Haras de Vauptain

Christian Lemoine

Au sol, mouillé et suave, ramures brisées, branches en vrac. Il tombe une pluie fine, un crachin pénétrant et lucide, brumisateur de gouttelettes en suspension entre les troncs. Le ciel est gris uniforme ; confusion, dans les deux dimensions de la hauteur et de la profondeur, d'atomes d'air et d'eau. Ici, un houppier s'est débranché des frondaisons ; là, un tronc s'est rompu net, sang de sève versé, livrant en obscène étalage la chair de son aubier fendu. Architecte des forêts, le vent court encore, malfrat sans ordre, sûr de sa force. Encore il court secoue et agite et dessine sur le ciel des abstractions mobiles. Par paquets carillonnants, sa furie tic-taque sur les feuilles mortes, par l'averse soudaine des gouttes arrachées aux brindilles. Une tempête sur la forêt, dirait-on ? Peut-être. Mais seulement ? Le drame est autre, que cet oiseau qui dérive à grande allure déporté par la bourrasque. L'âcre fumée s'est dispersée, il n'en reste plus trace. En contrebas des racines affligées, les herbes et les sables, la carrière et l'enclos, front barré de douleur, gisent dans l'incrédulité de la maison détruite. Le feu. Le feu. Hantise des chevaux, qui l'ont vu emporter la bâtisse des hommes. Et avec la toiture éventrée et les tuiles cramoisies, avec la charpente sidérée, la présence fragile de la matriarche.
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