Fais un vœu

nocyla

Après avoir tout perdu une jeune femme trouve une vieille lampe poussiéreuse. Après l'avoir frottée, un génie en sort et lui offre trois vœux. Obtiendra-t-elle ce qu'elle veut ? (OS)

Je me souviendrais toujours du jour où ma vie prit un tournant décisif. C'était le jour de mon déménagement.

J'habitais jusque-là un petit T4 en centre-ville. J'étais heureuse en couple, j'avais un métier qui me plaisait et dans lequel je m'épanouissais. Tout allait pour le mieux, du moins c'était ce que je pensais. Dans la même journée, on m'avait virée pour licenciement économique et le soir même, avant que je puisse annoncer à mon fiancé que je venais de perdre mon boulot (espérant alors un quelconque soutien de sa part), voilà qu'il m'annonçait qu'il me quittait, rompait nos fiançailles, annulant par la même occasion notre mariage prévu la semaine suivante. Et tout ça pour quoi ? Pour sa bombasse de secrétaire.

 

Jour 1

Trois mois plus tard, n'ayant toujours pas retrouvé du travail et ne pouvant plus me permettre de payer le loyer de notre appart en ville, il fallut que je me trouve quelque chose de plus petit, adapté à mes nouveaux moyens. C'est comme ça que je me retrouvais à faire mes cartons pour déménager dans un petit studio à la sortie de la ville.

Alors que j'avais fini de déballer mes cartons,je devais amener le reste à la cave, n'ayant plus la même place dans mon petit studio qu'avant. Tentant de faire de la place pour mes affaires entre les différents cartons qui traînaient, je trouvai parmi eux une lampe. Une vieille lampe poussiéreuse. Je ne me souvenais pas de cet objet lors de ma visite la première fois, même si je n'avais alors fait que jeter un rapide coup d'œil à la cave. Malgré la poussière présente dessus, on pouvait distinguer des ornements de pierres précieuses. Intriguée et voyant un moyen de me faire un peu d'argent de poche en la vendant à une brocante, je la pris et la ramenai dans le studio. Prenant un chiffon légèrement mouillé, j'entrepris de la frotter. Contre toute attente, de la fumée sortit du bec de la lampe. Sous mes yeux ébahis, un homme torse nu à la peau bleutée apparut devant moi. Le génie qui était sorti ne possédait pas de jambes. En effet, du bec de la lampe poussiéreuse s'échappait de la fumée qui lui faisait office de bas du corps. Lorsqu'il prit la parole, sa voix était comme éteinte, elle n'était que chuchotement fantomatique.

 

- Tu as le droit à trois vœux. Pas un de plus, pas un de moins. Choisis bien tes mots et donne-moi ton premier souhait.

 

Était-il sérieux ? Est-ce que j'avais vraiment affaire à un génie capable de réaliser tous mes souhaits ? Alors que j'étais en train de me demander si ce que je vivais était réel, la situation en elle-même me sauta au visage. Ce mec venait de sortir d'une lampe, la fin de son corps était faite de brume et une partie y était encore. Si ce n'était pas vrai, alors qu'est-ce qui l'était ?

Je réfléchis sérieusement à la question. Qu'est-ce que je pouvais souhaiter ? Je réfléchissais alors à ce qui me manquait actuellement pour être heureuse. Au vu de la situation récente, l'argent et l'amour étaient ce qui avait de plus évident. D'un coup, une colère noire monta en moi, réalisant que si j'avais tout perdu c'était de sa faute. La faute de mon ex.

 

- Mon ex-fiancé, je veux qu'il souffre, qu'il perde tout ce qu'il possède. Qu'il soit consumé par la souffrance.

- Ton vœu est exaucé.

 

Le génie disparut aussi vite qu'il était apparu. Son absence laissa comme un trou dans mon cœur. J'avais exprimé à voix haute ce que je ressentais à l'égard de mon ex-fiancé. Jusqu'à présent, je l'avais gardé pour moi et avais même cherché des excuses à son comportement devant mes proches. Mais maintenant que j'avais exprimé ce que je ressentais réellement, j'eus un sentiment de vide, de quelque chose de non abouti. Mais que fallait-il attendre vraiment d'un type sortant d'une lampe magique ? Même … que fallait-il réellement attendre de la vie ? Je la balançai dans un coin du placard, frustrée d'avoir espéré l'impossible et m'en voulant quelque part d'avoir eu des pensées aussi noires à son égard. C'était de sa faute s'il m'avait larguée pour une autre, mais ce n'était pas de sa faute si je m'étais fait virer.

 

Jour 2

Le réveil le lendemain fut dur. J'avais encore beaucoup de CV à distribuer dans plusieurs entreprises afin de retrouver un boulot, quel qu'il soit. Si au début, j'avais cherché dans mon secteur d'activité, j'avais bien dû me résoudre à trouver n'importe quoi d'autre. L'argent n'allait pas tomber du ciel, et je ne pouvais pas rester à vivre comme ça, à compter chaque centime.

 

Mus par une envie incompréhensible, mes pas décidaient d'eux-mêmes où ils me conduisaient. Je ne savais pas où j'allais. Alors que j'étais montée dans un bus qui ne me conduisait pas dans le centre-ville, je remarquai que je n'avais même pas emporté avec moi CV et lettres de motivation. Je ne savais pas ce que je faisais dans ce bus et encore moins où je me rendais. Je pouvais descendre à tout moment et rectifier ma trajectoire, mais quelque chose me poussait à continuer.

Sans que je comprenne pourquoi, j'appuyai sur l'arrêt du bus. Alors que j'empruntais l'avenue principale, je vis sur le trottoir d'en face, ce qui fut autrefois mon fiancé. Ce qui attira mon attention en premier lieu, ce fut les cris d'une femme. Elle lui hurlait dessus et en arriva même aux mains en le giflant ! Il avait l'air tellement misérable, tellement pathétique. Il la suivait, la suppliant de rester, de leur donner une seconde chance. Mais rien n'y fit, après une belle claque dans la gueule, elle prit sa voiture et partit en trombe. Alors que mon ex-fiancé baissa la tête, penaud, avant de remonter chez lui, un sourire satisfait se dessina sur mon visage. Ce n'était que justice après ce qu'il m'avait fait ! Je continuai ma route, le cœur beaucoup plus léger ! Il m'avait larguée comme une merde il y a trois mois, se faire à son tour larguer comme une merde n'était que le retour du boomerang qu'il avait envoyé.

 

Je repassai chez moi pour prendre ce qui me manquait. Puis après avoir passé ma journée à distribuer mes CV et passer des entretiens d'embauche, je rentrai chez moi, dans le petit studio à l'allure misérable à la sortie de la ville. Ça ressemblait d'ailleurs plus à une chambre d'étudiant qu'à un véritable studio. Mais, au vu de la situation, je n'avais pas vraiment le choix, je devais me contenter de ce que j'avais pu trouver dans mes moyens.

Alors que je m'apprêtais à faire le dîner, je remarquai sur le plan de travail, la lampe d'où était sorti le génie la veille au soir. Je fronçai légèrement les sourcils. Ne l'avais-je pas jetée dans le placard la veille ? Comment avait-elle pu atterrir sur le plan de travail de ma mini cuisine ? Beaucoup de questions se bousculaient dans ma tête. Comme par exemple : était-ce le vœu qui avait été exaucé ce matin ? Ou tout n'avait-il été qu'un simple rêve ? Après tout cela ne pouvait pas être vraiment réel ? Je l'avais certes vu de mes propres yeux, mais si les génies qui exauçaient les vœux existaient réellement, cela se saurait, non ? Je finis par me résigner et passai à autre chose. Cela ne pouvait être qu'une simple coïncidence à mes yeux. Comment une relation comme la leur pouvait-elle être solide ? Après tout, nous étions restés ensemble pendant huit ans. Nous avions une histoire commune. Et elle avait débarqué et en quelques mois, pouf, plus de fiancé. Cela n'avait rien d'étonnant qu'ils soient déjà séparés. C'était forcément dû à une coïncidence.

 

Jour 3

Le lendemain, réveillée en sursaut à la suite d'un rêve étrange, j'eus l'envie soudaine de reprendre le même chemin que j'avais emprunté la veille. Je ne saurais dire si c'était la curiosité qui me poussait à faire ça, mais j'avais l'intime conviction que je devais reprendre ce même chemin. Tant pis pour ma démarche de prospection pour trouver un emploi. Pour une fois où je ne cherchais pas à trouver du taff, cela ne pouvait pas me faire de mal. Je pouvais bien m'accorder un petit moment de répit.

Et c'est comme ça que je me retrouvais à la même heure que la veille, devant la nouvelle maison de celui qui était devenu mon ex-fiancé. Il n'y avait qu'une seule voiture sur l'allée de garage, la sienne. Une belle berline gris métallisé … dont les pneus avaient été crevés, récemment. J'esquissai un sourire de satisfaction. Lorsqu'il était parti, il avait gardé la voiture, alors que c'était moi qui l'avais achetée avec mon dur labeur. Quand je pensais à l'énergie que j'avais dépensée pour obtenir ce rabais ! Et il me l'avait arrachée sans aucun remords !

Je m'avançai et je regardai à travers la fenêtre si je voyais quelque chose. Ce n'était pas bien joli ce que je faisais, mais quelque chose en moi me poussait à le faire, à obtenir davantage d'informations. Je ne vis rien dans le charmant salon bien décoré, mais j'entendis alors des voix provenant de l'arrière de la maison. Avançant à pas de loup, je m'approchai afin de mieux discerner ce qui se disait. C'était lui, mon ex. Il était au téléphone, avec ce qui semblait être son travail. Non mieux ! Son boss. Au ton qu'il employait, je pouvais aisément comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une conversation amicale. Le ton suppliant, mon ex cherchait à obtenir ce qui semblait être un délai supplémentaire pour rendre un dossier. Tentant de convaincre son interlocuteur, ce qui était autrefois mon fiancé cherchait par tous les moyens de trouver un arrangement avec ce que je supposais être son patron. J'imaginais sans mal que cela n'avait pas fonctionné quand il se mit en colère en l'insultant de tous les noms. Je me penchai légèrement, étant la plus discrète que possible, pour le voir balancer son téléphone à terre et donner un coup de pied dans des objets qui se trouvaient à proximité. Il venait de se faire virer. Une joie immense me remplit le cœur. Ce que cela faisait du bien de le voir perdre tour à tour tout ce qu'il avait. Son amour, son travail. Il perdait tout. Il était justement en train de perdre tout ce qu'il possédait. Alors qu'un sourire se dessinait sur mon visage, je fis demi-tour et rentrai chez moi aussitôt. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Pas deux fois en si peu de temps. J'étais sûre d'une chose : le génie était réel et avait bien exaucé mon souhait. J'avais fait un souhait, il m'en restait deux. Et je comptais bien reprendre ma revanche sur la vie.

 

Arrivée chez moi à la hâte, j'allai directement dans le placard dans lequel j'avais jeté la vieille lampe poussiéreuse, mais ne l'y trouvais pas. Je l'avais pourtant projetée à cet endroit l'autre soir, où pouvait-elle bien être ? Je me rappelais soudain que je l'avais vue hier soir, là où elle n'aurait pas dû être. Je me retournai et la vis, posée sur le canapé. Si je ne m'étais pas rappelé l'avoir bougée de place jusqu'au plan de travail de la cuisine, j'étais en revanche sûre de n'y avoir pas touché la veille. Je l'avais laissée sur le plan de travail, alors comment avait-elle pu apparaître derrière moi sur le canapé ?

À la fois méfiante et excitée, je m'approchai de la lampe et la pris dans ma main. Quel étrange objet. Et c'était peu de le dire ! Pour la deuxième fois, je la frottai comme je l'avais fait l'autre soir. Et de la même manière, le génie en sortit par le bec. Moins prise au dépourvu que la première fois, je fis plus attention à son apparence. En effet, je remarquai le collier en or serré autour de son cou, chose que je n'avais pas remarqué la première fois. Les marques rougeâtres au point de contact entre les pierres précieuses et la peau prouvaient que le bijou comprimait la chair de manière douloureuse. Les rubis étaient comme hypnotisants. Je noyais mon regard dans les saphirs tandis que j'étais attirée par l'onyx.

 

- Un souhait a été exaucé. Il t'en reste deux. Pas un de plus, pas un de moins. Choisis bien tes mots et donne-moi ton deuxième souhait.

- Mon patron. Il a pris mon boulot et m'a virée sans aucun motif valable. Je veux qu'il paye. Je veux qu'il sache ce que cela fait d'avoir le sentiment de voir sa vie se terminer, de ne plus pouvoir respirer. De ne plus pouvoir bouger par la peur qui nous cloue sur place. Qu'il comprenne ce que cela fait d'avoir le souffle coupé.

- Ton vœu est exaucé.

 

Le génie disparut de la même manière que la première fois. La lampe retomba que le sol sans un bruit. Je n'avais qu'une seule chose en tête : Les injustices que j'avais subies allaient être réparées. J'étais tellement focalisée sur ma vengeance, que je n'avais même pas remarqué l'absence totale de bruit lorsque la lampe toucha le parquet. J'avais le cœur beaucoup plus léger maintenant que j'avais fait mon deuxième souhait. J'avais l'impression que tous les soucis que j'avais eus jusqu'à présent allaient pouvoir se régler d'eux-mêmes. Je commençai enfin à reprendre goût à la vie après toutes les merdes qui m'étaient tombées dessus ces derniers mois.

Le reste de la journée, j'eus l'impression que le soleil brillait beaucoup plus que d'habitude. Ou c'était peut-être moi qui voyais ma journée s'illuminer. Le soir venu, je me couchai et m'endormis aussitôt.

 

Jour 4

Il n'était que six heures du matin lorsque je me réveillai en sursaut après un horrible cauchemar. J'étais incapable de le décrire avec précision, ni même de le décrire tout court. Mais pourtant, il en ressortait une sensation désagréable de peur et de malaise. J'avais froid, néanmoins ma peau me brûlait. J'étais sèche, mais je me sentais comme si j'avais reçu un bain d'eau glacée. Je ne me souvenais pas de mon rêve et pourtant j'en tremblais de peur. Je décidai de me ressaisir, ce n'était qu'un rêve après tout ! Pas de quoi en faire tout un fromage ! J'allai prendre ma douche et ne pris par la suite qu'une barre de céréales en guise de petit-déjeuner. Motivée par la même sensation incompréhensible que la veille, je pris le bus et me dirigeai une nouvelle fois vers la maison de mon ex-fiancé. Avant même que je ne descende à l'arrêt, je compris que quelque chose n'allait pas. Le car ne pouvait pas s'arrêter à sa station comme à l'habitude. La route semblait être déviée. L'autobus tourna alors dans la rue adjacente et nous fit descendre à cet endroit. Intriguée, je sortis de l'autocar et continuai dans la rue pour aller jusqu'à la maison de mon ex. Une forte odeur de brûlé me chatouilla les narines. Levant les yeux, de la fumée noire se dégageait un peu plus loin. Je me stoppai net. Ce n'était quand même pas le domicile de mon ex-fiancé qui avait brûlé ? Prise d'une soudaine panique (ou était-ce encore une fois de la curiosité ?) je me mis à courir vers la demeure de mon ex. C'était bien cette habitation, c'était sa maison qui avait brûlé. Il ne restait plus qu'un tas de cendres fumantes. Je voulus me précipiter vers l'ambulance mais un policier m'empêcha d'aller plus loin. Je me présentai comme l'ex-fiancé de la personne qui habitait là. L'officier en uniforme fronça les sourcils et me jeta un regard interrogateur qui me surprit. Je compris qu'il s'attendait à voir l'autre blondasse. Je dus alors lui expliquer que nous étions séparés depuis trois mois déjà. Il sembla compatir et m'apporta alors des nouvelles sur ce qui s'était passé. Mon ex s'était endormi avec un mégot de cigarette à la main, semblait-il. Mais il ne fumait même pas ! Il n'y avait qu'une seule fois que je l'avais vu fumé durant les huit ans que nous avions passés ensemble. C'était lors de ma fausse couche. Cela l'avait beaucoup stressé et il n'avait sorti qu'une seule cigarette qu'il avait fumée. C'était la seule fois où je l'avais vu fumer. J'avais encore du mal à imaginer qu'il avait pu s'endormir avec un mégot de cigarette allumé. Et encore moins que l'incendie réduise en cendres la maison toute entière.

Sous mon regard choqué, l'officier de police m'apprit qu'il avait été retrouvé en vie et qu'il était transporté en urgence à l'hôpital le plus proche dans le service des grands brûlés. Ni une ni deux, je courus vers le premier taxi que je vis et lui demandai d'aller à l'hôpital le plus vite possible. J'avais besoin de le voir. Cela s'était peut-être mal terminé entre nous, mais je voulais savoir jusqu'où s'étendait le vœu que j'avais fait.

 

Arrivée au centre hospitalier, je m'identifiai auprès de la secrétaire médicale. Peu agréable, celle-ci m'informa qu'il ne pouvait pas recevoir de visite pour le moment, que je devais patienter ou revenir le lendemain. Je décidai de patienter en allant dans la salle d'attente. Je ne partirais pas sans savoir dans quel état il se trouvait.

 

Jour 5

C'est en sursaut que je me réveillais. L'infirmière à mes côtés avait encore ses mains sur mes bras lorsque j'ouvris les yeux. Elle semblait être inquiète à mon sujet. Elle sortit un mouchoir et m'essuya le visage. J'eus un mouvement de recul, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Quand je vis le sang sur le mouchoir, je mis instinctivement ma main au niveau de mon visage pour comprendre d'où provenait tout ce sang. Il semblait que j'avais saigné abondamment du nez durant mon sommeil. Mais ce n'était pas tout. L'infirmière m'apprit que je m'étais débattue en hurlant à faire froid dans le dos, selon ses dires. J'étais un peu désorientée et je ne comprenais pas tout ce que cette infirmière me disait. Mais je n'avais qu'un seul mot en tête. Un nom. Celui de mon ex-fiancé pour lequel j'avais fait ce trajet la veille. La soignante avait beau répéter de rester tranquille et de ne pas bouger, je n'avais qu'une seule intention, le voir, prendre de ses nouvelles. Comprenant qu'il n'y avait rien à faire, que je ne changerais pas d'avis, l'infirmière me conduisit jusqu'à l'étage où se trouvait ce qui était autrefois mon fiancé.

Nous nous arrêtâmes devant une chambre avec une fenêtre. À cause de ce qui semblait être des rideaux blancs, j'avais du mal à distinguer ce qu'il y avait au-delà. L'infirmière m'apprit que l'homme qui avait partagé ma vie pendant huit ans avait son corps de brûlé au 3ème degré. 75% de la surface de son corps avait été brûlé. Selon l'infirmière, c'était un miracle qu'il soit encore en vie. Je remarquai qu'elle se mordait la lèvre inférieure, elle hésitait à poursuivre. Devant mon insistance et ma détermination, elle finit par m'avouer qu'il était malheureusement conscient de ce qui se passait et que même la morphine ne lui faisait rien. Ils avaient dû le placer en coma artificiel. Après une nouvelle hésitation, l'infirmière me confia qu'il ne sera plus jamais le même. Le feu avait endommagé jusqu'à sa moelle épinière et il se retrouvait tétraplégique.

J'écarquillai les yeux de surprise. Alors que mes paroles résonnaient dans ma tête, je pris la fuite et courus aussi vite que possible pour m'éloigner à tout prix de l'hôpital. « Je veux qu'il souffre, qu'il perde tout ce qu'il possède. Qu'il soit consumé par la souffrance ». C'étaient mes mots exacts lors de mon vœu. Le vœu que j'avais demandé au génie d'exaucer. Si je voulais me venger de ce qu'il m'avait fait, je ne souhaitais pas pour autant qu'il lui arrive ça. Je n'avais jamais souhaité ça ! Jamais ! Mon souhait avait été déformé. Déformé par cette créature, ce génie qui m'avait piégée.

 

Après avoir pris le taxi une nouvelle fois, j'arrivai chez moi en trombe et mis mon studio sans dessus dessous pour remettre la main sur cette fichue lampe. Quand je retrouvais enfin la lampe, on aurait pu penser qu'un ouragan avait refait la déco.

Je frottai la lampe et le génie en sortit, comme les précédentes fois.

 

- Deux souhaits ont été exaucés. Il ne t'en reste qu'un. Pas un de plus, pas un de moins. Choisis bien tes mots et donne-moi ton troisième souhait.

- Je n'ai jamais souhaité que mon fiancé se retrouve à l'hôpital entre la vie et la mort, m'écriai-je, désespérée. Tu as déformé mon souhait.

- Non, maîtresse. Tu m'as demandé qu'il souffre et qu'il perde tout ce qu'il possède. Puis qu'il soit consumé par la souffrance. Ton premier vœu a été exaucé, dans cet ordre. Quel est ton troisième souhait ?

- Va en enfer !

 

Je jetai la lampe contre le mur. Elle ne se brisa pas, ne fit aucun bruit à l'impact. Quelle conne, j'avais été ! L'homme qui avait partagé ma vie pendant huit ans, se retrouvait entre la vie et la mort à cause d'un choix stupide que j'avais fait. Cela n'avait jamais été ce que j'avais voulu. Je poussai un cri de rage. Je voulais me venger, mais je ne voulais pas qu'il se retrouve là.

Mais même si je n'avais jamais demandé à ce qu'il se retrouve dans cet état, les sentiments que je ressentais au vu de la situation étaient plutôt mitigés… Après tout, pourquoi pas ? Ce n'était que justice. C'était de sa faute ce qu'il lui arrivait.

 

 

Le reste de la journée, je l'ai passé principalement à tourner en rond dans mon studio et à trouver le troisième souhait que je pouvais faire. Je faisais des allers-retours entre la salle de bain et mon pc. La salle de bain, c'était pour mes saignements de nez récurrents depuis que j'étais sortie de l'hôpital le matin même. Ou alors pour une pause pipi. C'était fou comme le stress me faisait aller aux toilettes beaucoup plus souvent que d'habitude. Et si je passais autant de temps sur internet, c'était pour savoir jusqu'où les vœux pouvaient aller. J'avais eu ce que je voulais avec mon premier vœu, j'avais été vengée et il avait souffert comme ce que j'avais espéré. Mais la suite du vœu n'était pas ce que j'avais voulu. Mais même si ce n'était pas ce que j'avais voulu, en y réfléchissant bien, ce n'était pas plus mal. Je me demandais jusqu'où les vœux pouvaient aller, quelles étaient leurs limites ? Est-ce que je pouvais revenir dans le passé et retrouver ma place avant que l'injustice ne me frappe et que tout parte en cacahuète ? Fatiguée, je finis par m'endormir sur mon ordinateur.


Jour 6

Je me réveillai en toussant et en crachant du sang. Ça me faisait littéralement expulser mes poumons de leur cage thoracique. Je finis par tomber à quatre pattes par terre, n'arrivant plus à reprendre ma respiration entre chaque quinte. Je finis même par vomir du sang sur le sol.

Mais après ce qui me sembla être une éternité, je finis par arrêter de cracher mes poumons et je pus enfin reprendre ma respiration. Je m'assis un instant le temps de reprendre mes esprits et de faire des exercices de respiration. J'avais déjà été malade avec la gorge enflammée qui me faisait souffrir. Dans ces moments-là, une fois que j'avais fini de tousser, j'avais encore mal à la gorge et aux bronches. Comme des restes que j'avais eus. Mais là il n'y avait rien de comparable. Il n'y avait aucune douleur qui me restait que ce soit à la gorge ou ailleurs. C'était comme si je n'avais jamais rien eu. Comme si cela n'était jamais arrivé. Seules les traces de sang sur le sol étaient la preuve de ce qui m'était arrivé. Rien physiquement ne pouvait prouver de ce qui venait de se passer. Je me sentais bien, mis à part que je tremblais un peu, encore sous le choc de ce qui était arrivé. J'avais cru, l'espace d'un instant, que je n'arriverais plus à respirer et que j'aurais fini par m'étouffer dans mon propre plasma. Je finis par me lever et me dirigeai vers la salle de bain pour enlever tout le sang qui me restait sur le visage et les vêtements.

 

Me passer de l'eau froide sur le visage me fit beaucoup de bien et me permit aussi d'arrêter de trembler. Me vint alors quelque chose en tête. Mon deuxième souhait avait dû être exaucé entre temps. Et mon ancien patron avait sûrement dû recevoir la punition qu'il méritait après ce qu'il m'avait fait. Me virer sans aucune raison valable ! Et le pire c'est que je ne pouvais même pas le poursuivre pour licenciement abusif. Il s'en était assuré !

J'avais tout de même besoin d'être sûre qu'il avait eu ce qu'il méritait et que tout comme moi, il avait été cloué sur place lorsqu'on lui avait appris son licenciement.

 

C'est comme ça que je me rendis à mon ancien boulot. En plein centre-ville, dans le plus grand bâtiment de la banque. Je n'eus pas l'occasion de rentrer à l'intérieur. La police était présente et le périmètre bouclé. Je me trouvais au niveau du cordon de sécurité, ne pouvant aller plus loin. Y avait-il eu un braquage ?

J'entendis deux vieilles dames à côté de moi discuter de l'affaire. « Il aurait été retrouvé crucifié dans la salle des coffres » disait l'une. « Avec les parties génitales à l'air et des billets dans la bouche » disait l'autre. Je fronçai les sourcils. Mais qu'est-ce que cela voulait-il dire ? Mon vœu était que mon ancien patron soit viré de son emploi alors … que s'était-il réellement passé dans cette banque ? Peut-être que ce n'était pas de lui que l'on parlait. « Franchement, quel acte immonde ! Un honnête directeur de la banque … se retrouver comme ça ! » Il s'agissait bien de mon patron. Comment le vœu avait-il pu tourner à ce point ? « Oui, enfin un honnête homme, c'est vite dit … il culbutait la directrice adjointe dans la salle des coffres où il a été retrouvé ! Alors qu'il était marié. À ce qu'il parait lorsque sa femme a découvert qu'il la trompait, il a viré son amante ! Mais le pire, c'est qu'on a découvert qu'il manquait de l'argent dans la salle des coffres. Pas loin d'un quart de millions. Non, mais vous vous rendez compte ? Où va le monde ? »

 

Je n'en écoutais pas davantage et décidai de rentrer chez moi. J'en avais assez entendu. Je ne voulais pas en savoir plus. Je ne savais pas comment mon vœu avait-il pu mal tourner à ce point, mais à dire vrai, je n'en avais rien à faire. Après tout, c'était lui qui m'avait virée quand la vérité avait éclaté, il n'avait que ce qu'il méritait. Je n'avais aucun remords. Et encore moins avec ce second vœu dont le résultat m'allait très bien. Et si je n'avais pas retrouvé du travail comme directrice adjointe dans une autre banque, c'était peut-être parce qu'il m'avait mis des bâtons dans les roues, incapable d'assumer ses actes. C'était lui qui m'avait draguée le premier.

Je retournai dans mon petit studio et m'assis sur le canapé, le temps que je puisse réfléchir à mon troisième et dernier vœu. Le premier vœu avait d'abord marché comme je le souhaitais avant de tourner au vinaigre et de prendre une tournure que je ne souhaitais pas, même si, en fin de compte, ce n'était pas plus mal. Le second vœu avait fonctionné au-delà de mes espérances. Et le fait que mon ancien patron soit mort crucifié dans la salle des coffres ne m'importait pas. Donc on pouvait dire que j'étais plus que satisfaite de mes vœux. Une personne était morte et ensuite ? Il l'avait mérité de toute manière. Je me levai du canapé et me saisis de la lampe. Réfléchissant l'espace d'un court instant, je frottai ensuite la lampe et le génie en sortit.

 

- Deux souhaits ont été exaucés. Il ne t'en reste qu'un. Pas un de plus, pas un de moins. Choisis bien tes mots et donne-moi ton troisième souhait, me demanda le génie.

- Je veux que justice soit faite. Il y a eu trop d'injustices dans ma vie, je veux que les coupables payent.

- Justice a déjà été faite. Avec combien d'hommes as-tu couché pour obtenir ce que tu voulais ? Ce n'est que justice que ton fiancé te quitte avec la première venue à une semaine de votre mariage. Tu couchais avec ton patron dans la salle des coffres pour voler l'argent de la banque et des clients. Ce n'est que justice d'avoir perdu ton travail.

- Je ne mérite pas ça ! m'écriai-je.

- Non, en effet, tu mérites pire.

- Alors mon troisième vœu sera de retrouver l'argent et le salaire que j'avais avant. Je veux retrouver mon appartement en centre-ville. Je veux retrouver la vie que j'avais avant, maintenant !

- Très bien.

 

Je remarquai un détail très important. Le génie avait réalisé mes deux précédents souhaits par un claquement doigt et en me disant « ton vœu a été exaucé ». Là, non seulement il n'avait pas dit sa phrase fétiche, mais en plus je constatai un air mauvais dans son regard avant qu'il ne claque des doigts. Ce fut la dernière chose que je vis.

 

 

 

 

C'était comme ça que ma vie avait pris un tournant décisif. Quand ma vie était partie en l'air en l'espace d'une journée et comment j'avais pu tout retrouver en un rien de temps, uniquement en dégotant une vieille lampe poussiéreuse.

J'ouvris les yeux et me situais dans mon ancienne chambre. La chambre que j'avais lorsque j'habitais encore dans mon T4 en centre-ville. La tapisserie était blanche, et le mur en face était décoré d'un tableau de maître que nous avions obtenu aux enchères. (Nous ne l'avions pas gagné cette enchère, mais il avait suffi que je joue de mes charmes avec l'organisateur pour l'obtenir). Je m'assis sur le lit. Le vœu avait été effectivement exaucé. Je me retrouvais à mon ancienne vie. Une main se posa sur le bas de mon dos. Je me retournai, j'allais retrouver mon fiancé. Mais quand je me retournai, ce fut un homme à la peau brûlée que je vis. La peau était en lambeaux et tombait par petits bouts. Le lit était rempli de sang et de morceaux de chair.

 

- Tu es la source de tous mes problèmes.

 

Mon fiancé avait parlé d'une voix rauque et alors que ses yeux commençaient à se liquéfier, je sentis ses doigts s'enfonçaient dans mon dos. J'étais piégée, et je ne pouvais plus du tout bouger. Mais d'un coup, tout reprit son apparence originelle. La pièce n'était plus couverte de sang, mais avait retrouvé son blanc éclatant et pur. Mon fiancé n'était plus l'homme ravagé par les flammes dont la peau tombait en lambeaux. C'était redevenu le charmant jeune homme que je connaissais.

Déstabilisée par ce que je venais de voir, je ne réagis pas lorsqu'il me parla. Je n'entendis même pas ce qu'il venait de me dire, je dus le faire répéter.

 

- Quoi ?

- Tu es la femme de ma vie, me dit-il en me caressant la joue.

 

Il me sourit avec tout l'amour qu'il avait en lui et se leva. Après tout ce que j'avais fait pour lui et pour nous, c'était normal qu'il me traite comme ça. Il n'aurait jamais obtenu son job si je n'avais pas couché avec son patron. (Sans parler de ses promotions, sans moi, il n'aurait rien eu.) Il commença à s'habiller et se retourna pour me parler.

 

- C'est un grand jour aujourd'hui pour toi. C'est là que ta vie va prendre un tournant décisif.

 

Quand mon ex-fiancé, qui ne l'était plus, avait repris la parole, il n'avait pas parlé avec sa voix habituelle. C'était la voix du génie.

 

- Qu'est-ce que tu as dit ?

-Ta promotion. Ton premier jour en tant que directrice générale de la banque ! Félicitations, ma chérie.

 

Là, sa voix avait changé. C'était à nouveau la voix de mon fiancé. Il y avait quelque chose qui clochait, j'en étais sûre. À aucun moment il n'avait été question que j'obtienne une promotion. Mon homme alla prendre son haut dans l'armoire, me tournant le dos par la même occasion.

 

- Tu as hâte ? me demanda-t-il.

- Oui, répondis-je d'une voix éteinte.

- Quel dommage que tu ne puisses pas vivre cette vie.

 

C'était à nouveau la voix du génie. Mon « fiancé » se retourna, mais ce n'était pas lui. Je reconnus le génie sauf qu'il n'avait plus la peau bleutée ni le bas de son corps qui se terminait en fumée rattachée à la lampe. Sous l'effet de surprise, je m'écartai de lui, laissant une distance raisonnable entre le génie et moi. Il n'y avait que le lit qui nous séparait. J'étais prête à fuir, même par la sortie de secours en passant par la fenêtre s'il le fallait.

 

- Je te remercie de m'avoir libéré.

- Je n'ai rien fait de tel !

- Bien sûr que si. Tu avais le droit à trois vœux. Pas un de plus, pas un de moins. Lors de ton dernier vœu, tu as souhaité pas moins de quatre choses différentes à la fois. Tu as brisé la règle, me libérant ainsi.

- Ça ne compte pas, c'était dans la même phrase !

- Trois vœux, pas un de plus pas un de moins, c'est la règle.

- Tu ne m'as jamais donné les règles !

- Tu ne les as pas demandées. Et je te l'ai répété à mainte reprise que tu n'avais le droit qu'à trois souhaits. Merci de m'avoir libéré et de prendre ma place.

- Quoi ? Non ! Je refuse !

- Tu n'as pas le choix.

 

À peine avait-il terminé sa phrase, que je vis ma peau prendre une couleur bleutée. À mes poignets furent ajoutés de gros bracelets en or qui me comprimaient tellement que cela me faisait mal. J'avais l'impression que mes poignets allaient exploser ! Mais ce n'était pas la pire douleur. La pire était celle que je ressentais à mon cou. Un collier était apparu et m'étranglait. Instinctivement, je tentais d'enlever le bijou. Mais cela m'étouffait tellement que je n'arrivais même pas à passer un ongle entre le collier et ma peau. Je sentais mes jambes défaillir et quand je les regardais, je les vis se transformer en fumée tout aussi bleutée que la couleur de ma nouvelle peau. Je fus aspirée dans la lampe. La dernière chose que je vis de ce monde fut le sourire satisfait de celui qui m'avait piégé, le génie.

 

 

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