Extrait de journal

peterpanpan

8 octobre

8 octobre 2017

Je me plais mieux en Arts Plastiques, même si je reste définitivement seul. Mes préoccupations sont nombreuses, je ne sais pas si mes efforts mènent quelque part mais je ne me sens pas d'autres élans que de les poursuivre. La déraison me guette, et il me semble que le travail et la recherche de l'ordre dans tous les aspects de ma vie pourraient annuler ou du moins retarder sa survenue. Je suis toujours sujet à des crises de boulimie, et j'ai continué à m'alcooliser plus ou moins fréquemment, ce sont les affres redoutables de ma solitude et de ma faiblesse, et il faut absolument que je lutte contre ces influences. Je n'aime pas me sentir comme une merde le lendemain. De plus, le sentiment décourageant que l'on vient d'abattre un château de cartes qu'il faut reconstruire, et que même l'habitude ne soutient pas assez fortement. Il me faut soit trouver un équilibre dont je manque affreusement, et qui me semble plus difficilement atteignable que l'autre solution qui consisterait à devenir un bourreau de travail. En donnant à mon travail la force d'une vocation, en tournant toutes mes habitudes vers la recherche et le sublime, en me détournant de tous les obstacles que je dresse et qui se tournent contre mon accomplissement, j'atteindrai au paroxysme du déséquilibre. Lorsqu'une force se pousse assez loin, elle devient l'influence de ses propres satellites, et ne se soumet plus qu'à elle-même. Simplement pour en arriver là, il faut écarter le doute, ou bien l'épouser totalement. Prendre tellement confiance en soi que ça en deviendrait folie, ou lutter comme un animal, comme si le but n'était rien, n'existait pas, ne servant que de prétexte à la cinétique. Repousser l'idée de l'échec assez loin, l'engloutir sous des masses et des relents abstraits, le noyer sous les voiles de mon hystérie. Ou bien garder son idée près de moi, avec tout ce qu'elle impliquerait comme renoncement, amertume, et peut-être mort. Il me semble que ma lutte est plus belle et acharnée lorsque je n'en oublie pas l'idée d'échouer. Elle se teinte de la rage despespérée de ceux qui sont habitués à l'échec et qui ne sont plus qu'à un pas de devoir se faire au néant.

J'ai passé le week-end chez ma mère. J'ai eu une crise de boulimie, engloutit des crèpes, du pain, du fromage, tout ce qui passait. J'ai déjà repris du ventre et je suis en ce moment en train de fabriquer du gras. Mon foie commence à souffrir de ces excès. Je dois retourner au plus vite à une alimentation saine, ce qui est de toute façon plus plaisant, et me dispose bien mieux vis-à-vis de toutes les obligations que je me donne. Je lis Jacques le Fataliste, et j'ai commencé le Journal de Delacroix. C'est sous son influence que me prends l'idée de continuer le mien, que j'ai abandonné depuis un bon moment. Le style de l'époque semble m'avoir pénétré et risque peut-être de m'habiter un temps. Je suis une véritable coquille. Je repars ce soir, je me sens trop malade pour passer chez mes grands-parents.

J'avais un pantalon à faire, tant pis. Je ne m'étalerai pas autant dans les jours qui viennent mais aujourd'hui je me sens beaucoup de chose à dire, et à peine je quitte ma confession que de nouveaux aveux me viennent en tête. Ma détresse sentimentale prend une drôle de cruauté. Je n'ai pas connu de filles depuis plus d'un an, si on oublie ( et il vaut mieux l'oublier, heureusement je ne dois la résurgence de ce souvenir qu'à travers un effort involontaire ) celle, obèse, que je me suis tapé vers le milieu d'Avril. Et bien, même elle semblait dire qu'elle m'accordait une faveur, même si je pense que c'était la manifestation d'une défense faites d'illusions de sa part. Si je ne m'étais pas déjà engagé dans la conversation avant d'avoir vu à quoi elle ressemblait, je n'aurait pas été la voir, et si j'avais vu d'avance à quoi elle ressemblait réellement, le dégoût m'aurait arrêté là. Mais c'était déjà engagé, je venais de marcher un moment au milieu de la nuit ( de plus c'était moi qui avait insisté ) et quand elle s'est presenté devant-moi, et que j'ai vu son allure, son physique, sa mollesse, je me suis demandé sans mots comment j'allais la baiser et si ça allait être possible. Enfin, passons, je me suis déjà attardé sur la suite de ce rendez-vous dans une note antérieure. Aussi pathétique et désolant pour moi que fût cette expérience, la fille que j'ai fréquenté pendant presque deux ans avant cela, sans être aussi grosse ni repoussante, et qui présentait mêmes des attraits certains, mais grossiers - tiens, ma mère à une de ces quintes de toux écoeurantes qui empruntent des tons au vomissement - ne m'a pas beaucoup aidé à sortir - encore une quinte de toux un peu plus sèche - de ma mélancolie, qui tient - encore une - depuis pratiquement l'entrée de ma vie d'adulte quand j'y pense. C'était une fille pleine de bons sentiments, trop pleine même. Ses élans avaient de l'hystérie mal jouée, ce qui fait que je n'ai jamais vraiment su si elle était vraiment cinglée ou si elle faisait ça pour m'impressionner. En dehors, c'était quelqu'un de très naturel, qui ne m'a jamais eu l'air de penser à mal, qui n'aurait de toute façon pas fait de mal à une mouche ( je repense à ses élans grotesques où elle s'exclamait " ah ! la nature ! " , quelle horreur ). Sensuelle mais trop brusque, une sensualité de brute, donc disons plutôt qu'elle était libidineuse. Non sensuelle ne lui convient décidemment pas. C'était une pauvre fille, au moins autant que je suis un pauvre mec, si ce n'est qu'elle vivait resserrée entre ces frères et soeurs dans l'appartement cradingue et pittoresque de sa mère. J'ai encore honte en repensant aux moments où on faisait l'amour bruyamment dans sa chambre dégueulasse, avec la porte de son frère à deux pas, et sa mère à trois. Mais je crois que j'étais le seul à être gêné. Une fois son plus petit frère - huits ans peut-être - est entré d'un coup dans la chambre alors que j'avais la bite à l'air, il paraît qu'il était du genre curieux depuis déjà quelques années d'ailleurs. Au fond la crasse est ce qui me dérangeait le moins, sauf une fois où c'était vraiment trop et où j'ai pas voulu m'allonger, et qu'elle a osé faire la gueule pour ça mais en rangeant quand même. Le pire c'était quand elle essayait d'exprimer sa pensée désordonnée, obscure et sans génie, donc totalement deséspérante, et que je lui répondais avec quelques arguments de raisons élémentaires, déjà fatigué d'avance. Si je suis resté aussi longtemps à la fréquenter c'est parce que j'étais incapable de trouver mieux, disons même de trouver autre chose. Au fond les moments sympas venaient quand elle arrêtait d'essayer de penser, qu'elle se contentait de parler de banalités et de commenter des choses anodines qu'elle voyait ou entendait. Mais ces moments étaient trop rares et elle semblait toujours entre deux hystéries. Quand je suis parti faire mes études elle m'a suivi, mais elle n'est restée que deux mois, à peine. Peut-être la solitude. Son milieu de dérangés, dans lequel sa folie particulière avait toute sa place lui était essentiel, aussi. Voilà où j'en suis, bilan amoureux catastrophique.

Je suis devenu un véritable cas social, incapable de converser lorsque je sens qu'un enjeu particulier se joue, mal à l'aise avec ce passé de traînard et cette vie d'ermite, ma relation complètement aberrante avec ma mère, avec qui je discute encore comme si j'avais quinze ans, voir moins, comme un petit garçon. Il y a deux semaines, une fille est quand même venue me parler en amphi, et j'ai vu avec le jeu de ses cheveux et ses relances qu'elle n'était pas désintéressé alors je l'ai invité après les cours pour une promenade. Au fond ça n'est pas que ça se soit mal passé, en tout cas pour quelqu'un qui n'aurait voulu que se promener et se montrer sympathique. Mais voilà, il ne s'est rien passé, elle ne me regardait jamais dans les yeux, et à plusieurs reprises j'ai remarqué qu'elle ralentissait pour marcher à plusieurs pas derrière moi. Avait-elle honte de moi ? Et pourquoi ? Mon allure ? Ma démarche, probablement particulière ? Peu importe, je voyais bien que je n'arrivais à rien avec elle, et arrivé à l'heure où elle devait partir rejoindre des amis, je l'ai raccompagné par courtoisie, puis je suis parti triste comme un sir, avant de me pinter la tronche toute la soirée et de parler à des clochards, jouant l'assistant social, le mec à l'écoute, payant même une bière à l'un deux, que j'ai réussi à saoûler ( autrement ). J'en reviens à l'idée qu'il me faut avoir une vie ordonnée, voir stricte. Je suis d'une nature trop complète pour me faire aux concessions, et il me faut toujours le tout ou le rien. Ce genre d'anecdote reflète bien à quel point des humeurs et des attentes déçues peuvent me faire basculer vers des attitudes baroques. Ma vie ne possèdent pas les piliers nécessaires à une stabilité qui me permettrait d'absorber le choc des déceptions, ma sensibilité est de plus, trop maladive. Tout me porte à m'éloigner des préoccupations humaines, et pourtant je ne fais pas ce constat sans amertume. Car s'il s'avère que je ne suis rien de plus qu'un déséquilibré, incapable de se faire même une petite situation, il ne me restera plus qu'à tout oublier, et crever chez ma mère.

J'hésite à parler de cette anecdote qui a eu lieu la semaine dernière lundi, avec la prof d'anglais. J'ai peur que ça soit long et désagréable à se souvenir comme à écrire. Pour faire court, je lisais dans son cour, à défaut de ne rien y faire. Paraît-il qu'elle fît quelques allusions en anglais à mon activité qu'elle jugeait déplacée. Mais je n'avais rien perçu et dans un accès de nerfs elle jeta mon livre sur une table devant elle, me l'arrachant carrément des mains. J'ai été récupéré mon livre et j'y remis calmement son marque-page ( qu'elle avait évidemment fait sauter ) avant de le ranger, protestant qu'elle pouvait s'y prendre autrement pour me faire quitter mon livre, par la parole, par exemple. Comme après le cour elle tenait à me dire deux mots, elle en profita pour me faire comprendre qu'elle avait conclut que je n'avait pas compris ses sous-entendus en anglais, et que mon niveau ne devait pas être aussi bon que je le croyais, ce sur quoi je lui ai répondu que la raison était surtout que je ne calculais pas tout ce qu'elle disait ( en plus avec toutes les médisances que je crois entendre sur moi, et dont certaines doivent être réelles, je suis bien obligé ), et que je ne me croyais pas si bon que ça, que je n'avais aucun souci d'infériorité ou de supériorité. Elle me souhaita bonne soirée, comme pour conclure bien, et je ne répondais rien. Elle m'avait vraiment affecté, et j'avais été presque au point de pleurer lorsque je lui évoquait la violence qu'eus son geste sur moi. Cette sensiblité à fleur de peau, qui ressemble à celle d'une jeune pucelle déréglée, me fait quand même honte lorsqu'elle s'exprime ainsi. Je sortais des cours abbatu, comme violé dans ma contenance, dans ma réprésentation et mon respect. Je sentais à quel point toute la construction que j'avais établi sur moi-même pouvait être percé par un geste aussi anodin, mais porteur de tellement de sens sur ce que cette professeur pouvait s'estimer en droit de me faire. Aurait-elle osé un tel geste sur un homme mûr ? Probablement pas, et c'est bien que je ressemblais encore à un adolescent sur qui on peut encore exercer un peu d'emprise et de pouvoir. Je pleurais dans le métro, cherchant tout de même à ravaler mes pleurs, et à ravaler le plaisir de l'apitoiement de soi, que je sentais affluer, bien naturellement. J'ai bu toute la soirée, en avalant un plat de spaghettis, un sachet de gruyère, un pot de sauce, une baguette, un fromage, un paquet de gâteau, et des bonbons. Cette anecdote me rend compte d'une chose, c'est qu'avoir une vie totalement ordonnée ne pourra pas me protéger des inconvenues imprévisibles s'étendant au delà de mon pouvoir de contrôle et d'action. J'en serais toujours la proie. Il faudrait donc que le travail et l'acharnement soit assez énorme pour me blinder d'une estime infaillible, au moins à la hauteur de cette sensibilité trop large et profonde.

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