Flattez-moi ça, c'est du bon

Thierry Kagan

 

Comme moi, vous ne rencontrez pas que des gens que vous avez choisis.

Peut-être aussi, ces mêmes personnes n'ont pas plus d'intérêt que ça pour vous.

 

On ne sait pas pourquoi : une convention - de merde, sans aucun doute - oblige à se sourire, à s'inviter ou même, à se marquer de la reconnaissance.

 

Avant l'envie de se faire un gargarisme au Cognac, ce mauvais goût dans la bouche - qui vient d'un coup, sans avoir croquer d'oignon - c'est ça !

 

Ce sera de la famille, des types qu'on a vus une fois et qui refusent de vous lâcher, des relations de relations, des contacts envers qui l'on est redevable, la « femme de », les « hommes de », une vieille connaissance...

A tous ceux-là, parfois, on ne peut rien reprocher.

Si ce n'est leur tête, leur odeur, leur manque de richesse ou de pauvreté… et plus généralement, le fait même qu'ils existent.

Ce qui surgit à l'esprit en leur présence, tout simplement : "vous, pourquoi continuez-vous d'être ?".

 

Par exemple, là, de l'autre côté du passage piéton, de loin, c'est clair, ELLE me reconnaît.

Je LA reconnais.

Instantanément, ma propre haleine me pèse.

C'est Madame S. !

La prof d'anglais qui m'a, cours après cours de quatrième, si souvent humilié devant la classe entière.

Et petit, en quatrième, je l'étais dans pas mal de sens.

20 ans ont passé, elle en frise 75 et maintenant, je suis bien… et bien deux fois plus lourd qu'elle.

 

Bestialement, il pourrait me venir à l'idée de la séduire, de l'amener chez moi, de lui faire l'amour et de l'étouffer sous mon poids.

Mais non.

Ce serait trop simple !

 

Plutôt, je me dis... « chauffons doucement, comme un rayon de soleil, cette vielle peau molle-gras doublée, poudrée de vert-de-gris et montée sur pilotis.

Elle n'a pas changé, c'est la même en pire !

Flattons-la, elle ne s'y attend pas.

Honorons la mémoire de sa pédagogie, elle s'en enorgueillira…

Non ! En fait, l'hypocrisie n'a pas lieu d'être.

Achevons-la ».

 

Dans le style, elle est toujours la truie à tête de veau de mon adolescence.

Qui a déjà vu une truie à tête de veau se transformer en petit pinson innocent ?

Donc, pas de ménagement !

 

Le feu est rouge.

Nous traversons tous deux, l'un vers l'autre.

Par dérision, avec sa tonalité dont j'ai le pénible souvenir, j'ai le temps de me dire : "que j'aimerais - à l'occasion de cette rencontre d'un de mes élèves - me faire caresser dans le sens du poil. D'aucuns m'ont assuré qu'il était beau et brillant comme il y a 20 ans ! Avec cette tête de turc-là - sur qui, par le passé, j'ai tant croassé – un compliment de sa part serait bienvenu. Sourions ! ".

 

Pourvu que ce soit bref : vomir, contrairement à ce qu'en cultive les poivrots, n'est pas bon pour le bitume.

 

Une fois au milieu, l'un en face de l'autre, je m'engage avec ma propre voix : "Bonjour, Madame ! Si vous saviez comme ça me fait plaisir de vous revoir. Vous n'avez pas changé. Ce n'est pas comme Madame S., vous vous souvenez, la prof d'anglais. Des amis l'ont revue. Elle est tellement décatie qu'ils ne lui donnent pas longtemps à vivre. Allez... bonne journée, c'est encore rouge, je suis un peu pressé. A bientôt...

- Mais… je suis Mad… »

 

Combien de fois j'ai quitté sa classe avant d'avoir pu m'expliquer et pris l'escalier pour aller me faire voir.

 

A mon tour, ne l'ai-je pas bien descendue ?

 

 

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