Extrait du Chemin de traverse (L'Echo)

Colette Bonnet Seigue

Défi 11 ECHO (Jetez l'encre)

 

 La nuit discrètement s’était effacée pour laisser place à l’aube naissante.   Amélie eut envie de sauter très haut dans la nuit ajourée, d’écraser de ses pieds nus les cailloux gênants, d’éclabousser les ombres inutiles, d’éclater le bois mort des sentiers. Elle eut envie de prendre un bouquet d’arbres, de pleurer l’oiseau mort ! Pour la première fois, elle sentit les larmes sourire à son rire et son rire s’éparpillait si loin, cherchant une réponse et les réponses répondaient :

 

- Qui est-là? dit Amélie.

 

- C’est moi l’écho!

 

- Echo? Echo? Tu fais trop de bruit, passe ton chemin!

 

- Mon chemin est le tien, je suis le reflet de ta voix!

 

- Mais ma voix m'appartient!

 

- Sais-tu que nous avons plusieurs voix ? Les mots sont multiples, ils ont besoin de cris pour leur résonance et je suis là pour transmettre leurs sons à l’infini ! 

 

- Tu me fais peur ! Je n’aime pas les tumultes ! Je préfère la musique douce des mots ! Elle me berce et m’envoûte  ! Ils me chavirent tant ils résonnent en mon cœur. Peux-tu te faire plus doux, plus cohérent, dans tes répétions cacophoniques ?

 

Le vent se leva soudain, la forêt se mit à bouger, et l’écho se faufila entre les arbres. "Tu entends ma voix ? "

 

- Oui ! Pour l’instant tu ne me gênes guère, disons plutôt que j’aime ce roulis de vent dans les branches.

 

Comme le vent s’amplifiait, l’écho se fit tronituant.

 

- Arrête ! Je n’aime pas ça ! Tu m’angoisses ! Je ne te supporterais pas longtemps !

 

- Pardonne mes vibrations, c’est à cause de ce vent bruyant qui tourbillonne aujourd’hui. Mais je peux me faire doux comme ces mélopées qui enveloppent les chagrins trop lourds à porter. Parce qu’un poids de chagrin ça peut être aussi lourd qu’un mammouth. Tiens, écoute cette soudaine brise marine ! Tu l’entends ? Alors, tu peux m’entendre aussi si tu fermes les yeux. Ton oreille sera alors plus fine, plus attentive au plus petit tempo de ma voix, à sa plus douce intensité. Beaucoup ont du mal à capter ces petites ondes si importantes pour la sérénité.

 

- La sérénité?

 

- Oui, l’état de l’air ambiant, sans nuage, sans brouillard, sans vent. Ces petits malins de la nature, sont souvent gênants. Avoir un nuage à l’intérieur n’est pas de bon augure, il va obscurcir ta vie si tu ne le chasses pas. Il en est de même pour le brouillard qui t’empêche d’avancer. Quant au vent, c’est mon affaire, puisque il m’envoie ses forces vibratoires que je transmets à ton tympan. Comprends-tu pourquoi c’est si important de percevoir les plus infimes particules de ma voix douce ? C’est si reposant ! Ca permet de méditer et méditer, c’est découvrir tous les trésors intimes. Chacun possède ce petit coffret qui enrichit la vie. On peut l’ouvrir à sa guise, quand on veut, où on veut. 

 

- Encore faut-il en avoir la clef !

 

- Nous avons tous l’unique clef pour accéder à la plénitude !

 

- Toi aussi, comme la nuit tu parles de plénitude. Mais on en a marre de tous ces bruits de canons qui claquent sur la terre ! Ils tuent,  brûlent  des âmes innocentes ! Tu laisses le monde sans voix si tu répètes un bruit de canon ! Les langues de vipère envoient elles aussi de la poudre à canon quand elles jettent leur sonore venin. Et toi, tu amplifies leurs ondes de haine.

 

- Je préfère amplifier des chansons d’amour, des mélodies qui vibrent au cœur de tous ! Elles envoûtent l’âme et sont porteuses de paix. Ainsi ma voix est en osmose avec les ondes célestes. Toutes ces  vibrations se répandent sur la planète pour sa plus belle harmonie.

 

- Parlons - en de cette harmonie planétaire ! En commençant par mes parents séparés, notre voisine qui ne nous parle plus, le patron de ma tante qui élève toujours la voix, ça la terrorise, elle travaille tout le temps dans la peur d’une dispute ! C’est insupportable ! Sans compter les énervés de la conduite qui n’arrêtent pas de jouer du klaxon en traitant les autres de noms d’oiseaux. Tu ne te gênes guère à répéter les bruits de klaxon ! Tu trouves tout ça harmonieux ? Fais- moi entendre un chant d’Homme qui aime ! Efface le bruit des armes, celui des langues haineuses !

 

- Tu as raison, pour tous ces bruits mauvais, je n’y suis pour rien. Tiens par exemple, quand je répète : Amélie ! Amélie ! Mélie ! mélie ! mélie ! Ton prénom me parle tant, que j’ai envie de transmettre tout ce qu’il représente à mes yeux. La beauté de ton regard, ton sourire, ta silhouette, l’éclat de ton âme. Il n’y a rien de plus vibratoire qu’une âme étincelante. Ca me retourne tant, que ça me transporte à l’infini. Ainsi, ton prénom est unique. La voix de chacun est unique, même si parfois elle se fait nerveuse, rauque, taciturne. Je n’aime pas les voix nasillardes, elles ne m’inspirent guère. Je préfère la tienne, elle déclanche chez moi des sons si enveloppants, que je deviens suave à souhait.

 

- Aimes-tu ce prénom : Marguerite ?

 

            Aussitôt, l’écho répéta dans un son céleste : Marguerite !  Guerite… Rite … Rite…  La voix de l’écho se fit douce, intemporelle, comme pour traduire une présence familière. Sans aucun doute, ce prénom collait si bien à ses vibrations, qu’il répliqua spontanément :                                                                                                                       

            - Il me semble connaître celle qui porte ce prénom.   

                       

            Comme Amélie s’apprêtait à dévoiler son mystère, l’écho l’en empêcha:

 

- Arrête, laisse- moi deviner, j’ai presque trouvé ! Marguerite, c’est le prénom d’un être cher n’est-ce pas ?

 

- Tu l’as dit, il appartient à la fleur la plus auréolée de la terre !

 

- Marguerite est une fleur champêtre aimée de tous ! " Je t’aime ! aime… aime…  un peu… eu… beaucoupcoup … passionnément…nément… à la folie… folie ! "

 

- Stop ! s’écria Amélie ! Surtout ne dit pas : " Pas du tout ! " Parce que cette Marguerite là est la plus aimée ! C’est ma mère, tu avais deviné ?

 

- Disons que son prénom a une musique si exceptionnelle, si proche de ta voix, de ta présence, de tes vibrations, qu’elle est comme ton double. J’étais sur le point de deviner la force de ta mère. Fœtus lové dans ton nid océan, tu m’as perçu, selon la force et l’intensité de la voix de ta mère. Quand sa voix était pressée, bruyante, coléreuse, je traduisais ses vibrations avec le plus grand soin. J’ai effacé ses orages pour apaiser tes vagues utérines. Dans mes répétitions je me suis fait berceuse afin  d’ouvrir tes oreilles aux doux décibels maternels. Que vogue le bateau sur la musique de ta vie ! Les Hommes disent que lors du dernier voyage c’est la voix de leur mère qui susurre à leurs oreilles.

 

- Tu pourrais répéter des chansons d’amour à ceux qui ne se parlent plus ?

 

- Ce n’est pas faute d’essayer, mais les êtres en rupture occultent mes vibrations. Ils souffrent trop. Pour me percevoir il faut écouter. Ecouter, c’est sentir, c’est ouvrir tous ses sens à mes plus infimes ondulations. Tu le sais, je me défile aux turbulences, elles sont porteuses d’agitations. Il faut veiller aussi aux mauvaises interprétations de la parole des mots. Il suffit qu’un mot soit tordu ou blessant pour donner au son un sens différent. Et moi, je peux l’interpréter à ma manière. C’est ainsi que les Hommes ont du mal à se comprendre. Ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes. C’est comme ça que naît une rumeur. Il faut se méfier d’une rumeur qui grossit plus vite qu’on ne pense. La rumeur est tenace, elle s’incruste, enfle pour s’installer haineuse de bouche en bouche.

 

- Pourquoi fais-tu alors le jeu de cette rumeur ?

 

            - Je n’y peux rien, c’est la faute des gens ! Ils n’ont qu’à adoucir leur voix pour auréoler la terre de mes plus belles ondes. Et puis, il y a ceux qui coupent si vite la parole, que je n’ai même pas le temps d’intervenir. La parole coupée est amputée de son sens. Décapités, les mots bavards tombent de leur guillotine, laissant place aux mots impertinents et ainsi de suite, d’autres paroles prennent le relais jusqu’à la prochaine césure.

 

- Les Hommes devraient s’écouter sans se couper la parole. La parole de chacun est si importante ! D’ailleurs c’est pour cela qu’en classe on me dit : " C’est désespérant, Amélie tu n’ouvres jamais la bouche ! " Je ne me sens pas désespérée. Pourquoi l’ouvrirais-je, puisqu’on me coupe la parole ? Alors, je préfère écouter.  C’est bavard un mot en manque d’écoute.  Ils nous envoûtent les bons mots, avec eux on oublie tout, la  cacophonie de la rumeur, les injures des mauvais mots.

 

- Je te crois sur parole, affirma l’écho. Promet- moi de faire un effort.

 

- Lequel ? répliqua avec surprise Amélie.

 

- Celui de bavarder un peu plus en classe! Il faut ouvrir sa porte aux autres, même aux plus bavards de ta classe. Il faut communiquer pour échanger ses idées, sa culture ! Je me vois bien, porteur de chants et voix multiples de tous les humains de la planète ! Ce serait excitant ! Je mélangerais le son des mots musiciens en une seule et même vibration, ainsi les hommes seraient sur la même longueur d’onde. Enfin, on se comprendrait tous grâce à mon souffle.

            J’aimerais faire résonner sur toute la terre les voix les plus sages afin qu’elles libèrent celles de leur peuple, bâillonnées, interdites de paroles. Libération ! Ration…tion…ion…ION …ION   des voix opprimées ! Liberté de parole des obligés au silence !  lence…lence !

 

- Bravo ! fit Amélie en claquant des mains énergiquement. Je te nomme porte-parole  du monde !

 

- Je ne sais pas si le monde est prêt à m’entendre. Aujourd’hui, si je suis là, sur ce chemin, c’est pour toi, rien que pour toi, à cause de ta voix.  Si ta voix est douce, je serais suave, si elle gronde, je serais tonnerre, si elle chante je serais trémolo ! Je suis l’autre voix, la voix du poète qui pleure, celle du torrent qui s’agite, la voix de l’horloge qui cogne.

 

            -Tu es vraiment mon autre voix ?

 J’ai une autre…autre… voix…voix… !!!

 

         - Je suis la voix de ton cœur. On doit se quitter maintenant car un orage gronde. N’entends-tu pas le roulement que je projette sur la colline ? Je ne peux pas être partout à la fois, mais je te garde en moi pour toujours !  

 

- Echo !!! Echo !!! cria Amélie en s’époumonant. L’écho avait disparu, on entendait au loin le tonnerre murmurer. Mais sa présence était réelle, ineffaçable. C’était vrai, la petite voix tourbillonnait à l’intérieur pour se faire une nouvelle place.

Un petit creux bavard, seulement un petit creux de rien du tout pour se lover à jamais...

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