Comme une offrande sur l'escalier de bois, le sourire juvénile, la profonde sérénité à se savoir rendu chez soi ; le corps qu'on n'oublie pas. Les phrases, les mots, les regards. Les aveux accordés et les secrets gardés, le rire démenti par l'infime tremblement de la lèvre inférieure, quand il faut se dire au-revoir ; et l'oubli impossible. La mécanique entière des cellules et des organes qui palpite dans le silence tumultueux, pour concentrer son énergie en une onde de chaleur irradiée de plaisir, en un seul point d'extase ; oh, et la crudité d'un bonheur qui s'ignore. Car aussi, ne l'oubliez pas, l'indifférence des asphaltes glacés en l'hiver des édifices publics plongés dans la nuit, dans cet hiver urbain transi de contresens entre les yeux qui se détournent et la main qui s'accroche à l'étai du bras amoureux ; et le corps qu'on n'oublie pas. Comme la sensation d'une promesse, celle qui avait péri dans la futilité inconséquente des tôles, puis inespérément revenue par des voies de traverse ; son corps qu'on n'oublie pas. Les phrases, les mots, les murmures, sans se voir mais si proches, la voix glissée au creux de l'oreille, quand l'influx électrique transporte les messages lénifiants, ces baumes à la distance à peine supportée ; l'appel à la fusion des peaux ; et le corps qu'on n'oublie pas. Les corps qui s'oubliaient à se fondre dans l'autre ; pour mieux se souvenir. L'agitation des cafés surchauffés, et la table ronde, et les fauteuils moelleux, mais l'inconfort des yeux jugeant, d'une mise en accusation par quoi la peau s'irrite, l'humeur se désarme, capitule sans condition ; le jugement tranché d'une cour univoque, et la sentence froide ; mais que le corps, ce corps qu'on n'oublie... car des flamboyances aussi, car des ignitions déraisonnables à la chaleur fulgurante, condensée, l'onde répétée, la frénésie des couleurs ; car des éruptions euphoriques, et ce corps ; le corps... A ce point que la peau recherche sa pareille, mais la fêlure, la crevasse affamée aux lèvres cisaillées de ravin desséché où rien ne se rappelle qu'il y eut une source ; la source abondante, la fontaine abreuvée ; et le corps qu'on n'oublie pas.
Merci à vous trois pour vos commentaires.
· Il y a plus de 4 ans ·Christian Lemoine
Longtemps après, ce corps qu'on n'oublie pas...
· Il y a plus de 4 ans ·Encore un beau texte !
Louve
Du rythme, de la belle écriture d'où émerge des images intimes. Bravo ! :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
c'est très beau beau et passionné
· Il y a plus de 4 ans ·Susanne Derève