Flash-Black -Chapitre 21

Juliet

-Cela faisait si longtemps, Monsieur, que j'ai cru que vous m'aviez oublié.

C'était la première fois qu'Uruha appelait Sugizo « Monsieur ». Toujours, il avait eu l'habitude de s'entendre appeler « professeur », ou « Monsieur Sugihara », parfois même dans ses élans de familiarité, le garçon n'avait pas hésité à l'affubler de son prénom. Il l'avait injurié, aussi. Durant cette période douloureuse où Sugizo avait été accusé de tentative d'abus sur l'un de ses élèves, en réalité parce que le garçon lui avait volé un baiser pour lequel il l'avait repoussé, des appellations telles que « ordure » n'étaient pas rares venant de la bouche d'Uruha.

Mais « Monsieur », ça voulait tout dire et ça ne voulait rien dire. Ça ne voulait rien dire, parce que l'on pouvait appeler « Monsieur » un homme que l'on connaît bien mais que l'on respecte car plus âgé que soi ou bien d'un grade plus élevé dans la hiérarchie, tout comme l'on pouvait appeler « Monsieur » un pur étranger que l'on rencontre pour la première fois. Monsieur, ça marquait la fin de tout, en somme : il n'était plus son professeur, il n'était plus Sugizo, l'homme qu'il avait dit aimer, il n'était plus non plus ce père de substitution qui avait pris soin de lui ces jours où le pauvre garçon était enfermé à l'hôpital après le tragique accident. En tant que « Monsieur », Sugizo n'était plus rien et quelle émotion, que le soulagement ou le regret, l'emportait en lui, c'était encore trop confus pour le dire. Immobile sur le palier, Sugizo se tenait droit, crispé.
-Tes parents... ne sont pas là ?
-Non, Monsieur.
Sugizo a paru se détendre légèrement. Il a réprimé un soupir de soulagement, de peur que cela ne paraisse comme une marque d'impolitesse face au garçon, mais ce dernier dévisageait l'homme, et un sourire goguenard diabolisait à peine son visage de séraphin.
-Cela n'aurait rien changé qu'ils soient là, Monsieur. Je sais que vous avez toujours craint de les rencontrer, mais rassurez-vous : ils savent que c'est moi qui vous ai impunément embrassé ce jour-là.
Ce disant, Uruha d'un signe de tête invita à entrer l'homme qui s'exécuta, hésitant. Faisant un premier pas à l'intérieur du petit appartement en désordre, Sugizo donnait l'impression de violer un sanctuaire sacré malgré lui, comme il semblait craindre à tout moment de recevoir des foudres divines sur son crâne. Comme si une menace pouvait lui sauter dessus à tout instant, Sugizo furetait du regard tout autour de lui, les paupières papillotantes.
-Si j'avais su que vous viendriez, Monsieur, j'aurais fait l'effort de ranger, s'excusa platement Uruha. C'est vrai... Depuis que je suis revenu de l'hôpital, je me laisse bien trop facilement aller.

Avec une mine et un sourire pâles qui en disaient long sur son embarras, le garçon désigna le petit canapé de cuir noir déchiré à maints endroits et recouvert d'un drap blanc, invitant ainsi Sugizo à prendre place. Ce dernier s'exécuta dans une inclination de tête polie, mais il ne cessait partout de balader son regard sur la vaisselle sale entassée dans l'évier, sur les rideaux d'un rouge terni imprégnés d'une odeur de vieux tabac, sur les murs fissurés çà et là, sur le carrelage poisseux, sur la petite table de bois carrée au milieu de ce qui semblait être la salle de séjour en même temps qu'une salle à manger, sur la télé couverte de poussière provenant d'une autre époque, sur l'abat-jour jauni suspendu au plafond et enfin, sur Uruha, dont les joues rosissaient.
-Oui, Monsieur. Ça craint vraiment.
-Il n'y a pas de problème, s'empressa de répondre Sugizo qui prit seulement alors conscience du caractère indiscret de son comportement. Ce n'est pas ce que tu crois...
-Vous n'avez pas peur que j'essaie de vous embrasser à nouveau ?
Il est venu s'asseoir aux côtés de l'homme, en disant ça. Le collant avec provocation, il approchait son visage du sien que Sugizo gardait baissé. Il avait senti, avec la promiscuité du jeune homme, un délicat parfum de savon envahir ses narines. Au moins, pensa l'homme par-devers lui, il y a une chose radieuse dans cet appartement.
Lorsqu'il a senti les lèvres d'Uruha s'appuyer contre sa joue, il a tressailli, le cœur battant.
-Je voulais simplement m'assurer de ton état, Atsuaki.
Instinctivement, il avait essuyé sa joue d'un revers de manche. Ça a un peu blessé Uruha qui a affaissé ses lèvres tendres en une moue chagrine.
-Je vais bien, marmonna-t-il comme il ramenait ses jambes contre sa poitrine.


Sugizo remarqua qu'il portait des pantoufles et qu'il ne le gênait pas d'appuyer ses semelles contre le drap blanc qui recouvrait le canapé. Remarquant le regard interloqué de son ancien professeur, le jeune homme a poussé un râle de désagrément.
-Ce n'est pas un problème, ça. De toute façon, c'est moi qui dors dessus.
-Tu n'as pas de chambre ? balbutia Sugizo.
-Pas vraiment. Je vous y aurais invité, sinon. Mais sur ce petit canapé étroit sur lequel on ne peut dormir qu'en position repliée, c'est pas très pratique pour faire l'amour.
Comme il s'y était attendu, ça a jeté un froid sur la tête de Sugizo. Alors, c'était ça, pensait-il. Cette menace qu'il avait senti planer sur lui, ce n'était pas des foudres divines, juste une douche glacée.
Les mains sagement posées sur ses genoux, Sugizo a enfoncé ses ongles dans sa chair.
-Je plaisantais, Monsieur.
-Et tes parents ne sont pas là ? Je veux dire... les autres jours, s'empressa de questionner l'homme, désireux de détourner la conversation.
-Non.
Sugizo avait ressenti un fond de colère dans la voix d'Uruha, mais lorsqu'il voulut déceler la raison dans les traits de son profil, il s'est demandé si cette colère n'était pas dirigée contre lui plutôt que contre ses parents. Comme si Uruha lui reprochait tacitement de se mêler de sa vie privée.
-Vous voulez du thé ? J'ai du sirop de menthe, aussi.
-Va pour un sirop de menthe.

C'est comme s'il venait de prononcer une formule magique. Ces simples mots ont semblé détendre l'atmosphère en même temps que les muscles noués du garçon qui s'est redressé pour se diriger d'un pas allègre vers la cuisine. Lorsqu'Uruha ouvrit la porte, Sugizo dut lutter contre sa curiosité pour ne pas regarder à l'intérieur de la pièce qu'il devinait minuscule. Lorsque le garçon revint, un verre rempli à la main, il gambadait presque en dansant, manquant à chaque pas renverser le liquide.
-Vous voyez, chantonna Uruha en tendant le verre à son professeur, vert, comme ça, on dirait de l'absinthe. Vous n'êtes pas une personne très recommandable.


Ne sachant s'il devait rire ou non, Sugizo a opté pour la première solution avant d'avaler sa première gorgée sous les yeux scintillants d'Uruha.
-J'y ai mis un philtre d'amour.
Cette fois, il n'est pas parvenu à rire. Secouant la tête de gauche à droite dans un sourire amusé, Atsuaki reprit place à ses côtés. Avant de replier ses jambes contre sa poitrine, il prit soin d'ôter ses pantoufles.
-Si seulement...

Uruha a tourné la tête, interrogateur. Le profil baissé de Sugizo semblait dissimuler derrière ses mèches couleur chocolat un secret inavouable. Il n'a pas abandonné, Uruha, continuant à fixer l'homme dans l'espoir que ce dernier ne se remette à parler. Et sa patience devait être récompensée, même si la voix de Sugizo était si faible qu'il fallait se pencher tout contre lui pour l'entendre.
-Si seulement tu n'y voyais pas là une opportunité, Uruha, alors je te proposerais de venir chez moi.
Uruha n'a rien dit. Il s'est renfoncé au fond du canapé et a entouré ses genoux repliés de ses bras, fixant le mur en face de lui. Au bout d'un moment que le malaise avait rendu aussi long que l'éternité, Uruha a secoué la tête à regrets.
-Je ne sais si je suis amoureux de vous, Sugizo. Malgré cela, je vous aime. D'une manière ou d'une autre, je vous aime et je ne peux en douter. Je ne veux plus être un poids pour vous.
-Atsuaki, il me semble clair à présent que tout ce que tu voulais en attirant mon attention...
-Non, Sugizo. Si je venais à vous aimer plus encore, ce serait terrible.


Pour la deuxième fois depuis ce jour, il l'avait appelé par son prénom. Plus que « Monsieur », plus que « professeur », c'était son prénom et lui seul qui le rendait humain. Peut-être que cette distance psychologique qu'Uruha avait consciemment ou non installée entre eux au début n'avait pas été sincèrement voulue. Sugihara Yasuhiro le savait : Takeshima Atsuaki n'était pas de ces individus qui sont capables de faire semblant trop longtemps.
-J'ai demandé à Sakurai Atsushi de me laisser venir vivre chez lui.


Sakurai Atsushi. Ça a totalement dévasté l'esprit de Sugizo qui s'est trouvé pris alors dans une onde de choc. Sakurai Atsushi, c'était cet homme. Celui qu'il avait rencontré par hasard après avoir tant de fois entendu parler de lui. Ce même homme à qui il avait dit que son neveu était fou et qui n'avait pas réagi.
Sakurai Atsushi, qui avait tenu des propos troublants avec le plus grand naturel. Sakurai Atsushi, le directeur de l'hôpital, mais surtout le seul parent encore en vie de Saegami Tsuzuku.
-Il n'a pas encore accepté, bien sûr, mais même si j'ignore encore le moyen que j'emploierai, je sais, dites, je sais que Monsieur Sakurai finira par m'accepter.
-Alors, bredouille Sugizo qui tente tant bien que mal de remettre les mots en ordre dans son esprit. Toi, depuis le début, ce que tu voulais vraiment... C'était un père de substitution, n'est-ce pas.
Yasuhiro s'était attendu au silence d'Uruha. Mais si ce silence pouvait ressembler de prime abord à de l'indifférence ou de l'obstination, en réalité il n'était que de la pudeur de la part de ce garçon capable de se montrer si extraverti, lorsqu'il n'était pas carrément provocateur.
-Atsuaki, écoute-moi, tu ne fais peut-être pas le bon choix en...
-Je veux aussi rencontrer Saegami Tsuzuku. Avant.
« Avant » ? Mais, avant quoi ? Et d'ailleurs, pourquoi ? Connaître Saegami Tsuzuku n'était peut-être pas la meilleure chose qui pouvait arriver à un garçon déjà fragilisé par une existence bancale.
Dans l'élan de sa détresse, Sugizo appuie sa main sur l'épaule affaissée du garçon et par ce contact, il semble vouloir lui transmettre une énergie positive. Même si positif, Sugizo ne l'était pas en cet instant.
-Atsuaki, tu sais, cet Atsushi... Je l'ai rencontré, une fois. Il y a quelques jours en vérité, tandis que je venais te voir à l'hôpital, ignorant que tu en étais déjà parti, j'ai rencontré cet homme. As-tu seulement une idée de ce qu'il a dit ?

Uruha a secoué la tête en signe d'ignorance, silencieux. Même s'il n'en donnait pas l'impression, avec son air pensif, il brûlait de connaître la réponse.
-Monsieur Sakurai ne nie pas que tu aies bel et bien vu le cadavre de Saegami Tsuzuku, Uruha. Malgré que cet enfant soit bel et bien vivant, il ne semble pas croire que tu aies pu mentir quant à ce que tu as vu. Au contraire, il affirme que tu as réellement vu ce cadavre, Uruha, mais alors, pardonne-moi si je semble te manquer de respect, mais en tant que médecin, je pense que Monsieur Sakurai a eu tort de...
-Mais je ne suis pas fou, Monsieur. Parce que ce jour où j'ai vu le cadavre de Saegami Tsuzuku, je n'étais pas en train d'halluciner.
C'est comme si une porte psychique s'était hermétiquement close dans les poumons de Sugihara Yasuhiro. Soudain, respirer lui devenait impossible, et son teint perdait déjà de sa couleur lorsqu'Atsuaki, les yeux dans le vague, celui de ses souvenirs, reprit d'une voix monocorde :
-Vous comprenez ce que je veux dire, n'est-ce pas ? Ce jour-là, sur ce lit à côté du mien, il y avait bel et bien ce cadavre. Ou du moins, ce que l'on a maquillé en cadavre.
Les idées ont défilé en cascade dans le crâne bouillonnant de Sugizo. Tsuzuku mort, c'est après tout ce qu'avait déclaré Kohara Kazamasa avec cette voix désespérée et teintée de rage. Tsuzuku mort, c'était à la fois une illusion et une métaphore : un coup savamment monté pour faire croire à une mort qui, dans le fond, en était peut-être véritablement une. Parce que Tsuzuku était mort, tous les témoins le disaient. Tous les élèves qui avaient connu Saegami Tsuzuku en ce temps d'avant l'accident s'avouaient incapables de le reconnaître tant sa personnalité n'était plus la même. Alors, oui. Tsuzuku n'avait pas que maquillé son corps pour en faire celui d'un cadavre ; il avait aussi maquillé son âme pour devenir quelqu'un d'autre.
Et d'une certaine manière, c'est en cela que l'on pouvait dire que l'ancien Tsuzuku était mort.
Mais pourquoi, alors ? Face à qui avait-il dû faire croire à sa mort, et pourquoi ? Face à qui Tsuzuku avait-il dû échanger sa personnalité, et pourquoi ? Quel rôle jouait Atsushi Sakurai dans cette macabre affaire ? Tant de questions qui dégoulinaient en même temps que les sueurs froides sur les tempes de Sugihara Yasuhiro. Et à côté de l'homme, Uruha s'est redressé dans un sursaut brusque.
-C'est évident, Monsieur Sugihara. C'est parce que Saegami Tsuzuku s'est fait passer pour mort que je veux découvrir la raison de toute cette mascarade dans laquelle Atsushi Sakurai est du moins le premier complice, sinon le principal coupable.











-Je sais que Shou m'a trahi.
Atsushi a relevé la tête. Alors, c'était cela. Toute cette solennité, toute cette cérémonie, depuis le début, ça ne cachait qu'un aveu qui allait faire tout éclater. Atsushi s'est demandé, ses mains tremblantes, croisées sur ses genoux écartés, d'où venait la gravité de Tsuzuku. Est-ce parce qu'il pensait apprendre là à son oncle un fait dont ce dernier ne se doutait guère et qui le terrasserait indubitablement, ou bien Tsuzuku avait-il conscience que ce secret n'en était pas un pour Atsushi et que ce dernier, envers et contre tout, oeuvrait pour le lui cacher ?
Il en était même allé jusqu'à menacer ce garçon dénommé Amano Shinji, oui ; et c'est à Tora précisément qu'Atsushi pensa aussitôt lorsqu'il lui fallut trouver le coupable. Amano Shinji. Parce qu'il était venu rendre visite à l'homme non dans le seul but de lui raconter la véritable version des faits ; mais il avait eu l'espoir aussi qu'en tant que parent, Sakurai Atsushi ne prenne la responsabilité d'apprendre la vérité à son unique neveu. Parce que Tora désapprouvait au plus haut point l'entêtement d'Atsushi, celui du silence, ce dernier en était venu jusqu'à menacer le garçon de mort si jamais il venait à tout avouer à Tsuzuku. Bien sûr, il ne l'avait pas pensé sincèrement. Néanmoins, il l'avait dit, et il avait été certain jusque-là que la violence dans ses propos n'ait à elle seule porté ses fruits. Et voilà qu'à présent, Tsuzuku se tenait assis le dos raide devant lui et, de par sa gravité qui trahissait sa conscience de provoquer un chaos, la voix blanche il lui déclarait déjà tout savoir.
-Amano Shinji te l'a dit, n'est-ce pas ?
Au vu de la réaction de Tsuzuku, il ne s'attendait pas à une telle question. Les sourcils froncés en un arc d'intrigue, il s'est penché et, sur le ton de la confidence, a murmuré :
-Que vient donc faire Tora dans cette histoire ?
Atsushi baisse les yeux. Alors, ce n'était pas lui ? Peut-être que Tsuzuku faisait semblant. Il mentait, c'était certain puisque Tsuzuku était né pour mentir et que seul Amano Shinji détenait la vérité. Cela, évidemment, c'était dans l'esprit d'un homme qui demeurait malgré lui un élément extérieur aux événements.
-Je comprends mieux pourquoi Shinji s'est rendu chez toi ce jour-là.
Atsushi a tiqué. Avait-ce été conscient ou non ? Tsuzuku avait prononcé les mots « chez toi », là où Atsushi eût jugé plus juste de dire « chez nous ».
-Pourquoi ne me l'as-tu pas dit à ce moment-là ?
-Et ce salaud, pourquoi est-ce qu'il te l'a dit ?
Une ombre passe à travers le visage de Tsuzuku. C'était incroyable, les dégâts que pouvait faire une simple ombre grise sur un visage trop blanc. Comme si la moindre nuance de couleur pouvait vous dénaturer un être. Sur le front de Tsuzuku se creusent des ridules.
-Un autre garçon me l'a dit. Un dénommé Joyama Suguru.
-Tu m'as déjà parlé de lui. Il te hait, non ?
-Tu penses que c'est la haine qui l'a mené à tout me dire ?
-Quelles que soient ses motivations, il est certain que ce garçon a menti.
-Oh non, mon oncle. Il est certain que si c'était un mensonge, tu n'aurais pas perdu ton sang-froid.
Atsushi sonde son regard. Il se demande si Tsuzuku est sereinement en train de se moquer de lui ou si, pour une fois dans la plus pure innocence, il se contentait simplement de dire ce qui était sans le désir de nuire, ni sans doute de faire le bien d'ailleurs. La vérité, voilà seul ce qui semblait guider Tsuzuku.
-Amano Shinji te l'a dit. Quant à Joyama Suguru, il a obtenu ces aveux de Kazamasa lui-même. La coïncidence serait trop grande pour un simple mensonge, n'est-ce pas ?
-Pour un mensonge individuel, mais pas un coup monté, rétorqua sèchement Atsushi.
-Tu es un homme qui mérite de mourir.


Sur le coup, Atsushi ne fut pas certain d'avoir compris. Ni ces paroles elles-mêmes, ni le sens qu'elles pouvaient avoir si, vraiment, ses oreilles ne l'avaient pas trompé. En face de lui, Tsuzuku est devenu une poupée de porcelaine qu'une simple chute de son fauteuil pourrait briser. Et avec les débris de porcelaine, a songé Atsushi par-devers lui, même si l'on ne veut les ramasser que dans l'espoir de les rassembler, il est si facile de se trancher.
Atushi baisse les yeux. Pour la première fois de son existence, il se met à craindre le bleu clair des yeux de Tsuzuku. En tous points, ses yeux sont si différents des siens qui sont trop noirs pour voir la vie en rose.
Est-ce qu'avec des yeux bleus comme les siens, on est capable de voir le ciel ?
-Est-ce que par hasard, tu pensais qu'il serait nuisible à mon moral de tout savoir ?
-Qu'est-ce que...
Atsushi a la voix qui tremble. Il réalise, seulement. Tsuzuku venait de lui dire de mourir. Il le lui avait dit de manière détournée, peut-être, mais ce détournement avait provoqué un déraillement mortel.
-Qu'est-ce que tu comptes faire ?
Il trouve enfin le courage de faire à nouveau face à son neveu. Tsuzuku sait qu'il est en train de remporter une bataille silencieuse. Dans ses yeux, Atsushi retient avec peine des fœtus de larmes pour les empêcher de naître. Un sentiment de victoire fait s'étirer ses lèvres en un sourire malgré lui.
-Tu parles de Kazamasa, je suppose ? ironise-t-il. Rassure-toi, mon oncle, je ne ferai rien. Je n'ai aucune raison de lui faire quoi que ce soit, tu sais ? Depuis le début, je considère Kohara Kazamasa comme mon ennemi. D'une certaine manière, même si je lui en veux, il semble normal que ce sentiment soit réciproque, tu ne crois pas ? S'il est mon ennemi, c'est en ennemi qu'envers moi Shou doit agir. Alors, juste pour cette fois, je me contenterai de le haïr sans rien faire.
-Si tu veux devenir ce que tu n'es pas, Tsuzuku, alors commence par aimer ceux qui le méritent.
Tsuzuku écarquille les yeux. Atsushi clôt les paupières sur les siens. Dans une profonde inspiration, il se renfonce dans son fauteuil et sur sa poitrine croise ses bras. L'oncle et le neveu se dévisagent, le premier défiant, le second fébrile.
-C'est donc cela seul qui t'inquiétait ?
Le silence a toujours été la meilleure des éloquences. Surtout lorsque les mots ne sont pas honnêtes, et il ne faisait plus de doute qu'Atsushi eût manqué de sincérité s'il avait dû répondre par lui-même.
-Alors, le bien-être d'un inconnu t'est plus important que le mien.
Tsuzuku se redresse. Ses jambes flageolantes, ses mains tremblantes, et ses pupilles papillonnant nerveusement de parts et d'autres de la pièce ; sur le coup, Atsushi a cru que le garçon allait s'effondrer. Mais c'est lorsqu'il allait le retenir que Tsuzuku s'est ressaisi brutalement. Chassant son oncle d'un coup de coude, il a reculé, et ses yeux étaient recouverts d'un voile.
-Je vais m'absenter durant quelques jours, tu sais. Pendant ce temps-là, ne me cherche pas.
Tsuzuku semble attendre une réaction tandis que sur sa tempe blafarde dégoutte une sueur froide, mais Atsushi est coi et le fil de ses pensées se distord dans une pernicieuse confusion.
-Mais tu ne l'aurais pas fait, de toute façon.






La porte a claqué dans un tremblement de terre. Dans l'aveuglement, dans la précipitation, dans le non-sens, dans l'autre monde d'une folie que seule la détresse était capable de procurer, Tsuzuku dans sa course effrénée s'est heurté à quelqu'un. Il a juste sentir le monde se dérober sous ses pieds et puis, la douleur vive qui traversait son crâne.
-Mon Dieu...
Il n'a pas fait attention à cette voix éprouvée. Parce qu'il était devenu un automate commandé par le dysfonctionnement des circuits à l'intérieur de son cerveau, Tsuzuku s'est redressé et, étranger à la douleur, a continué à courir, encore et encore. Si les larmes l'empêchaient de voir où il allait, Tsuzuku n'avait que ses souvenirs pour le guider.
Et c'était largement suffisant.




-Je viens d'entrevoir votre neveu.
Le manège se répétait toujours. Il tournait trop rond, étourdissant, le moindre de ses gonds et de ses mécanismes crissant dans une longue plainte d'agonie insoutenable. Le manège que mène quelqu'un capable d'obtenir tout ce qu'il veut, qu'importe le temps que cela devait exiger. Alors qu'il s'était précipité sur la porte, s'attendant au miracle de son neveu, Atsushi s'est trouvé face à Atsuaki.
-Entrevoir seulement, parce qu'à vrai dire, je ne l'ai vu qu'étalé à plat ventre sur le sol avant qu'il ne se redresse et ne disparaisse totalement.
Par-devers lui, Atsushi a pensé qu'il existait peut-être des miracles. C'était la deuxième fois que le jeune homme croisait Tsuzuku et à chacune de ces deux reprises, il n'avait pas pu saisir l'occasion de lui adresser la parole.
Atsushi regarde Uruha et se demande d'où vient l'inquiétude sur le visage du jeune homme.
-Pour tout vous dire, Monsieur Sakurai, tout portait à croire que votre neveu était en train de fuguer. Comme s'il vous fuyait, Monsieur Sakurai, et dites, c'est pour ça que vous pleurez ?
Instinctivement, l'homme a posé sa main sur sa joue. Il a écarquillé les yeux lorsque, écartant sa paume, il a vu toute l'humidité qui la recouvrait.
-Vous devriez arrêter, Monsieur Sakurai. À force de commettre des folies, l'on finit réellement fou, vous savez.
Atsushi ne réagit pas. Le choc de ses propres larmes l'a rendu étranger à la parole.
-Et au final, fou de chagrin, c'est ce qu'il peut exister de pire.
Avec tout son courage, mais toute sa dévotion aussi, Takeshima Atsuaki a gravi sans y être autorisé la marche du perron qui le séparait de l'homme. Et évidemment, il s'était attendu à être sauvagement évincé comme il l'eût mérité. Alors, forcément, lorsqu'Atsushi l'a touché pour l'attirer au creux de ses bras, Uruha a été trop sonné pour réagir.









-Ne cherche pas à noyer ton chagrin dans l'alcool. Le chagrin sait trop bien nager. Toi, Tsuzuku, tu ne le sais pas.
Tsuzuku avait ces mots gravés à l'intérieur même de ses conduits auditifs. Gravés à la pointe infime d'une lame minuscule, ils continuaient à envahir sa conscience qu'il sentait peu à peu s'acheminer vers la folie. Attablé dans la cuisine, il ressemblait presque à un vieil homme malmené par la vie qui décide de noyer jusqu'à la moindre parcelle de conscience qui lui restait afin de ne plus souffrir.
Et à ce tableau que semblait avoir peint une triste main divine, Hiroki assistait depuis plus d'une heure, impuissant. Il avait essayé, pourtant. Il avait essayé les mots, il avait essayé la gentillesse, la douceur, puis la colère et le chantage, était allé jusqu'aux menaces, puis à nouveau il avait tenté l'amadouement, des promesses, des mots consolateurs, des cajoleries, des flatteries qui ne manquaient pas vraiment de sincérité pourtant, des caresses, des baisers, puis il l'avait secoué par les épaules, il lui avait hurlé dessus, il l'avait injurié même, mais rien n'y avait fait.
Depuis que Tsuzuku avait posé les pieds à l'intérieur de l'appartement, l'alcool était devenu son meilleur ami et son amant. Mais plutôt que de le consoler, plutôt que de le faire sourire, plutôt que de le soutenir, cet ami-amant contribuait à sa chute chaque minute un peu plus. Il était trompé, mené par le bout du nez par ce liquide qui prenait visage humain sous ses yeux embués et Tsuzuku l'aimait, lui devenu aveugle par les larmes, lui pleurant pourtant peut-être par cécité avant tout.
Un coude sur la table, une main agrippée à son verre comme au seul lien qui le rattacherait à ce monde duquel il semble paradoxalement se détacher de seconde en seconde, Tsuzuku pleure.
Depuis le début, sans que rien, pas même sa fierté et le regard arrêté sur lui de Hiroki ne puisse le retenir, Tsuzuku pleure. Il ne fait pas de bruit en pleurant. Juste, c'est comme si l'alcool qui l'abreuvait servait de provision lacrymale. Comme si toute l'eau de son corps ne pouvait pas suffire seule à évacuer sa tristesse, il lui fallait trouver une substitution, des larmes artificiellement fabriquées parce qu'il ne pouvait plus trouver un autre moyen d'expression. Parce qu'il ne l'avait jamais pu, au fond, et que tout ce qu'il avait tu derrière des lèvres closes, coincé entre ses dents grinçantes, il lui fallait le dire dans un langage qui voulait tout dire mais rien dire pourtant.
Car si ce langage témoignait d'un état émotionnel proche du désespoir, malgré tout il était incapable de communiquer la nature de ces émotions, et Hiroki avait beau observer, il savait que rien, sinon le temps, ne mènerait Tsuzuku à un aveu face auquel l'homme, peut-être, pourrait réagir.
Il ne servait plus à rien de le consoler, de le menacer ou de l'amadouer, non. Tout ce que Hiroki pouvait faire, c'était attendre que Tsuzuku ne tarisse ses larmes jusqu'à l'épuisement.
Mais, quand même, il en était à son huitième verre d'alcool.
-Je te l'ai dit ; tu ne peux noyer des larmes dans l'alcool, Tsuzuku. Les larmes de chagrin, elles ne se noient que dans les larmes de joie.
Bien sûr que c'est absurde, ce qu'il dit, et que Tsuzuku ne l'écoutera pas plus qu'il ne l'a écouté depuis qu'il est arrivé ici, suffocant d'avoir trop couru.
-Tsuzuku, si seulement tu voulais bien me dire ce qui s'est passé, peut-être pourrais-je faire quelque chose pour toi.
Dans le verre de Tsuzuku, c'était vert. Hiroki avait le cœur serré en se disant que depuis le début, le garçon avait eu cette intention. Hiroki ne buvait que très peu d'alcool, jamais d'absinthe.
Parmi toutes les bouteilles que l'adolescent avait apportées avec lui, il y avait celle-là, d'un vert mortel. Le liquide ressemblait à du poison. Lorsqu'il l'avait vu arriver, Hiroki s'était demandé si Tsuzuku était allé acheter ces bouteilles avec déjà des yeux aussi rouges que ceux-là.
Hiroki avait tenté, bien sûr. C'était d'ailleurs la première chose qu'il avait faite, avant que Tsuzuku n'ouvre la première bouteille. De les lui arracher. Mais suite à cet événement, Hiroki gardait sur son poignet la marque d'une morsure profonde. Hiroki avait saigné. Une blessure trop visible pour son insignifiance face à la blessure invisible mais mortelle de Tsuzuku.
-Je sais que tu ne me crois pas, Tsuzuku. Pourtant, je dois te le dire. Je n'ai jamais eu autant envie de t'aider.
-Alors tue-le.
Il avait parlé, pour la première fois. Ce n'était pas sa voix, ça n'y ressemblait pas : elle était la voix de quelqu'un qui appelle à l'aide sous l'eau agitée dans laquelle il se noie mais, quand même, c'était bien Tsuzuku qui l'avait appelé. Un appel à l'aide, oui. En appelant à l'aide, Tsuzuku avait levé sa main mais parce qu'elle semblait trop lourde, avec son front rougi chargé de désespoir, il l'a soutenue de l'autre main : celle qui tenait le verre qu'il a laissé rouler sur la table avant qu'il ne vienne se briser sur le sol.
Mille éclats, comme le cœur de Tsuzuku alors. Mais des éclats tranchants et, tranchant, Tsuzuku, malgré les paroles qu'il venait de proférer, il ne l'était pas. Il ne l'était plus. Contrit, Hiroki s'est approché de cette scène de désolation, a pénétré à l'intérieur même du tragique tableau pour venir se pencher sur Tsuzuku. Posant délicatement ses mains sur son épaules, il a entrouvert les lèvres, mais Tsuzuku a devancé sa question :
-Cet homme qui croit pouvoir me servir de père. Tue-le, Hiroki, tu dois le tuer.

Ses épaules se sont mises à se secouer et dans une plainte de douleur, Tsuzuku a basculé le buste en avant, et son front brûlé par les pleurs a cogné contre la table dans un craquement sinistre.
-Mais je ne peux pas, a murmuré Hiroki.
-Je le sais. Je ne t'aurais pas demandé de le faire, si tu l'avais pu.
Hiroki se demande s'il l'aurait fait si cela avait pu réellement rendre le garçon heureux. Ou bien si la mort de Atsushi Sakurai ne pouvait lui apporter le bonheur, du moins si elle pouvait atténuer sa douleur. Mais le mal qu'avait fait Atsushi Sakurai, Hiroki en tous points l'ignorait, et il n'était pas dans la nature de l'homme d'agir sans comprendre. Chaque seconde un peu plus ravagé par ce corps replié secoué de toutes parts par les sanglots irrépressibles, Hiroki a pris dans ses bras le frêle garçon qu'il redressa doucement.
-Qu'a-t-il fait, Tsuzuku. Dis-moi, pour te mettre dans cet état, comment cet homme a été cruel.
-Ce serait juste tellement plus simple si ce n'était que de la cruauté.
Hiroki hausse les sourcils. Tout près de son visage il y avait celui de Tsuzuku de profil, avec ses mèches noires collées à ses joues et à son front par les larmes, qui n'est plus qu'un grimage de chagrin.
-Si ce n'était que de la cruauté, Hiroki, alors je ne pourrais le reprocher qu'à lui.
-Que veux-tu dire ? s'enquit l'homme, troublé.
-Pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ?!
Il s'était redressé d'un seul coup. D'un coup de coude dans les côtes de l'homme, il s'est libéré de l'étreinte protectrice de Hiroki et brusquement, un vertige le prit qui le fit vaciller avant qu'il ne se retienne à temps sur le bord de la table. Dans une respiration haletante comme il luttait pour ne pas tomber, Tsuzuku rivait des yeux de glace sur Hiroki.
Des yeux que toutes les larmes avaient semblé polir pour faire briller plus encore.
-C'est moi, tu entends ? Ce n'est que moi... qu'Atsushi n'aime pas.
Oui mais, pourquoi ?
Si l'interrogation a traversé son esprit, elle n'a pas franchi le barrage de ses lèvres tremblantes.
Pourquoi. Il y avait plein de réponses possibles à cela, pourtant. Oui, c'était vrai. Tsuzuku n'était qu'un adolescent capricieux, menteur, manipulateur, qui trouvait son bonheur dans la détresse des autres et qui jouissait de les intimider. Tsuzuku était capable de menacer un homme avec une arme pour obtenir de lui ce qu'il voulait. Tsuzuku était capable d'éloigner physiquement comme psychiquement son meilleur ami de son parrain. Tsuzuku était tel un vampire qui vivait par le sang qu'il puisait à même les veines des autres, un être humain que la haine et le désir de domination avaient transformé en démon doté de charmes qui lui étaient aussi ses armes.
Tsuzuku était comme ça, oui. Juste un gosse insupportable qui aurait bien voulu écraser le monde entier avec ses pieds comme il l'eût fait d'une fourmilière, s'il l'avait pu.
Pourtant, même en sachant cela, Hiroki s'est demandé comment est-ce que l'homme qui avait ce garçon pour enfant pouvait ne pas l'aimer. Comme si malgré tout, c'était contre-nature de haïr un démon.
Alors, il n'a pas posé la question, Hiroki. Tandis qu'il regardait l'adolescent en train de se battre contre lui-même pour ne pas s'écrouler, avec son visage noyé de larmes pour lesquelles il avait dû renoncer à sa dignité, Hiroki a juste pensé que peut-être, vraiment, Atsushi Sakurai n'était qu'un homme cruel.
-Mais ce n'est pas ma faute, Hiroki. Ce n'est pas moi qui ai choisi, dis, ce n'est pas ma faute.
Il tendait ses bras vers lui, Tsuzuku. Lâchant le seul soutien qui le maintenait debout, il a sans s'en rendre compte tendu les bras vers Hiroki. Juste la supplication désespérée d'un garçon qui n'a plus rien en ce monde que la miséricorde de l'homme qu'il avait intimidé.
Hiroki l'a fait. Prendre Tsuzuku dans ses bras, depuis le début il avait voulu le faire. Mais il ne l'avait pas fait parce que la marque sur son poignet lui était encore douloureuse et avec la douleur, la méfiance enragée de Tsuzuku semblait n'être pas partie.
-Dis-moi, Tsuzuku, murmurait Hiroki comme il écartait de son visage ses mèches mouillées. Dis-moi ce qui n'est pas ta faute.
-Si Atsushi n'a plus ce qu'il voulait, Hiroki. Ce n'est pas ma faute.

Il suffisait de le regarder de près, après tout. Avec ses striures encore humides, et d'autres déjà qui commençaient à sécher, son visage rougi, son maquillage qui coulait des traces noires comme des larmes d'encre sur ses joues, ça semblait juste évident. Que Tsuzuku était sans doute un Ange.
Alors, avec le sentiment d'un rédempteur face au sacro-saint qu'il n'avait pas aimé à sa juste valeur, Hiroki essuie de ses mains tendres les larmes et même la salive qui coule sur le menton du petit être perdu dans ses bras.
-Moi aussi, j'aurais préféré que ce soit moi qui meure.


Et puis, Tsuzuku a fermé les yeux.
Il ne les a pas rouverts.


Pas avant le soir, du moins. Mais lorsqu'enfin vint ce moment que Hiroki espérait avec angoisse, l'homme s'est laissé tomber à genoux au pied du lit sur lequel reposait le garçon, blafard.
-Tsuzuku, pauvre fou...
-Hiroki.
Péniblement, Tsuzuku a tourné la tête pour se retrouver face au visage éploré de l'homme qui le fixait avec déréliction. Pourtant, un sourire flottait sur les lèvres de Hiroki ; il flottait, peut-être, mais il semblait sur le point de faire naufrage.
-Hiroki, j'ai mal à la tête.
Il a ri. Pour se donner une contenance, pour évacuer le mal-être, mais un peu par attendrissement aussi, Hiroki a ri et a posé une main sur ce front devenu trop blanc.
-Après avoir tant bu, Tsuzuku, après avoir tant pleuré, à quoi t'attendais-tu ?
La main sur son front, le garçon la saisit, sans force, pour la glisser le long de sa joue. Là, il la laisse posée et Tsuzuku ferme les yeux, goûtant à cette chaleur paternelle qui se véhicule à l'intérieur de lui comme un sérum au poison intérieur qui le tue à petit feu.
-Quand... souffle le garçon entre ses lèvres sèches. Quand partons-nous, Hiroki ?
-Dans trois jours, Tsuzuku.
-Et... tu veux bien que je reste chez toi jusque-là ?
-Oui, Tsuzuku.
-Et, Hiroki...
L'homme se penche. Si proche qu'il peut sentir se mêler au sien le souffle saccadé de Tsuzuku. Entrouvrant les paupières, le garçon laisse apparaître deux joyaux scintillants de pureté.
-Tout à l'heure, Hiroki, nous irons en ville, et tu m'achèteras de nouveaux vêtements.
-Tout à l'heure ? rit l'homme qui ne s'indigne plus de l'effronterie du garçon. Que veux-tu dire par « tout à l'heure » ?
-Mais, cet après-midi, Hiroki. Cet après-midi, lorsque j'irai mieux...
-Mais il fait nuit, Tsuzuku. Nous ne pourrons y aller que demain.
Tsuzuku a eu un moment d'absence durant lequel il demeura silencieux. Juste, cette main qui n'avait pas abandonné sa joue était le seul lien qui le rattachait au monde réel. Elle transférait en son esprit un infime et doux courant électrique qui maintenait juste ce qu'il voulait de conscience en éveil.
-Je croyais que nous étions le matin.
-Non, Tsuzuku.
-Alors... j'ai beaucoup dormi ?
-Treize heures.
-Je vois... Pardon.
Hiroki a baissé la tête. Pour la première fois de sa vie, Tsuzuku s'excusait, et le faisait avec sincérité en plus. Mais plutôt que de ravir l'homme, ça a renforcé la tristesse que son cœur renfermait avec le souvenir du visage en larmes de Tsuzuku.
-Ne demande pas pardon, tu sais. Pour une fois, tu n'as rien fait de mal.
-Pour une fois, hein...
Tsuzuku sourit. La main sur sa joue, à nouveau il la saisit délicatement et, se tournant vers elle, le garçon dépose ses lèvres au creux de cette paume virile, protectrice mais si tendre aussi. Hiroki devine que c'est l'alcool restant dans le sang du jeune homme qui l'amène à un tel signe d'affection.
-Tsuzuku, se ressaisit brusquement Hiroki, en ce qui concerne Atsushi...
-Ne le tue pas. Je n'étais pas sérieux en disant cela. Atsushi... ce n'est peut-être pas réciproque, mais tu sais, je l'aime...
-Est-ce que tu crois vraiment qu'il ne t'aime pas ?
Un Ange est passé au-dessus de leurs têtes. Imposant son silence, imposant sa méditation, sa sagesse et sa sérénité aussi, il y avait un sentiment de sécurité au milieu de cette tristesse qui les prenait tous deux par chaque pore de leurs peaux. Le visage de Tsuzuku était lisse, et il ne restait plus rien des larmes qui avaient creusé leurs lits de rivières sur ce champ de blancheur.
-Il préfère ton filleul à moi, Hiroki. C'est aussi simple que cela.
Hiroki a secoué la tête machinalement. Il ne comprenait pas. Pour aimer Kohara Kazamasa, il eût fallu le connaître, et en quelles circonstances Atsushi avait-il eu l'occasion de rencontrer le garçon assez de fois pour en venir à l'aimer mieux que son propre neveu ? Ça paraissait absurde et pourtant, il y avait assez de désolation dans la voix de Tsuzuku pour croire en cette absurdité.
-Comment l'a-t-il connu ?
-On ne peut pas vraiment dire qu'il l'ait connu, tu sais. La seule fois où mon oncle a rencontré ton filleul, c'était juste après mon réveil, à l'hôpital... Kazamasa avait insisté pour me voir, mais les visites étaient interdites.
-Alors, pourquoi...
-C'est tout ce que Kazamasa représente qu'Atsushi aime.
Des milliers de questions se bousculent dans l'esprit de Hiroki. C'est une telle violence, une telle débandade qu'à force de coups de coudes, de bousculements, de piétinements, ces questions finissent par mourir d'épuisement les unes après les autres, et Hiroki demeure dans le silence, fané.
-Peut-être es-tu celui qu'Atsushi aime à travers Kazamasa. Je veux dire... au départ, Kazamasa était ton meilleur ami, non ?
-Jamais.
Il n'y avait pas lieu de discuter. Dans le cœur de Tsuzuku, il n'avait existé aucun désir de blesser, ni même de choquer. Il ne croyait pas même surprendre, d'ailleurs, tant à ses yeux était une évidence le fait que lui et Kazamasa n'avaient jamais pu être de sincères amis.
-Tsuzuku, murmure Hiroki, désemparé. Lorsque tu disais que tu aurais dû être celui qui devait mourir... Tu parlais de...
-Je te l'avais dit cette fois-là, non ? Un jour, Hiroki, tu m'as demandé... Parce que mon père t'en avait parlé, n'est-ce pas ? Tu disais que mon père te parlait si souvent de « nous », Hiroki. Mon père, lorsqu'il te parlait de sa famille, il faisait toujours mention de deux enfants, n'est-ce pas ? Alors oui, j'ai un frère, Hiroki. J'en avais un.
-Ce jour-là... déglutit Hiroki, la gorge serrée. Tu as dit qu'il était...
-C'est si ridicule, lâcha Tsuzuku dans un rire nerveux. Tu ne trouves pas, Hiroki ? Une telle ironie, l'on croirait presque à une intervention divine. Un Dieu qui nous manipulerait comme des marionnettes par des fils invisibles, tu vois, ce Dieu-là a fait en sorte que les choses deviennent si tragiques. Mais alors que c'est moi qui aurais dû mourir, alors que c'est moi qui étais dans le coma, au final, avant que je ne me réveille, c'est mon frère qui est mort.
-Tsuzuku, est-ce que tu...
-Pourquoi crois-tu que les visites m'étaient interdites après mon réveil, Hiroki ? Ce n'est pas vrai que c'était à cause de ma mauvaise santé. Bien sûr, je souffrais physiquement, mais tu crois que ce n'était qu'à cause de ça ? Je venais d'apprendre la mort de mon frère, Hiroki. Je venais de sortir d'un cauchemar profond et pourtant, lorsque je me suis réveillé est survenu un cauchemar réel qui surpassait tous les cauchemars du monde. Alors, ni Kazamasa, ni d'autres... Je ne voulais voir personne.
-Tsuzuku, écoute-moi, je voudrais te demander...
-Je suis revenu si vite à l'école, tu sais. Mon oncle ne le voulait pas ; il ne jugeait pas ma santé assez bonne pour cela, j'avais encore tant de soins à subir. Mais j'ai tout fait...
-Tsuzuku, par rapport à...
-J'ai tout fait pour revenir à l'école, Hiroki, parce que j'ai pensé que si je ne voyais personne, je mettrais indubitablement fin à mes jours.
-Tsuzuku !


Hiroki s'était redressé d'un bond, le cœur battant. Il a écarquillé des yeux horrifiés lorsqu'il s'est rendu compte qu'il avait hurlé. Sur le lit, le garçon s'était légèrement redressé non sans difficulté, observant avec appréhension l'homme qui se tenait debout, les muscles tendus, ses veines palpitantes saillant sous sa gorge. La respiration de Hiroki était sifflante, et des sueurs froides perlaient le long de sa nuque comme il rendait au garçon son regard qui mêlait l'attente à la peur.
L'attente de savoir, mais la peur d'apprendre. Venant du fond de ses entrailles, la voix de Hiroki était comme enlisée dans ses affres les plus profondes.
-Tsuzuku, ta cicatrice, est-ce que tu...
Il s'est tu. Son cœur battait plus fort, si bien qu'il enfonçait sa cage thoracique et pourtant, quelque part au fond de lui, un soulagement se répandait avec douceur jusque chaque extrémité de son corps pétrifié.
Rendu inapte à la parole, son cœur s'emballant dans sa poitrine, sa sueur froide devenant tiède, Hiroki s'est laissé faire, emporté par la fatalité et par ce qu'elle avait de douceur aussi.
Là, inopinément, lâchement, doucement et passionnément pourtant, Tsuzuku avait posé ses lèvres sur les siennes. Et ses bras autour de l'homme ne le lâchaient plus.
Il a fallu un temps pour Hiroki avant de reprendre conscience, et un tout petit peu plus encore pour repousser le garçon. S'affalant sur le lit, Tsuzuku levait ses yeux sur l'homme, vides d'expression.
-D'accord, a fini par lâcher Hiroki comme il apposait ses doigts sur ses lèvres encore humides de la salive du garçon.
Il essayait de réaliser, en vain, ce qui venait de se passer l'instant d'un rêve qui ne devait pas en être un. Sur le bout de ses doigts, l'humidité de Tsuzuku était la preuve d'une faute pour laquelle aucune miséricorde ne pourrait le disculper.
Parce que de miséricorde, Hiroki n'avait pas vraiment besoin.
-D'accord, répéta-t-il comme un vertige l'étourdissait. Je ne te poserai plus de questions.
Tsuzuku a souri.
Juste, il a tendu sa main, sa paume ouverte à plat dans le vide. Hiroki a baissé les yeux. Il était invisible, bien sûr, et pourtant, il a suffi à Hiroki de poser les yeux sur cette paume fine et blanche pour deviner son existence. Celle d'un baiser.

Le garçon reposait, la tête tournée, ses yeux à demi-clos des paupières à travers lesquelles il observait, vitreux, l'homme assis sur le rebord du lit qui le veillait. Comme un père que Tsuzuku n'aurait jamais cru le voir devenir un jour, Hiroki réconfortait le garçon, passait sa main sur son front pour prendre petit à petit la douleur qui bouillait derrière. Dans le délice d'une caresse qui n'attendait rien en retour, sinon peut-être le bien-être même de celui à qui elle était offerte, Tsuzuku se sentait l'âme défaillir, se laissant sombrer dans un secret ravissement dans l'abandon auquel condamnait la plénitude. Son corps et son cœur prélassés dans une seule et même confiance, Tsuzuku luttait malgré tout pour ne pas perdre face au sommeil qu'il sentait engourdir un peu plus son corps de minute en minute.
-Pourquoi me regardes-tu comme ça, petit élément perturbateur ? rit gentiment Hiroki.
-Pour rien...
La voix de Tsuzuku s'amenuisait dès lors qu'il tentait de la faire s'exprimer. Bien sûr, il était sans forces, car ses forces il avait dû laisser déserter pour laisser place à la paresseuse et sensuelle langueur qui le ravissait.
-Ne bois plus jamais, Tsuzuku.
-Tu imagines que je ne t'aurais pas embrassé, si je n'avais pas été saoul ?
Hiroki lève les yeux au ciel dans un mystérieux sourire. Il semble se moquer du garçon et pourtant, Tsuzuku devinait que ce n'était qu'une façade : réellement, Hiroki s'était imaginé cela. Décidément, a songé Tsuzuku, il est si naïf, pour un adulte.
Tsuzuku a rouvert les yeux. Son cœur rata un battement. Il les avait fermés. Durant combien de temps ? Heureusement, Hiroki était toujours là, veillant sur lui, et cette main chaleureuse continuait à lui partager la douceur contenue en elle. Il voit le regard bleu presque transparent de Hiroki, un regard à travers lequel l'on peut lire en filigrane tous les poèmes dont une âme pure est capable. Le cœur de Tsuzuku se serre, et un souffle malgré lui a véhiculé ses sentiments jusqu'à l'homme.
-Tu es beau, Hiroki... C'est fou, dis, tu es beau, tu es vraiment beau...
-Et toi, s'amuse-t-il, tu es vraiment saoul.
-Oui, mais... Même quand je n'étais pas saoul, je pensais que tu étais si beau, dis. La seule différence maintenant, c'est que je le dis.
-La seule différence, je le répète, est que tu es saoul, insiste l'homme.
-Oui, mais...
-Résous-toi à dormir, à présent.
En réponse à cet ordre qui n'avait pour pouvoir de persuasion que sa tendresse, Tsuzuku a fermé les paupières et, dans un long soupir de volupté, a tourné le dos à Hiroki, une main sous sa joue en guise d'oreiller. Il a senti que Hiroki le recouvrait délicatement du drap, et tout semblait prêt à ne devenir qu'un rêve lorsque le noir envahit la pièce.
Tsuzuku s'est redressé en sursaut.
-N'éteins pas la lumière.
-Pourquoi ?
-Mais parce qu'il fait noir comme ça.
Il y eut un petit rire. À côté de lui, Tsuzuku a entendu le froissement des draps, a senti un poids affaisser le matelas, un peu, et puis une présence près de lui s'étendre, protectrice.
-C'est le principe de la lumière. Lorsque l'on l'éteint la nuit, il fait noir.
-Mais j'ai peur du noir.
-Tu plaisantes, pas vrai ?
Tsuzuku s'est demandé, comme ça, s'il avait eu l'air de plaisanter ou si c'était l'habitude du mensonge qui avait conduit Hiroki à s'interroger. Ou peut-être n'était-ce que l'idée de la peur du noir qui semblait improbable aux yeux de l'homme. Ses yeux, d'ailleurs, qui perçaient le noir pour couvrir la silhouette de Tsuzuku, assis sur le lit, tremblant.
-Non, dis, j'ai peur.
-Tu as toujours dormi dans le noir jusque-là.
-Mais maintenant, je ne sais pas pourquoi, j'ai peur, insista le garçon fragilisé.
-Comment fais-tu pour avoir peur du noir, enfin ?
-Et comment tu fais pour ne pas en avoir peur ?
Hiroki a soupiré. Tsuzuku s'en voulait mais malgré l'alcool qui exacerbait sa franchise, il ne pouvait pas le dire. De ses yeux brillants que Hiroki ne pouvait voir, il le suppliait, et de sa gorge serrée tentaient de s'échapper des mots qui mourraient écrasés dans leur tentative d'enfoncer le barrage de la panique et de la honte.
-Pourquoi, petit phénomène ?
Tsuzuku a tressailli lorsqu'il a senti autour de sa poitrine nue les bras de Hiroki se refermer doucement.
Tsuzuku a fermé les yeux et a reposé son visage contre le torse chaud de l'homme, se laissant bercer par ses battements de cœur. C'est peut-être une illusion, a songé Tsuzuku comme il enfonçait son visage au creux de cette poitrine. Il y a des bras qui tiennent fermement les êtres humains sans jamais les retenir prisonniers.
Et Hiroki a repensé à ses larmes, à tout l'alcool qui n'avait pas pu noyer le chagrin, mais sa pudeur et sa fierté, et puis ses paroles, son amour pour Atsushi, mais la douleur qu'engendrait cet amour qu'il disait n'être pas partagé, ses regrets et ses remords, ceux de n'être pas aimé, ceux de n'être pas mort, de s'être réveillé quand un autre s'était endormi pour toujours, et puis tant de détresse et de terreurs encore que Hiroki devinait tapies en Tsuzuku et qu'il ne pouvait desceller, comme demeurées confinées dans un coffre dont le jeune homme avait perdu la clé.

« Il y a des âmes drapées de blanc,
même quand le corps est vêtu de noir. »

C'est la pensée qui a traversé l'esprit de Hiroki, laissant derrière elle une nuée d'or comme une étoile filante dans un ciel nocturne.
-Pourquoi... susurre Hiroki comme il passe sa main dans les cheveux emmêlés du garçon. Pourquoi...
-Dans le noir, l'on ne voit rien, Hiroki. Moi... j'ai peur de ça. J'ai peur de ne rien voir, Hiroki, moi... j'ai peur de ne rien savoir.
-Je ne comprends pas, se désolait l'homme, contrit. Qu'as-tu peur de ne pas voir, Tsuzuku, que crains-tu de ne pas savoir ?
-Quel drame me guette qui viendra brutaliser ma vie comme le coup d'un Dieu qui me hait.
Hiroki n'a pas répondu. Sans s'en rendre compte, sa main a glissé le long de la joue de Tsuzuku, a longé son cou, avant qu'elle ne vienne se poser juste contre son cœur.

-Si tu le veux bien, Tsuzuku, je te protégerai des drames qui te guettent.
-Mais ce ne sont pas des choses que toi ni personne d'autre pourrait empêcher, Hiroki.
Hiroki acquiesce, d'un signe invisible. Il ne dit rien, mais il a mal. Là, comme ça, même si ce n'est qu'à travers l'obscurité, Hiroki regarde ce Tsuzuku méconnaissable replié contre lui et il se dit que Tsuzuku est beau. Ce n'était pas la même beauté que d'habitude, non. Parce que c'était une beauté qu'il était capable de voir même dans le noir. Pour la première fois véritablement depuis leur rencontre, Hiroki trouve Tsuzuku profondément beau.

C'est-à-dire, il est beau dans son cœur. Mais là où Tsuzuku est beau, c'est là aussi où il a mal.
-Tu te souviens... a fait la voix de Tsuzuku étouffée contre sa poitrine. Cette fois-là, Hiroki, tandis que j'étais presque nu... Tu m'as fait croire que tu me ferais l'amour, mais bien sûr, tu avais juste fait semblant, pas vrai... Malgré cela, Hiroki, tu me couvais des yeux, tu m'as caressé, et tu m'as même pris en photo... Je t'ai traité de fétichiste, bien sûr, mais je suis certain qu'il ne s'agit pas de cela, Hiroki, ce n'est pas ton genre, et moi non plus, je suppose que je ne suis pas ton genre... Malgré tout, Hiroki, ce soir-là, je t'ai demandé de m'embrasser à plusieurs endroits du corps, et tu l'as fait... Avec une infinie tendresse, Hiroki, telle que sur le coup, je suis désolé, je me suis presque laissé à croire que tu ne le faisais pas simplement que pour m'obéir. Sur la nuque, au creux de l'épaule, au creux de mes reins, au creux de mon poignet, partout où je te le demandais, Hiroki, sans aucune arrière-pensée, tu as posé tes lèvres.

Hiroki a dégluti. Qu'est-ce qui amenait le jeune homme à mentionner un épisode de leur vie qui lui était si embarrassant, il ne le savait. Mais la voix de Tsuzuku était si éthérée, son corps frêle si paisible et sage contre le sien qu'il ne pouvait croire à une nouvelle tentative de provocation.
-Pourquoi ? demanda-t-il alors, mêlant ses doigts aux longs cheveux d'encre. Pourquoi me parler de tout cela ?
Tsuzuku a levé la tête. Dans le noir, sous le regard éberlué de Hiroki, deux ronds scintillaient.
-Recommence, Hiroki. Une fois, s'il te plaît, pour la dernière, je voudrais que tu déposes tes baisers sur mon corps jusqu'à ce que je puisse m'endormir.



Il l'avait sans doute fait exprès, bien sûr. Luttant contre le sommeil pour se lover toujours plus longuement dans la volupté, Tsuzuku avait mis longtemps avant de pouvoir s'endormir.

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