujourd'hui, bien sûr ? On me prévient toujours au dernier moment.

Leïla — À partir de tout de suite, oui. On a de véritables amis, alors comme ça s'appelle une « chambre d'amis », ça serait pas mal que tu vides les lieux au plus vite, en effet.

Pascal — La famille, c'est moins important que les amis, pour vous ?... Non, ça va, répondez pas, j'ai pigé. Et toi, Leïla, tu dis ça comme si j'avais des tonnes d'affaires à bouger.

Leïla — Ça fait un bon moment que t'as pris tes aises en tout cas. Tellement que j'ose plus aller faire le ménage dans la chambre.

Pascal — Oui, c'est vrai que ça fait un bon moment que t'as pas fait le ménage. Faudrait peut-être t'y mettre, tu crois pas ? Surtout avant de recevoir d'autres invités, parce que ça commence à dauber sérieux. Et y a plein de poussière aussi.

Leïla — Pourtant, tu connais la règle, ici : c'est toi qui salis, c'est toi qui ménages ! Non, mais, pis quoi encore ? Tu veux pas le cul de la femme de ménage en prime ?

Pascal — Ben, si tu le proposes… Par contre faudra être un peu plus gentille, parce que…

Leïla roule de gros yeux.

Daniel (à Pascal)— Non, non ! Si tu veux un bon conseil, va pas dans cette direction, c'est miné !

Pascal (à Daniel) — Elle est pas marrante, ta femme, frangin ! Aucun sens de l'humour, et côté second degré, elle repassera en deuxième session.

Daniel — On se marie pas pour que ça soit marrant tous les jours, tu sais…

Leïla — Ah, mais, c'est peut-être pour ça que t'es toujours célibataire ? Si t'imagines qu'une femme c'est tout le temps à poil à courir après ta queue ou alors de bonne humeur, t'es loin du compte.

Pascal (à Leïla) — C'est ça, moque-toi !

La sonnette retentit.

Pascal se lève lentement.

Pascal — Ah ! Ça doit être vos « véritables amis », j'imagine. Ils sont ponctuels : juste à l'heure de l'apéro ! Eux, au moins, sont civilisés. Vais peut-être faire l'impasse sur le café, alors. Enfin, seulement s'il y a assez de chips, parce que j'ai un bon petit creux, quand même.

Daniel — Avant ça, tu devrais peut-être aller t'habiller, non ?

Pascal regarde son pyjama.

Pascal — Ah, merde ! T'as raison !

Pascal s'éclipse par le salon en courant.

Signaler ce texte