Expérience

David Lopez

    Arrêt sur image. Comme une atmosphère de néant qui flottait dans l'air. Le temps semblait avoir arrêté sa course effrénée.

     Absence de mouvement. Rien ne bougeait, ni les feuilles dans les arbres ni le linge pendu aux fenêtres. Le vent d'ordinaire si assidu n'était pas au rendez-vous.

      Silence. Pas non plus le moindre bruit, le clocher était muet, de même que les oiseaux qui avaient pourtant l'habitude d'animer les matinées ensoleillées comme celle-ci.

 

         A bien y regarder, on pouvait distinguer quelque chose qui bougeait. Cela se passait dans une petite maison. Une forme humaine reprenait vie.

       Théophile s'était réveillé ce matin-là sans se rendre compte que ça ne tournait pas rond. On se serait cru comme dans un ordinateur en plein bug, quand la seule chose qui continue de fonctionner est le curseur accompagné de son sablier. Le jeune homme était ce curseur, qui lui seul avait encore la capacité de se mouvoir dans ce décor figé.

           Certes son réveil n'avait pas sonné mais Théo s'en fichait. Il ne travaillait pas aujourd'hui et le fait que son téléphone portable ne soit pas venu interrompre la grasse matinée qu'il s'était autorisé ne pouvait que l'enchanter. Il s'étonna et râla tout de même un peu lorsqu'il essaya de le rallumer sans succès. Un smartphone neuf d'il y a tout juste trois semaines, il y avait de quoi pester. Les appareils de ce type survivaient de moins en moins longtemps mais enfin trois semaines c'était vraiment exagéré. Il se dit mentalement qu'il profiterait de son temps libre cet après-midi pour se rendre à la boutique dans laquelle il l'avait acheté.

         Il se rendit ensuite dans la cuisine pour préparer son petit-déjeuner et appuya sur le bouton ON du vieux récepteur radio qu'il possédait. Une antiquité qu'il avait depuis tout petit et qui avait toujours fonctionnée. Excepté ce jour-là. L'appareil s'éclairait mais aucun son n'en sortait. Il se dit que les haut-parleurs devaient être morts. Ça devait bien arriver un jour ou l'autre.

         Portable et radio en panne, il ne s'avoua pas vaincu et posa dans un plateau bol de café et viennoiseries avant de filer dans le salon. Il s'installa dans le canapé et mit en marche la télévision. Celle-ci s'alluma pourtant aucune image ne s'affichait. Théo se leva et tenta de tripatouiller les nombreux fils à l'arrière de l'écran mais rien n'y fit, tout restait désespérément noir. Cette journée de repos ne commençait pas de la meilleure des manières.

          Il expédia en quelques instants le petit-déjeuner et décida qu'il se rendrait en ville dès qu'il serait prêt.

      Arrivé dans la salle de bain, il dégaina brosse à dents et dentifrice et frotta avec énergie l'intérieur de sa cavité buccale. C'est au moment de rincer que les choses se compliquèrent. Il tourna le robinet et l'eau ne coula pas. La première expression qu'on lut sur son visage était la surprise, mais elle laissa très vite place à la colère.

        « Quel bordel ce début de journée » pensa-t-il.

       Sans eau à disposition, il utilisa un fond de bouteille de soda qu'il trouva dans son réfrigérateur. Si son dentiste avait vu ça, il aurait certainement fait un malaise.

               

           Quelques minutes plus tard il se retrouvait à fermer à clé la porte de chez lui. Il regarda sa montre qui indiquait 10h24 et se dirigea vers sa voiture. Le silence inhabituel qui régnait dans l'impasse où il habitait le rendit un peu inquiet. Il observa les alentours et vit qu'aucun de ses voisins n'avait quitté son domicile aujourd'hui, en effet chaque voiture était garée sur son emplacement réservé. Même celle de Mr Aubillaud était là, lui qui pourtant se levait aux aurores pour aller travailler.

      Malgré le beau temps, personne n'était sorti pour entretenir son jardin, faire du sport ou tout simplement lézarder au soleil.

       Et ce silence.

      Un frisson parcourut la nuque et les avant-bras de Théo. Il n'aimait pas cette atmosphère étrange, inamicale. Celle du calme avant la tempête.

    Il démarra le moteur de sa Clio, sortit de l'impasse et s'engagea sur une voie plus large qui devait le mener dans le cœur de Pilarc, la petite ville qu'il habitait depuis maintenant cinq ans. Il avait déménagé ici après avoir trouvé un travail de vendeur dans une boutique de vêtements et de chaussures de sport et il vivait seul. Il avait bien rencontré Danaé, elle lui plaisait et ils se voyaient régulièrement, mais ils prenaient chacun leur temps.

 

       Sur sa route il ne croisa personne.  Les volets des maisons étaient fermés, tout le monde semblait s'être enfermé, comme si la météo avait lancé une alerte et demandé à tous les citoyens de se confiner chez eux.

        Lorsqu'il arriva dans le centre de Pilarc, même situation. Aucun badaud ne se promenait, les grilles des commerces étaient baissées. La ville semblait déserte.

           Et toujours ce silence.

       L'inquiétude de Théo grandissait en même temps que le sentiment d'être seul l'envahissait. Sans téléphone portable qui fonctionne, il ne pouvait même pas se rassurer en appelant un proche.

       Il se gara et descendit de son véhicule. Les projets qu'il avait fait pour aujourd'hui lui paraissaient désormais très loin. Il marcha à travers les rues de Pilarc, ne rencontrant que silence et vide devant lui.

          Il arriva dans la rue qui abritait la boutique dans laquelle il travaillait. Etonnamment elle était la seule dont la grille n'était pas baissée alors que le jeune homme était persuadé d'avoir tout bien fermé derrière lui la veille au soir. Intrigué et plein d'espoir d'enfin voir quelqu'un dans cette ville, il accéléra le pas pour rejoindre l'entrée. Celle-ci n'étant pas verrouillée, il pénétra à l'intérieur et constata que personne ne s'y trouvait.

           —  Patrick ?

      Il tenta d'appeler son patron qui était censé tenir l'affaire seul aujourd'hui mais n'obtint pour seule réponse que l'écho des escaliers qui descendaient au sous-sol vers la réserve. Déboussolé, il s'assit sur une banquette qui servait d'habitude pour les clients qui essayaient des chaussures et fit l'inventaire de ce qui n'allait pas depuis ce matin.

     TV, radio et téléphone ne fonctionnait pas. Toutes les maisons avec les volets fermés sauf la sienne. Son magasin qui est le seul et unique de la ville encore ouvert. Personne dans les rues de Pilarc. Ville fantôme dont il semblait être le seul habitant.

        L'optimisme n'était pas de mise lorsqu'on mettait tous ces éléments bout à bout. Pourtant un évènement allait venir redonner de l'espoir à Théo.

    Alors qu'il cherchait une solution pour résoudre cette situation étrange et inquiétante, une sonnerie retentit. Ce n'était pas celle de son portable mais celle du téléphone de la boutique. Il se précipita vers le combiné pour décrocher tout en se traitant d'idiot de ne pas avoir pensé à l'utiliser plus tôt.

 

       — Allô !

     La réponse de celui qui venait d'appeler tarda à se faire entendre. Théo crut d'abord à un faux numéro mais ses entrailles se nouèrent lorsqu'une voix interrompit ces secondes de silence.

     Une voix qui n'était pas humaine. Une voix électronique. Grave et inquiétante.

      — Bonjour Théo et bienvenue dans HumanOverLever. Votre Stöder vous contactera très vite pour vous donner de plus amples informations. Bonne chance à vous.

      Le jeune homme resta comme pétrifié et il n'eut pas le temps de répondre qu'on avait déjà raccroché.

 

      Si Théo avait pu voyager dans l'imaginaire fil du téléphone pour se rendre de l'autre côté, il aurait atterri dans une pièce à l'allure futuriste avec trois murs métalliques et un quatrième sur lequel des images de haute qualité étaient diffusées.

      Ce mur faisait office de télévision géante. Si on s'intéressait aux images, on aurait vu un homme assez jeune, le teint livide, qui raccrochait un téléphone dans une boutique de sport.

    En face de cet écran se trouvaient deux personnes. Des créatures qui au premier coup d'œil paraissaient humaines mais à y regarder de plus près, quelques détails donnaient à penser qu'elles ne l'étaient pas.

   Le premier humanoïde qui répondait au nom d'Odinfor s'adressa au second :

      — Alors tu en penses quoi de ce nouveau candidat Frigga ?

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