HINA

Jean Milossis

extrait du roman " HINA " , 1990-91, de Jean MILOSSIS

- Tu m'ouvres un coke?

Elle disait ça, ma petite, c'était élégant.

Le frigidaire c'était l'oasis, vert comme une Cadillac 56, il ronronnait, ce bruit était bien. J'ouvrais sa porte et le terrible éclat des boîtes de coca alignées comme des lingots dans un coffre gras de Suisse, me redonnait un espoir qui commençait de suite. C'était beau tout ça.

J'allais vivre avec Hina.

Ca commençait de suite, je serai avec la petite.


- Tiens ton coke petite russe.

- Ukrainienne, pas russe.

Quand Hina ouvrait la boîte, le claquement de la languette d'acier crevait l'après-midi. Comme de la banquise qui luisait dans la chambre.

Et la petite,  les lèvres collées par la sueur du métal, tétait son coke.

Je priais de plus en plus.

Sa langue devait être gelée par l'eau de coca. Elle buvait. Hina, comme on boit. Normalement.

Mon Dieu, il ne faudrait pas que ça s'en aille, jamais, je pourrais en mourir.


Hina buvait, ça aussi c'était un spectacle simple.

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- J'ai soif, j'en ai mal de ce chaud.

Elle se trompait et disait mal au lieu de marre.

Elle s'impatientait, alors son front se plissait, avec des ombres de pliures qui dessinaient un tatouage. Doré, vaguement déchiffrable, une pirogue peut-être, juste au-dessus de son sourcils.

L'empreinte de la tribu. Hina la si blanche, derrière des peules ou des malinkés?

- J'ai soif, beaucoup, et toi tu n'as pas faim? On va manger des pirojkis, dis oui.

Il y avait peut-être cinquante degrés sur les trottoirs. Une fièvre énorme.

Et Hina me disait qu'il fallait aller manger des trucs russes, Hina voulait ça.

Je connaissais bien le crocodile de mon polo, 5 ou 6 ans qu'il me guettait sur le tissu noir. Résistant, avide, là, aujourd'hui encore il attendait sur la même rive, irrespectueux et jaunâtre sur les crocs. Il avait su de suite le vieux Lacoste, qu'Hina était une jeune fille simple. Elle avait le rythme des exigences et ne rougirait pas des ordres qu'elle me donnerait peut-être. Pour que : tout soit simple.

Simplement pour ça.


L'âge d'Hina ? Je ne savais pas ça exactement, quinze, mais seize c'était possible aussi, ses papiers arriveraient dans quelques jours. Il ne fallait pas parler de ça avec elle, on ne sait pas l'âge de peules. Juste sur la peau on peut regarder les signes de la route. Il n'y avait pas de signe sur la petite, si, des criblures un peu dorées en haut des joues, le soleil d'ici déjà. Et puis la pirogue, dorée aussi, de tout à l'heure.


Ca s'installait.

L'espace.

J'étais fier de cet espace simple qui s'installait.

Et puis j'aurais voulu être seul, juste maintenant.

Dans une église fraîche en train de prier Dieu.

Prier avec tout ce qui était si beau, c'était terrible.

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