Indivision

Christian Lemoine

Au fond de l'étude empoussiérée, un notaire s'ennuie. Par les carreaux gris de sa fenêtre, il suit le vol des corbeaux qui se disputent à pourchasser un étourneau étourdi. Les portes sont ouvertes, et dans son bureau silencieux parviennent les murmures anémiés des employés, comme si tous ils étaient atteints de trypanosomiase. Mis à part un des clercs, pas le plus brillant pourtant, dont le bureau jouxte celui du notaire. Lui, se laisse aller à des rêveries paradisiaques, à des visions de séjours neigeux éclatants de pureté, d'îles tropicales où il serait bercé de filles au corps de liane et aux mains caressantes, de palais orientaux où les rideaux de soie révèleraient parfois la silhouette d'une belle odalisque. Mais la voix de son clerc obscur le ramène à la réalité, et l'odalisque s'efface, elle n'était qu'un rêve, les îles une utopie, le harem une hérésie, et la neige de la poudre aux yeux. Le bureau mitoyen ronchonne de verbiage, le clerc très fat y dicte, docte, quelque conclusion d'actes d'ectoplasmes ductiles en mal d'ectopie. Les ombres des spectres glissant dans les couloirs décomposent la lumière du jour, au long des couplets d'hoirie litigieuse, de legs enjambés, et l'on entend parler succès si on conclut, on argumente violent héritage balkanique contre douaire doux yougo, on proteste amant et maîtresse, on se dispute à chaque minute. Ainsi tout au long du jour, jusqu'à la tombée du soir. Et le notaire s'ennuie, tandis que la nuit s'enterre.

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