En noir et blanc
nrik
Un homme noir et un homme blanc se font face sur une scène. L'homme blanc est assis sur une chaise noire et l'homme noir sur une chaise blanche. L'homme blanc est habillé en blanc, l'homme noir est vêtu de noir. Ils portent chacun un chapeau. Le décor est vide. Sur le rideau du fond, un projecteur dessine un rond de lumière. Une ligne biaisée sépare les ombres des personnages qui apparaissent sur le rideau.
Le blanc : Mais tu es noir !
Le noir : Mais tu es blanc !
Un temps passe. Ils ne se quittent pas des yeux. L'homme blanc esquisse un mouvement comme pour enlever son chapeau.
Le noir : Ne fais pas ça !
Le blanc arrête son geste.
Le blanc : Pourquoi ?
Le noir : Parce que sinon nous ne serions plus égaux.
Le blanc : Mais nous ne le sommes pas.
Le noir : Tu crois ? Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
Le blanc : Tu es noir et je suis blanc. Cela fait déjà une grande différence. Et puis tu es petit, je suis grand. Ton nez est rond et gros, le mien est fin et élancé. Et puis j'ai les cheveux blonds. Tu as les cheveux noirs. J'ai les yeux bleus, tu as les yeux…
Le noir : Noir !
Le blanc refait le geste d'enlever son chapeau.
Le noir (insistant) : Ne fais pas ça !
Le blanc (Contrarié. Sa main, juste au bord de son chapeau) : Mais pourquoi ?
Le noir (calmement, comme s'il s'adressait à un enfant) : Parce que sinon nous ne serions…
Le blanc (sèchement) : Plus égaux... Oui, je sais !
Un temps. Le blanc enlève son chapeau et le pose sur ses genoux. Quasi synchroniquement, le noir l'imite. Ils continuent de se regarder.
Le blanc (étonné) : Pourquoi est-ce que tu enlèves ton chapeau ?
Le noir : Pour être comme toi.
Le blanc : Mais pourquoi veux-tu être comme moi ?
Le noir : Parce que je suis toi.
Le blanc se penche en avant comme s'il n'avait pas entendu. Il avance également sa chaise. Au même moment, le noir recule la sienne, et s'incline en arrière.
Le blanc (incrédule) : Qu'est-ce que tu as dit ?
Le noir (toujours très calmement) : J'ai dit que j'étais toi.
Le blanc : Si toi tu es moi, alors qui suis-je ?
Le noir remet sa chaise où elle était au début et se réinstalle normalement dessus. Au même moment, le blanc, déplace sa chaise et se redresse aussi. Ses gestes sont brusques. Il ne les maîtrise pas.
Le noir : Tu es moi ! Enfin l'autre moi, comme je suis l'autre toi.
Le blanc (à moitié apeurée, à moitié interpellée) : Explique-moi !
Le noir se lève, forçant le blanc à l'imiter. Ils commencent à marcher autour des deux chaises, en rond, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Toujours à l'exact opposé l'un de l'autre.
Le noir (professoral) : Je suis toi. Ton autre toi. La face cachée de ton être qui n'existe pas mais qui fais que tu es. Je suis l'oméga de ton alpha et sans moi tu ne serais même pas l'ombre d'une lettre. Car je suis ton ombre…
Le blanc s'arrête de marcher. Le noir aussi.
Le blanc (d'abord intrigué puis soudain agacé) : Mon ombre ? Je ne comprends pas ? Ne te joues pas de moi ! Qu'est-ce que tu veux...
Le noir (sèchement, avec les yeux sévères) : Ne m'interromps pas !
Circonspect, le blanc n'ose faire un pas de plus ni dire quoi que ce soit. Sur ces traits, on peut lire un mélange d'incompréhension, de doutes et d'inquiétude.
Le noir (de nouveau calme sur un ton professoral) : Oui, je suis ton ombre. Ton ombre et ta mort. Pourquoi crois-tu que l'on ait une ombre ? L'ombre renferme tout ce que ton âme a choisi de ne pas montrer. C'est là où tu caches tes mauvais sentiments. C'est là où tu exprimes ta haine et ton orgueil. Sans quoi, ils prendraient ce que tu es. Ils prendraient ce que tu as. Ils te prendraient ta vie et ils détruiraient ton amour. Tu ne serais plus que l'ombre de toi-même si je n'étais pas ton autre.
Un temps, le noir s'assoit sur la chaise noire du blanc, et l'homme blanc sur la chaise blanche. Ils sont alors pris de convulsions. La douleur est tellement fortes qu'ils se prennent la tête entre les mains. Ils pleurent maintenant. Ils se mettent à glapir comme des animaux à l'agonie. Puis l'homme blanc réussit à s'arracher à sa chaise. Les deux se relèvent, et reprennent difficilement leur ronde mais dans le sens des aiguilles d'une montre, cette fois.
Le blanc (la tète en l'air comme s'il réfléchissait) : Je crois que je commence à comprendre...
Le noir : Je suis ton sud. Je suis ton opposé mais je ne m'oppose pas à toi. Voilà pourquoi j'ai enlevé mon chapeau. Je suis l'amas des couleurs de ta vie qui te permets d'être blanc. Je ne suis pas ton dualisme cartésien mais le complément qu'il faut à toute chose que tu possèdes, regardes ou penses pour que celle-ci puisse être. Je suis toi, ton autre toi.
Revenus chacun devant leur chaise, ils se rassoient. Un temps passe. Ils se regardent toujours. Le noir remet son chapeau. Le blanc fait la même chose en même temps. A l'unisson, calmement, ils constatent.
Le blanc : Mais tu es noir.
Le noir : Mais tu es blanc.
Le blanc (après un temps de silence) : Je suis ta mort : voilà pourquoi je suis blanc.
Rideau
Beau message de tolérance. J'espère qu'un jour vous arriverez à faire jouer votre pièce devant un public.
· Il y a plus de 10 ans ·Relme Han