Entre ciel et mer (2/2)

leo

(pour la compréhension du texte, ne pas manquer la première partie)

 

Niels avait été attentif à chaque kilomètre du voyage. Il avait imprimé le maximum de point de repères dans sa caboche. Un groupe d’éoliennes brassant de l’air, une vieille bâtisse baillant d’ennui, des lignes à haute tensions suturant l’horizon. Le pays du bas-côté, dépeuplé de ses épouvantails. S’il avait pu, il aurait semé des cailloux blancs le long de l’autoroute. Et de ces cailloux, auraient germé des barrières de fleurs… de sécurité. Ce périple, c’était lui, relié au cordon ombilical de sa mère disparue*.

Nous sommes arrivés en fin de journée, au moment même où le jour rebrousse chemin. Nous avons été retirer le trousseau de clef chez le propriétaire. Il m’a assuré de toutes ses sincères condoléances et je l’ai gratifié de mes plus vifs remerciements. Il m’a serré la main en fuyant mon regard d’ogre, qui se repaissait de sa compassion comme chair fraîche. Il a gémi  un sourire  à Niels  puis s’est attardé sur Olaf.

-          Et dire que ce n’était qu’une boule de poils… il a bien grandit !

Olaf a agité la queue, flatté de l’attention qui lui était portée. Nous  prîmes congé. Cette semaine de vacance était un retour aux sources, Une nage à contre-courant pour tâcher de rejoindre la rive des souvenirs mélodieux. Là, où tout avait commencé.

Niels, gavé des images du parcours a peu mangé. Je l’ai mis en pyjama et l’ai accompagné se mettre au lit. Il s’est arrêté sur le pas de la chambre. Il m’a regardé, attendant mon approbation avant d’y pénétrer. Il a eu un regard solennel, de ceux qui accèdent au graal. Le sacre de sa naissance se trouvait dans cette pièce. Je n’y étais pas revenu depuis, et m’étais même étonné, que le propriétaire fût le même.

-          C’est ici Niels que nous venions avec ta maman. Que nous t’avons tant désiré et attendu.

Il m’a souri. A petit petons, pour ne pas faire sursauter son rêve éveillé, il a gagné son lit. Il s’est délicatement allongé au-dessus des draps, ne pas défroisser ce linceul de souvenirs. Ne rien gâcher de ce moment intense. Il m’a encore souri puis s’est recroquevillé en position de fœtus et à fermer instinctivement les yeux. Il dort, paisiblement. J’imagine Niels, encore dans le ventre de sa maman. Je la dessine mentalement, en contour de notre enfant. L’image est douloureuse. Je la gomme en recouvrant Niels d’un plaid moelleux, aux senteurs printanières. J’éteins la lumière. J’évapore mes remords ; les fuis en regagnant le salon.

Je suis seul. Je défie mon monstre de chagrin. Je l’insulte l’incitant à m’attaquer. L’espoir que dans un geste maladroit, il puisse laisser découvrir son point faible. Que je puisse le terrasser : ma haine acérée pulvérisant alors son cœur de pierre. J’allume mon ordinateur portable. Un fichier vierge de tout épanchement. Je serre les poings, ongles à en lacérer ma paume. Je desserre les dents et dans un souffle rageur, libère mes phalanges. Elles galopent sur le clavier, foulent  de leurs fers ma  désolation, soulèvent mes peines poussiéreuses. Mon écriture aride se craquelle, autant que me monte les larmes.  Je les réprime. La traversée de ma nuit sera longue, il me faut en garder jusqu’au petit matin. Je ne saurais dire combien de terres je parcours, mais les saisons se succèdent, tourbillonnent au rythme des années. Une force centrifuge qui me plaque aux mots hurlants. Le temps n’est plus. Apoplexie.

Un grincement de porte m’extirpe de ma transe. Niels apparait dans l’encadrement, Immobile. J’admire le tableau qui me ramène à la vie. Il se frotte les yeux, tire le rideau. Le soleil naissant claque son fouet. Mes fauves de tristesse, regagnent docilement leur cage. Mon fils se love dans mes bras et me dévisage :

-          T’as pleuré parce que maman elle est plus là  papa ?

-          J’ai écrit Niels. Mais tu as raison, c’est un peu pareil. Sauf qu’à la place des larmes se sont des lettres qui ont coulées le long de la page…

-          Pourquoi tu lui écris puisqu’elle peut plus te lire ? Moi je lui parle dans ma tête et je sais qu’elle m’entend…

-          Les paroles s’envolent et les écrits restent, ai-je répondu négligemment.

-          Ben justement…

L’expression de son visage était flamboyante et m’imposait de trouver une issue à sa logique implacable.

-          Ce que tu ne sais pas petit malin, c’est que l’on peut quand même lui écrire ! Il faut mettre sa lettre dans une bouteille et la confier à la mer qui la lui donnera.

-          Même les dessins ? Me questionna-t-il,  les yeux illuminés.

A mon hochement de tête, il se rua sur ses crayons de couleurs. Il signa une très belle œuvre, pendant que j’imprimais quelques feuillets. Nous mîmes le tout dans une bouteille en plastique, puis nous nous habillâmes. Olaf s’impatientait à l’entrée, chouinant pour que l’on redouble de rapidité. Nous sortîmes et avancions à grand pas, tant Olaf était décidé à nous tracter à bon port. Niels riait aux éclats, il ne se lassait pas de voir son paternel, pantin désarticulé, traîné par la laisse. A bout de bras, je libérais Olaf dès notre arrivée sur la plage. Sans demander son reste il fila vers les vagues, suivi de Niels et de mes recommandations qui s'ensablaient. Je marchais, la main en visière, en direction des fugitifs. Lorsque je crus apercevoir une forme rouge. Elle semblait être ancrée à quelques mètres dans l’eau. Je hâtais le pas, et me mis à courir quand Niels pénétra dans l’eau, malgré mes interdictions formelles. Il me fallut très peu de temps pour rejoindre Olaf, qui aboyait à tout rompre. Niels, l’eau jusqu’au-dessus de la ceinture, pris par la main une vieille dame. J’assistais, hébété par la scène, aux paroles que Niels lui prononça :

-          Moi aussi je dois donner à la mer un message très important…a-t-il dit.

Elle regardait Niels, comme on découvre le monde. Elle fit avec peine un quart de tour en ma direction. Son regard, fautif, semblait en dire long sur ses intentions, si Olaf ne nous avait pas mené jusqu’à elle.  J’avançais dans l’eau, la bouteille sous le bras. Je remarquais que cette dame tenait dans sa main une boîte d’allumettes. Afin de lever le trouble, je m’exclamais :

-          Vous n’y arriverez  pas !

A son expression interloquée, je poursuivis :

-          Ben vous savez…mettre le feu à la mer, vous n’y arriverez pas…

Elle sourit, comme pour me remercier de mon tact. Elle ouvrit sa boîte d'allumettes. Elle nous présenta Flash, la voix chargée d’émotion. Niels fit la moue ; avant d’annoncer, la mine de nouveau réjouie :

-          Ma maman aussi elle est morte et je suis sûr qu’elle va très bien s’entendre avec Flash. En plus un poisson ça connais bien la mer. On est sûr comme ça, que nos messages, ils lui arriveront bien…

J’ai défait mes lacets. Puis, j’ai attaché solidement  la boîte à la bouteille. Nous avons ensuite rejoint la jetée. Sous nos regards attendris, Niels a livré nos doléances à la mer. Nous avons regardé dériver nos chagrins au large, blottis les uns aux autres : ceux qui restent, impuissants, dont ce n’est pas encore le tour…

 FIN

*  Lire "Le sursaut de l’ange 1 et 2."

  • Merci Léo, virtuose, oui

    · Il y a presque 13 ans ·
    Kitty 54

    meo

  • Oh là là !! Quelle émotion !! Mon coeur palpite. Tu nous as encore livré de très belles émotions exprimées avec justesse et délicatesse. Merci merci merci.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Nature orig

    mls

  • Tu as posé en virtuose ton écriture sur le clavier des perceptions.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • agréable lecture...

    · Il y a environ 13 ans ·
    75597 1634485936549 1068711961 1786507 3822406 n orig

    elfee

  • "La rive des souvenirs mélodieux", oui ça commence là

    · Il y a environ 13 ans ·
    Chat

    Eric Varon

  • j'ai lu les deux parties à la suite: totalement transportée!
    entre émerveillement, tristesse et humanité.juste su-bli-ssime!!

    · Il y a environ 13 ans ·
    Img027 edited

    livia

  • Je me joins au concert de louanges qui ornent ces pages. Je me suis fait embarqué par ton histoire, harponné par ces émotions partagées entre le petit Niels, la Lucienne et toi. C'est très bien écrit et même s'il y a un peu trop d'adjectifs (qui, entre nous, sont à la littérature ce que sont les napperons aux vieux postes télé, c'est à dire une sorte de cache misère :)) en fait, ça fait un petit côté vaguelettes qui moussent sur le dessus et ça donne à ce texte une écriture qui ne s'arrête jamais, un peu comme ta pensée pendant cette nuit, je suppose... Bref, bravo et continue comme ça. C'est top de commenter tes textes. A+

    · Il y a environ 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Beaucoup de poésie dans ce conte à rebours intergénérationel où les destins se croisent. Une belle rencontre entre le Petit Poucet et la vieille dame aux allumettes qui marchait dans la mer.

    · Il y a environ 13 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • Merci d'avoir traversé cette nuit sur ce beau texte pour nous. Moi, je suis certaine qu'on peut mettre le feu à la mer ! Coup de cœur

    · Il y a environ 13 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • Merci, mes heures en moins de sommeil s'en trouvent ainsi récompensées :)

    Pour une lecture complète du texte, il est nécessaire d'appuyer sur "Lire".

    · Il y a environ 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Belle écriture, belles émotions et chaleur humaine ! bravo et merci !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Très beau moment d'émotion ... magnifique !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Tourbillon 150

    minou-stex

  • Un beau texte de mon Léo. Avec toute sa force, son regard sur l'humain et le monde, sa tendresse et sa tristesse. Un beau texte de mon Léo. Merci pour ce coup à mon coeur !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Img 0789 orig

    Gisèle Prevoteau

  • Beau texte avec une histoire qui coule bien avec des images fortes.

    · Il y a environ 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Ecriture sobre(sans JD)qui permet le long-cours.Très bien.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Photo chat marcel

    Marcel Alalof

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