En perte pure

Christian Lemoine

Le savaient-ils ? que l'innocence n'absout rien. L'imaginaient-ils ? que leur discrète indifférence pût abriter en son flanc flasque la cruauté des énigmes insolubles. A les côtoyer sans frémir, pouvaient germer les fins linéaments qui tissent la confiance, cette confiance qui sait le secours dans les tumultes des nuits opaques. La lente tapisserie des quotidiens amis aurait pu trouver là le métier où fixer sa trame. Sans méconnaître que l'illusion s'atoure d'oripeaux plus brillants qu'un soleil pour mieux aveugler les dupes. N'être pas dupe n'en rend pas moins cruelle la morsure glacée du mépris, lorsque les regards se détournent, lorsque les mains fuient l'empoignade, lorsque fuient les corps dans la brume indistincte de leur couardise. La main s'agite, la voix appelle, en pure perte. Déjà ils ne sont plus que de pleutres ombres, lambeaux déchiquetés de leur propre inconsistance, lacérés par les mots de leur bonne conscience satisfaite et mesquine, assis en poussahs débonnaires sur les replis de leur morale approximative, d'autant mieux respectée qu'elle n'est que théorie sans substrat. Se le représentaient-ils ? que la façade craquelée de leur compassion n'était déjà que bulles de savon emportées vers l'éclatement sans trace, que leur affection aux mains jointes ne dépasserait pas le stade de l'évocation, que la foi tendue vers leur caution s'épuiserait d'emblée en perte pure. N'en rien attendre, de ces compagnons falots, et la blessure saignante cependant que même pas ils ne soupçonnent, car ils leur faudrait autrement en déguster l'inconfort.

Signaler ce texte