Fête des morts

Christian Lemoine

Ce n'est plus qui mais quoi. Devant le corps mort, le fil de l'échange est rompu. Cloîtré dans l'unique, l'absence de l'alter manifeste sa rudesse sur le masque mortuaire. La dépouille, désormais livrée au règlement universel des cycles, va en esquif obtus dans la main des sarcophages. Pourtant ce corps déshabité impose la marque de l'absent, la tyrannie de celui qui n'est plus mais envahit l'espace. Confondant les sens. Et les yeux se ferment, en miroir des yeux obstinément clos, ces paupières qui n'auraient plus de regard à choyer dans la pudeur ; et les yeux du vivant s'y amarrent, dans la quête absurde d'un souffle. Puis les odeurs feutrées d'une chambre de repos, quelques fleurs peut-être qui déjà se décomposent et, malgré les parfums dispensés par des thanatopracteurs dévoués, ce corps lui-même répandant dans la chambre doucereux effluves de la désorganisation des cellules au travail. Comme un parfum à peine distingué qui se colle en malaise contre les papilles offusquées d'être sollicitées : l'amertume qui emplit la bouche, le goût des échecs et des erreurs, des errances et des renoncements ; le goût des joies passées, des avenirs fracassés. Cet amer plongé dans le désarroi. Et la froideur du front sous la main, alors qu'on constate que ne signifie plus rien la pensée d'un peau à peau, l'horreur finalement de la carcasse couchée, aussi grossière qu'un poulet éviscéré. Mais enfin, ou d'abord, le silence hurlant, heurté à ses propres falaises.
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