Exercice macabre

Un soir de ma vie, occupé à ne rien faire,
je me décidais à errer dans le cimetière,
taquiner la Mort et Lucifer,
deviser avec les ombres enfermées six pieds sous terre. 
J'avais quelques connaissances en ce lieu mortifère,
où je faisais quelques fois mon affaire,
avec ma conscience et ma lucidité comme seuls repères.
Je franchissais facilement la porte en fer,
pour me rapprocher des Enfers,
ce qui ne m'effrayait guère.
Il y avait ici des personnages divers,
partis de la syphilis ou abattus à la guerre,
des oncles des tantes des grand-pères,
des gens fauchés en pleine gloire ou en pleine misère.
 Il n'aurait pas fallu que la maréchaussée me voit faire,
je n'aurais pas pu expliquer mes insomnies et autres galères.
Et je ne voulais pas passer pour un nécrophile pervers.
Non, ici, c'était mon repaire,
l'endroit où je faisais l'inventaire
de mes passions vulgaires.
La quiétude des locataires
me faisait oublier été comme hiver
l'inéluctabilité de mes travers.
Je me jurais à chaque fois que c'était la der des der,
mais je revenais chaque fois en arrière.
Ce qui n'était pas pour me déplaire,
ici j'étais libre comme l'air.
J'aurais bien aimé croiser Prévert
mais il était dans un autre lieu mortuaire,
tout comme Baudelaire.
Mon ulcère travaillait mes viscères,
je tutoyais le funéraire,
tous les voyants étaient au vert
pour une prochaine mise en bière.
Où je rejoindrais mon père et ma mère,
fuir cette existence amère.
Retrouver un autre univers.
Requiem pour un libertaire.