Filiation

Nicolas Pellion

27 juillet 2016 (septième jour)

La mère de ma mère est décédée. Ma grand-mère maternelle n'est plus de ce monde. Incinérée depuis deux jours. Morte depuis cinq jours. Je la connaissais si peu. Rencontrée deux fois. La première, je ne savais pas qu'elle devait venir. Quand je l'ai vue dans l'ascenseur avec ma tante, sa sœur et marraine de ma mère, impossible de douter de qui elle était. Maman était son portrait craché. Je devinais ce que ma mère serait plus tard, ce que seraient ses traits. J'avais dix ans, peut-être moins. Jusqu'au bout Maman restera l'enfant qui demandait juste d'être aimée, fille non désirée, baladée de la nourrice à la pension religieuse. Ses parents nous ont privés d'une famille, nous ont amputés de nos cousins qui, comme nous, pendant longtemps, ne comprenaient rien, et qui sans doute ne comprennent pas tout, que je ne connaîtrais jamais. J'ai découvert les prénoms de leurs conjoints et de leurs enfants sur le faire-part de décès déposé sur un site en ligne. L'aîné, nous l'avons connu dans notre petite enfance, après le divorce de ses parents, quand il était avec son père. C'était mon grand-cousin. Je le trouvais intrépide et courageux. Il n'avait pas froid aux yeux, inventait des blagues à l'orée des bêtises, collectionna plus tard les paquets de cigarettes. Je lui avais emboîté le pas, collectionné les paquets vides alors que je ne fumais pas, modèle de quatre ou cinq ans de plus, presque l'âge de mon frère aîné, le premier de ma fratrie, qui a si peu vécu. Ensuite, le temps passant, le second divorce de son père aidant, il a disparu de nos vies. Je n'ai jamais vu ma tante, la sœur de ma mère, l'enfant aimée, voulue, désirée, cajolée. Je me souviens juste du son de sa voix quand adolescent j'ai décroché le téléphone et que c'était elle, qui voulait parler à Maman qui entrait en dépression, multipliait les folies et j'avais raccroché en lui disant de la laisser en paix. Mots durs, couperet qui ne fut suivi d'aucun appel, ni de mes grands-parents, ni de cette tante que je n'ai jamais physiquement connue. Maman était dans la cuisine, bête traquée, me transmettant le pouvoir, j'étais l'homme de la maison en l'absence de mon père. Mon frère était trop jeune. Ma sœur la soutenait. Ils ne comprenaient pas bien. J'avais dix-sept ans. La rupture était consommée, définitive, et j'en étais l'acteur. Impossible de porter le deuil. Maman est triste et nous avec pour tous ces actes manqués, cette vie simple qui aurait oscillé d'une famille à l'autre. Aujourd'hui, elle est la survivante, celle qui reste par le pur hasard, peut-être parce que la plus jeune, malgré les coups du destin qui, sur elle, s'est acharné, entraînant mon père, puis nous, dans le tourbillon. Question de la filiation. La grand-mère qui restait, l'épouse du grand-père jamais rencontré. Tout à commencer à ma naissance quand ils ne sont pas venus me voir, qu'ils ont refusé d'ouvrir leur porte quelques semaines plus tard. Les tensions se sont cristallisées lorsque mes yeux se sont ouverts. Les affres passés ont commencé à se dévoiler, le rideau est tombé. Il faudra encore quinze ans à ma mère pour tout révéler, mettre à jour, tentée d'être écoutée, entendue, en vain. Tout cela au coeur de la désillusion, des réconciliations ratées, des déboires familiaux, du chancèlement de la santé et de la dépression suicidaire. La survie de chaque jour. L'effort malgré le berceau qu'avec mon père ils avaient créé, protecteur, étouffant parfois, un rempart d'amour pour nous protéger des autres et du monde, soutiens indéfectibles au-delà de nos propres errances, de nos défauts, de nos colères, de nos silences.

Signaler ce texte