HARVEY

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Lee HARVEY OSWALD est-il l’assassin de John Kennedy ?



 

 

 

Harvey pouvait contempler toute la ville depuis sa chambre. Il était devenu très populaire. On l'invitait,  souvent et partout, ses chemises de soie bleue venues d'un petit atelier qu'il situait à l'autre bout du monde ne souffraient pas un pli. Il glissait dans leurs cols de ses longs doigts fins et blancs ornés d'une chevalière à chiffre, le tissu brillant de ses cravates noires. Les miroirs lui renvoyaient murmurait-on, l'image persuadée de sa réussite sociale et familiale, de son bonheur incommensurable. Certaines personnes aimables lui trouvaient beaucoup de qualités en dehors de l'humilité dont elles disaient que c'était une chose qui s'étaient effacée chez ce personnage fortuné. Une très jolie jeune femme japonaise aux traits doux, à la démarche précieuse dont les cheveux noirs s'enroulaient sagement sous les doigts des plus célèbres coiffeurs du moment accompagnait désormais ses pas sûrs et sereins. Elle l'avait immédiatement fasciné lorsqu'il l'avait aperçu, attiré comme un papillon de nuit par une lumière blanche aveuglante qui pour lui était ce regard noir imperceptiblement plissé porté toujours droit vers l'horizon mais cependant extrêmement naïf, sourdant  du fond secret d'une âme calme et fragile. A se remplir de ce regard, il maudissait le progrès, la mode, les avancées techniques qui poussaient certaines de ses compatriotes à se défigurer en débridant le contour de leurs yeux pour ressembler à quelque chose qui était sans vie, sans nom, interchangeable, anesthésié à jamais. Elle au contraire, femme aux tout petits pieds, imparfaite pour les critères de l'époque filante, comme une très ancienne porcelaine blanche, était une source vive ornant cette extraordinaire peinture dont il était le maître créateur. Deux beaux enfants de sang mêlés leur étaient nés d'un vrai amour sans frasque ni tapage, bien éloigné du clinquant chic putrescible. C'était une fille et un garçon, tous deux intelligents et vifs, aussi fiers et forts à l'intérieur que leur mère était frêle et silencieuse. Le ciel avait donné à leur mère le don merveilleux d'être née au monde absolument muette et  sourde. Pour cela elle n'avait jamais pleuré et ne le pourrait jamais, ni même s'entendre pleurer. Les deux enfants étaient sur ce point semblables à leur mère par la puissance du destin. Depuis longtemps maintenant le monde aimé, envié et reconnu s'appliquait à scruter scrupuleusement et sans répit ces personnages du nouveau monde qui n'appartenaient seulement qu'à Harvey, au cours des nuits étoilés et des journées folles où les conversations donnent la mesure au temps ; tour à tour monumentale ou cruelle. Ils avaient beau tous faire pourtant, l'"œuvre gargouille" ne parvenait à capturer du tableau pour s'en emparer et le livrer au diable ni haine, ni amour. Troublant l'ordre ordinaire des mots, ils n'y consentirent jamais tout en persistant dans leur silence préservant ainsi le pauvre Harvey.

 

Il faut être bien similaire à tout ce qui vous entoure, à tous ceux qui vous précèdent dans  l'histoire qui est la vôtre et se croient pour cela investis du pouvoir, pour que par chance on affectionne ce que vous êtes et votre compagnie. La différence fait qu'on vous heurte et vous rejette fortement comme une vague de mer qui vous blesse avec violence  le visage, les coudes, les jambes et les bras au contact des pierres qui vous lapident avec violence sur le bord. Cependant parfois sur les étangs flottent d'étranges et voluptueux nénuphars, aux feuilles si souples qu'elles parviennent à étreindre même l'eau noir. Elles en apaisent le trouble, aspirent le venin. Se sont les feuilles des arbres qui les surplombent, qui les caressent et les rassurent et ces feuilles persistantes et luisantes d'un vert à peu près jaune et blanc or, réapparaissent avec constance  après la tempête. Harvey les voyaient dans son miroir, son esprit sentaient réellement leur inspiration et leur expiration, elles lui insufflaient tout son air, il respirerait au travers d'elles car toujours il y avait debout droit agrippé à son gilet, à l'endroit où juste en dessous on pose sa main pour offrir son cœur en garant, un oiseau méchant attaché à son être, un corbeau noir que rien ne pouvait chasser, ni les cris, ni l'effroi, ni les coups, ni un pacte d'argent. Harvey ne dormait que lorsqu'il était épuisé, le reste du temps il travaillait avec acharnement. Lorsqu'il s'allongeait vaincu, l'œil sombre s'ouvrait alors pour fixer sa proie. L'oiseau se tenait au-dessus de la plaie et s'en nourrissait plantant férocement ses deux lames affilées. Parfois il quittait un instant sans le réveiller le corps meurtri de Harvey mais c'était une nuit sans apaisement sous la lune qui semblait un énorme œil d'écume, des murs de pierre parés d'épines de rosiers rouge emprisonnaient son songe. Harvey hurlait par moment, il lui semblait voir s'avancer une ombre aux yeux rouges qui lui voulaient du mal, l'horrible animal ne faisait lui qu'attendre pour revenir l'embrasser, frère noir immortel, animé d'un désir de vengeance. Il guettait impatiemment le moment du retour et soudain ressurgissait. Il s'installait pour toute la nuit cette fois et déchirait en petits lambeaux de chair les certitudes et la foi qu'Harvey avait en ce monde, cela lui semblait durer une éternité avant d'entendre ce bruit particulier et caoutchouteux au point du jour, celui des feuilles de nénuphars qui tissent une toile sur l'étang ensanglanté, leurs tiges s'enroulent autours de son cou, de sa taille et de ses bras, elles semblent prendre ses mains pour les serrer et les réchauffer, elles le ramènent doucement vers le bord, il est encore vivant, il respire encore mais à peine, elles le tire hors de l'eau et il l'aperçoit enfin comme hier et le jour d'avant, quelqu'un pour le voir, pour lui dire qu'il est aimé, on ne le lui a jamais dit.

Lorsqu'ils s'installent ensuite ensemble autours de la table, il y a ce parfum de café réchauffant et le son rassurant des cuillères des enfants qui résonnent contre les parois des bols. La confiture  disperse ses petits grains sombres sur le beurre accroché au pain chaud et l'envie formidable de vivre revient en tout son être, forte et puissante. Sa femme sourit et lui sert  la main, il chasse la nuit et les ombres un instant derrière lui. Le corbeau de marbre noir se tient à sa place, lui sait bien qu'il est là, lui le voit mais il reste invisible aux autres qui envient ce qu'il est, ce qu'il a, ce bonheur effroyable richement vêtu. Harvey autrefois a tué son frère et ne peut l'oublier ou bien se sont les autres qui finiront par tuer Harvey.


Le Gallicaire Fantaisiste

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