Fastes du monde

rechab

A chaque instant          le sol se dérobe sous mes pieds .
J'avance dans le vide,      et je me surprends à marcher
sur quelque chose, qui ne semblait pas possible,
un instant plus tôt.
C'est que l'horizon cerne mon monde.
Et il est plutôt limité :
je ne connais des choses que par oui-dire,
ou         à travers ce qu'en ont rapporté les journaux,
             ce qui est couché dans les livres.
On peut leur faire confiance,
mais cela ne remplace pas l'expérience de la marche solitaire ,
et la sensation de l'air,        du sable ou de la roche, ,
ancrée dans le paysage:       attache du minéral au vivant,
elle même ancrée dans mes yeux , et que je peux,

faute de mieux,        décrire avec quelques mots maladroits ,
comme d'autres l'ont fait, si l'on accompagne Cendrars dans le transsybérien,
Rimbaud en Abyssinie, jusqu'à s'y perdre,           littéralement,
ou bien  Jules Verne, qui aurait tout inventé, sans presque sortir de chez lui....

Ceci dit les éléments auxquels on se confronte "pour de vrai" , sont toujours plus forts :
ils brûlent,                        tel le soleil d'Afrique,
ils écrasent,        comme les murs des montagnes,
ils s'étalent à l'infini,     comme les océans brumeux,
ils nous prolongent notre existence        dans l'inconnu,
pieds nus dans la mangrove,            entouré de reptiles,
sous les crevasses bleues des glaciers.

C'est ainsi que l'on entre dans les fastes d'un monde,
On pourrait se contenter de le contempler
sur un catalogue d'agence de tourisme,ou suivre un reportage télévisé .
Mais les fastes du monde, ce ne sont pas seulement les kilomètres avalés,
et qu'on peut « reprendre » en quelque sorte,
( puisque possédant le billet retour...)

..........mais se perdre quelque part,
et se perdre en soi,           perdre ses certitudes,
sa langue,                ses habitudes alimentaires,
pour imaginer vivre ailleurs,
oubliant la terre natale et ce qui s'y rattache,
abandonner une vie qui peut encore servir,
comme si l'on changeait d'habits ...
...           une mue volontaire .

On ne saurait même plus ce qu'est la beauté,       car,
plutôt que d'être extérieure, elle serait à l'intérieur de soi ,
impossible d'être détachée du vécu .

C'est en quelque sorte le vrai poème,
où tout peut naître                    à l'intérieur de chaque chose ,
et , s'il faut le traduire en mots ,
ce seraient avec des expressions qu'on n'aurait pas imaginé un instant plus tôt :
comme si on construisait son vocabulaire au fur et à mesure
à l'image d'un fil,          comme l'araignée,
pour pouvoir capturer le monde, et nous y accrocher .

Mais nous n'y croyons pas encore... n'étant pas prêts à y brûler nos ailes .

-
RC - mars 2018

  • Je me demande si cette conscience humaine, fabuleuse, celle qui libère ou peut libérer, ne se retrouve pas chez nos frères animaux. Nous avons désenchanté le monde ; le panthéisme primaire n'était "primaire" que dans le temps... Il est un lieu hallucinant : St Quentin Fallavier (38) ; autour du "Centre de détention" (miradors etc;..) depuis qq années un incroyable ballet de pelleteuses pour construire tous les 6 mois un nouveau hangar (500 m de coté minimum) ; on appelle cela des "aires de stockage" ! Quelle science lugubre que la logistique ! Les prisonniers sont aux premières loges...

    · Il y a environ 6 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • C'est à dire qu'en étant enracinés quelque part, dans un lieu, et liés par plein de contraintes au niveau du métier, des relations sociales, la famille, le matériel ( un crédit, assurances , et plus simplement, le confort, les habitudes acquises etc... ) on a perdu , je crois, au fond de nous même, l'instinct qui faisait de nous des nomades, . On ne renoue avec cet aspect que de façon anecdotique et ponctuelle, que par le tourisme ... mais on reste quand même spectateur, parce qu'on a le pouvoir de rentrer ... Si on parle de l'émigration, ceux qui entreprennent de quitter leurs racines ne le font pas pour leur plaisir, mais par nécessité ( de même pour les animaux migrateurs )... donc ces mouvements se heurtent à ceux qui n'éprouvant pas cette nécessité, restent ancrés dans leur mode de vie, et s'y trouvent bien, et ont peur des autres vus comme des envahisseurs ...d'où la suspicion, les centres de détention, les contrôles, retour à la frontière...
      l'expérience inverse ( aller séjourner dans les pays d'où sont originaires ces migrants, serait alors formatrice, pour envisager les choses autrement ).

      · Il y a environ 6 ans ·
      Tulip  avr  21  03

      rechab

    • Oui, tout à fait. Mais aller séjourner dans ces pays relèvera souvent du choix, et donc risque d'être vécu / jugé comme tel par les habitants... Situation délicate encore, quoique formatrice de toute façon...Entre les ravages du tourisme et l'attachement viscéral à ses habitudes, l'équilibre est fragile...

      · Il y a environ 6 ans ·
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      Gabriel Meunier

    • dans mon texte, je pensais plutôt aux ethnologues, qui ( certes pour des raisons scientifiques ), se sont fondus avec les peuplades, dont ils ont appris la langue, partagé les rites.
      D'autre part, à quitter une situation acquise, je pensais au film "Into the wild",où il s'agit de quitter ses racines, pour se confronter au monde sauvage et aux autres.
      Bien sûr, c'est un choix, donc un privilège qui n'est pas possible pour tout le monde, on est d'accord, mais si ce n'est pas vécu comme agressif, dans la majorité des cas, je pense que c'est bien admis par les "autochtones"

      · Il y a environ 6 ans ·
      Tulip  avr  21  03

      rechab

    • oui, tout à fait. Je ne connais pas ce film (culture cinématographique de plus en plus réduite)

      · Il y a environ 6 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

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