Furet

Christian Lemoine

Toit d’usine, toit d’atelier. Disposition urbaine de plans obliques en mer figée sous les fenêtres des villages verticaux, où les existences esseulées s’empilent et s’ignorent, chacune en sa cuisine veule n’ayant d’autre horizon que les gazinières poussives. Toit de vieille fabrique, animée des fantômes ouvriers, au-dessus des coursives et des sols cimentés où ne se rongent plus les machines, la production des ustensiles achevée, obsolètes. Peut-être une solive tombée dans la poussière des sols désertés. Au-dessus, bien au-dessus, loin au-dessus, des traînées de vapeur quadrillent les chevauchées mécaniques, ces fuselages poinçonnant les rêves d’enfant. Du toit fermé jusqu’à l’univers, des soupirs exhalés. Et une ombre, une giclée de fourrure, des bonds feutrés, le jaillissement insolent d’une vie sauvage, échappée des cages ou des caves, à la fois douceur des aumusses, âpreté incisive du chasseur. Petit carnivore conquérant, dans la ville en naufrage. D’une fenêtre ou d’une autre, de celle où tremble un rougeoiement de braise, elle suit les mouvements silencieux, chevillé en son cœur le récit autrefois innocent de cette incursion surprenante, quand elle ignorait encore comment par ses yeux noirs un autre cœur pouvait chavirer.
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