Galerne

Christian Lemoine

Les vents de la galerne s'assemblent et légifèrent, supputant à l'avance le devenir des carènes. Entre les haubans conspués, ils voient gésir les épopées des conquérants. Car la rescousse n'est pas de leur ressort, jamais ils n'indiqueront les consolations de l'étiage. Car là n'est pas leur mission. Grand mât, mât de misaine, sabords noirs, gueule ouverte sur des entrailles de calamine. Le sillage s'absorbe dans l'attente des oiseaux de mer, trop loin des îles, comme il s'accorde à la vague sérielle. Hors les frasques de quelques dauphins joueurs, dans leurs conciliabules pneumatiques, la solitude seule navigue de conserve. On en a vu, ailleurs, de ces explorateurs zélés toujours repoussant la frontière de leurs exploits. Aujourd'hui, sur les horizons aplanis, les silhouettes ventrues des caravelles, les courses légères de goélettes ont cédé l'étrave aux lourds empilements des porte-conteneurs. La dictature des marchandises a rayé les chasses au trésor et, capitaines sanguinaires ou pirates intrépides, toute ombre a été engloutie par les flots. La loi des banquiers a imposé ses règles consenties, quand bien même, belligérants d'une part et parallèlement contractants, les gouverneurs simulent le grand théâtre de la stratégie. Pour la scène inventée, pour le spectacle abrutissant ses spectateurs. Tandis que les maîtres des cintres et des treuils suggèrent des décors où se côtoient les tables des banquets et les dalles des cimetières. Les voyages croisés des grands navires ne sont plus que les circulations des pitances entre œsophage et iléon, avant l'excrétion des déchets. Un homme à la mer ; un conteneur toxique ; la kyrielle des plastiques importuns ; les flux intestinaux vomis de la carcasse rompue d'un pétrolier trop présomptueux. Plusieurs hommes à la mer, abandonnés au courant par un canot volage, déçu de ne pas découvrir l'Amérique. L'ironie du hasard n'aura que le plaisir de laisser poindre aux yeux des mourants la ligne blanche d'un rivage pour ultime paysage. D'autres surnageront peut-être. Découvrir encore, explorer toujours. Traquer le trésor égaré qui sublimera l'échappée. A tout le moins, ne jamais cesser d'en rêver. Une galerne s'essouffle entre les rémiges d'une mouette attristée, là où le phare stoïque dédaigne les coques vulnérables.
Signaler ce texte