Illustration d'Alice Dalton Brown

Christian Lemoine

D'une fenêtre, se faufile en volutes invisibles un vent chaud d'été. Le rideau blanc se teinte d'une bleuté ombrée, toute de douceur et de souvenirs baignée. Par-delà la barrière plane des fenêtres à guillotine se glisse sous le regard un paysage de collines oblongues, de vallées embrumées de lumière ; les lignes étagées des arbres s'y appliquent, en toute innocence, à creuser dans l'imaginaire la profondeur des horizons effacés par la clarté de l'après-midi. Personne dans la pièce. On pourrait deviner, quelque part dans la maison, le son hésitant d'un piano, quelque déchiffrage un peu maladroit d'une rapsodie réfugiée, vestige en un nouveau monde d'une origine enracinée en des terreaux millénaires. Ou encore, à l'extérieur mais hors de vue, des cris et bruits d'enfants qui jouent en plein soleil. Le rideau se gonfle à nouveau, sans vent perceptible. Il bat comme une voile gravide, emportant sur les ondes des heures le débonnaire vaisseau de la maison paisible. En quelque lieu, à l'écart du vallon le plus proche, un étang sans rides. Veston sur le rivage, trace oubliée d'une excursion déjà lointaine, quand des promenades alanguies guidaient vers ces rives moussues les premiers pas d'amours adolescentes. Aujourd'hui la maison immobile perpétue en silence la nostalgie des frondaisons azurées, sans chagrin exagéré pour les enfants partis, ni pour la voix perdue du grand-père disparu. Brise d'été, image posée. L'automne n'est qu'en germe.

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