Introduction balzacienne pour les incultes de 20 à 30 ans

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Grégoire de Rhumenchamp avait l'air, mais pas la musique. Il avait surtout l'air con dans son accoutrement, habillé de pied en cap en De Fourresac, la griffe redevenue à la mode chez les dandys parisiens. Par pingrerie, il achetait ses panoplies sur Anarque.com. Il se pensait irrésistible malgré les railleries de ses collègues.

Ce ringard s'en foutait. Il n'avait rien compris au film. Il était désespérément hétéro alors que la vogue en était à la voile et à la vapeur. Cette exception culturelle lui ouvrait des boulevards sur les sites hantés par des escalopes panées, trop heureuses qu'il les mît à la une. Il était plus gourmand que gourmet et le fumet un peu rance qui parfois lui chatouillait les narines ne le dérangeait pas. Ça lui rappelait ses week-ends à Dunkerque et les moules marinières.

Grégoire écrivait pour « Ma maison, ma fontaine, le magazine de la femme qui mouille le maillot ». Un nombre non-négligeable de ses articles avait été très remarqué. Il fut même nommé pour le prix Poulie-glaires, grâce à son travail d'investigation sur la tonte du gazon et les irritations en complexe argilo-humique. Mais son objectif était de percer grâce à un roman. Un dimanche matin, alors qu'il titillait une tanche, il eut la révélation. En trois mois, il torcha ce qui, il n'en doutait pas, serait son chef-d'œuvre : Alluvions perdus.

En six mois, il en vendit quarante-trois exemplaires. Il en connaissait les acquéreurs pour seize d'entre eux : sa mère, la coiffeuse de sa mère, qui fit rire tout le salon en essayant de le lire à l'envers avant de le filer à la shampouineuse, ainsi que toute la garde rapprochée de sa tante du club du 3e âge. Le dix-septième, il le trouva un matin à son travail, dans les toilettes. Un petit plaisantin, un enculé, avait transformé son ouvrage en papier toilette avec un commentaire tagué sur le mur : « Quel torche-cul ». Il comprit que la jalousie alimentait ce geste de merde.

Il se souvint alors de ses cours de catéchisme et de la phrase de Jésus : « Nul n'est prophète en son pays ». Sa décision mûrit en deux semaines. Il se souvint de mademoiselle Tirigol, sa prof de Français au collège, et de ses commentaires dithyrambiques à chacune de ses rédactions. C'est elle qui l'avait poussé dans la voie littéraire. Un matin, il acheta un aller simple et il prit un TGV pour Saint-Etienne puis se tapa la Micheline de Firminy. Il en eut des souvenirs émus. Ah, Micheline, son amour de jeunesse. Il en avait passé des nuits sous la couette en découvrant les formes plantureuses de sa bien-aimée. La nuit, il faisait de drôles de rêves, que toute la bourgade lui passait dessus. Elle était endurante et besogneuse la Micheline. Que de soirées, il dévora La Vie du Rail.

Une fois qu'il eut rejoint l'appartement familial dans la Cité Radieuse, il quitta son nom d'emprunt pour se retrouver Grégoire Charbon, digne descendant d'un mineur stéphanois. Mais quelle idée prit Le Corbusier de la construire dans ce trou paumé ? Imaginez Napoléon choisissant Moulins-sur-Allier pour y construire l'Arc de triomphe ! Bâtie sur les hauteurs de la ville ouvrière, il n'avait qu'un objectif. Celui de s'élever dans la hiérarchie sociale et fréquenter les salons de la bonne société, dans le chaudron, le centre-ville historique.

Un matin, alors qu'il prenait son Cacolac au Café du Commerce, rédigeant pour survivre un argumentaire publicitaire pour le supermarché Elefanprix, il tomba sur Marie-Louise Eborgnat, la femme de l'opticien. Cette charmante dame était à la tête d'un fanzine, WeLeaveWorks. Elle regroupait, après le travail, toutes les sommités locales. Il prit son courage à deux mains et lui offrit une historiette qu'il lui avait dédiée. Elle s'appelait « 50 nuances de craie » et se déroulait du côté d'Étretat. Elle adora. Il fut donc introduit.

Il se présenta à la sauterie. Il perçut tout de suite qu'on le jalousait par les regards en coin. C'était le cas de cette grosse vache de madame Sanzos, la femme du boucher qui, comme son nom l'indique, était d'origine grecque. Une connasse qui se croyait originale. Elle rédigeait des menuets sur des parchemins en veaux mort-nés. Après avoir dégusté les spécialités gastronomiques du coin, s'enfilant des râpées et se prenant des bugnes, on l'invita à prendre la parole.

Son hôtesse lui fit discrètement un signe pour qu'il se débarrassât des pellicules qui éclaircissaient les épaulettes de son costume sombre et du sucre en poudre qui constellait ses dents. À moins qu'il ne s'agît du bicarbonate qu'il avait pris pour ne pas refouler du râtelier.

Il avait préparé pour l'occasion une sornette. En d'autres termes, une grosse bouse qu'il prenait pour des sonnets. Je vous ferai grâce de vous reproduire sa lamentable poésie. Il est bien plus intéressant de s'attarder sur les réactions hilares de ces fous d'Appelous.

À vrai dire, ils en perdirent leur latin et en tombèrent gaga, le patois du Forez. Mademoiselle Poiplume, anorexique boulimique notoire, ne prit même pas la peine de se faire discrète pour vomir son fiel. Monsieur Michedur, le boulanger, lui colla un pain. Le garagiste, Renaud Sixtroène, péta une durite et fit même tourner un joint de culasse.

Depuis, Grégoire s'est fait pâtre. Il déclame des vers, solitaire, avec pour seul public un troupeau de chèvres. Biquette, sa plus fidèle compagne, lui a fait découvrir les plaisirs interdits, après avoir mâché le beau costume De Fourresac de son maître qui, lui, rumine dans sa barbe ses illusions perdues.

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