Euthanasie
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Son Nikon mitrailla Sarah ; allongée sur le dos, cheveux épars sur l’oreiller, elle tenait entre ses mains gantées de satin noir un crâne humain, chapardé dans les catacombes lors d’un pèlerinage gothique et son nombril piercé invitait l’art à toutes les transfigurations possibles. N’ayant jamais eu une morte pour modèle, il était profondément ému de déifier son cadavre encore chaud. Il n’avait pas tué Sarah dans un accès de colère incontrôlée ni prémédité de lui tirer une balle dans la bouche, il l’avait tuée par amour, par passion, parce qu’elle avait exigé qu’il l’euthanasie. « Tu es épris d’une pute Mathias, tu comprends une pute, une professionnelle tirant ses subsides du commerce de ses charmes » lui avait-elle avoué au creux de l’oreille après qu’ils aient joui. « Bien que mon train de vie soit excessivement élevé pour une adolescente de seize ans, je reverse la moitié de ce que je gagne au réseau assurant ma protection. Mes clients me choisissent sur catalogue. Je suis une prostituée de haut vol, réservant sévices et soumission à l’élite, si l’on peut nommer élite ces dégénérés enchainés à leur concupiscence et ma peau ne vaudra pas cher si je quitte l’agence Platine. J’en sais beaucoup trop sur les us et coutumes sexuels de bons nombres de déviants portant le masque de l’honorabilité. Les filles comme moi servent d’appât à ceux qui règnent dans l’ombre. Des micro-caméras, soigneusement dissimulées dans le lustre surplombant ce lit où nous nous sommes aimés ces derniers mois, filment mes ébats avec ces politiciens, mariés et pères de famille, gouvernant notre pays au bord de la ruine. Le reste tu le devines ; il suffit de montrer à ces messieurs un D.V.D rappelant à leur bon souvenir qu’ils usent et abusent d’une bimbo sadomaso tarifée et mineure, en les menaçant de rendre publique cette pornographie compromettante, pour métamorphoser en de serviles valets ces cyniques imbus de leur pouvoir. Que veux-tu mon chéri, vous êtes tous les mêmes, il a suffi que je prétende avoir vingt et un printemps pour que tu fonces tête baissée dans mes bras. Jusqu’à ce que je te rencontre, je ne vivais que pour l’argent, c’était mon Dieu, mon but, le point de repère d’une existence brûlée par les deux bouts de l’asservissement au paraître. Maintenant je t’aime mais trop tard. Cela me ravirait, pourtant, d’être une muse glorifiée par l’objectif de ton appareil. Je donnerai tout pour être le thème majeur de ta prochaine exposition mais je n’ai plus à donner que ma vie. Ma vie, dont la mort seule peut remédier au gâchis que j’en ai fait, en m’octroyant le privilège de m’évader de cette cage de luxe dans laquelle je suis emprisonnée. Il y a dans ce tiroir un révolver chargé. Quand je serai prête, tu introduiras le canon de cette arme dans ma bouche et tu presseras la détente. Puis tu m’immortaliseras en noir et blanc et tu diffuseras, à l’exception de mon visage, tes clichés sur internet. Simple question d’élégance, de pudeur et d’humilité, ceux que tes photos vont émerveiller n’ont nul besoin de savoir que la victime consentante d’un homicide chante les louanges de ton génie, ça doit demeurer notre secret à tous les deux. Adieu mon Eden, dans un autre monde peut-être. N’oublie pas d’éteindre la lumière avant de partir.»