Iris

nyckie-alause

idem…

Volant quelques heures à la journée, Iris l'avait convaincu qu'ils devraient se retrouver au parc, sur le même banc, à onze heures trente. « Le même banc, vous vous souviendrez? »

Comment aurait-il pu en être autrement alors que ses pensées n'étaient depuis leur rencontre qu'occupées par le souvenir de la peau de ses bras dénudés, la tendreté apparente de son cou, la carnation de son visage et l'ourlé de ses lèvres. Aussi arriva-t-il en avance pour profiter de ses derniers instants d'homme solitaire et présager du plaisir de la voir apparaitre dans l'allée. 

Il croit la reconnaitre au loin mais il n'est pas très sûr. L'hésitation le tend au bord du banc dans un élan rompu par une hésitation. Il croise ses main sur ses genoux durcis, baisse les yeux, et pour lui donner le temps il compte. Il compte les pas qui la sépare encore, les instants qui s'égrènent scandés par le crissement des graviers sous ses chaussures, cette sorte de son qui hésite entre une création de l'esprit et une réalité oscillante, mêlé à la rumeur de la vie alentour.

Quand enfin il la regarde la tension que ses muscles ont emmagasinée le propulse en avant si rapidement qu'elle a un petit mouvement de recul, surprise. 

Il la trouve différente. Il n'a pensé qu'à elle depuis leur unique et brève rencontre, à sa peau qu'il n'a pas touché, à la fermeture de sa robe constituée d'une rangée de petits boutons serrés comme des larmes, aux deux boutons du haut qui laissaient entrevoir un triangle d'épaule inespéré. De loin, ils peuvent sembler intime mais le contact qu'ils échangent dans ce serrement de main est extrêmement conventionnel. Elle est différente. Son vêtement déjà ne dévoile de son corps que ses mains qu'elle a douces et fraîches et son visage. Ses tempes transparentes battent la mesure du sang qui gonfle un petit vaisseau sinueux, comme de petits éclairs qui viennent rehausser la lumière de son regard. Une tacite invitation à s'asseoir et d'un geste rapide l'homme passe la main sur l'assise du banc pour en chasser quelques poussières ou feuilles d'arbres malencontreusement égarées.

La tenue d'Iris aujourd'hui est composé d'un pantalon et d'une tunique fendue à col montant et manches larges, un de ces ensembles d'inspiration asiatique qui suggère le corps plus qu'il ne le souligne. Il ne peut manquer d'apercevoir ce triangle de peau laiteuse qui se dévoile dans la fente de la tunique juste au-dessus de la ceinture du pantalon, un espoir, une promesse. « Iris » dit-elle pour le cas où il aurait oublié. « Louis » répond-il, avant de répéter « Louis » d'une façon un peu martiale. Puis ne s'en suivent que chuchotements et rires légers avant qu'ils ne se lèvent et partent. A chacun de leur pas ils sont plus proches. Quand ils arrivent à la grille du parc la main de Louis s'est glissée sur le bras d'Iris sous l'étoffe de la manche ample comme une invitation.

Elle prend l'initiative en levant le bras pour faire signe au taxi qui descend l'avenue. Très haut le bras, tant que la manche glisse dévoilant le creux sombre de son aisselle, que Louis ne voit pas.


Il donne son adresse. Ils auraient pu s'y rendre à pied, ce n'est pas si loin. Mais ils s'enlacent sur la banquette, chose qu'ils n'auraient pas osé faire dans la rue. Ils se serrent l'un contre l'autre sans se dévoiler, vêtement contre vêtement, étoffe contre étoffe. Une promesse de peau contre peau qui les laisse frémissants et particulièrement attentifs. Puis il y a des absences, des trous dans le déroulement de l'action. 

Ils étaient dans un taxi et les voici dans le vestibule comme électrisés par le claquement de la porte qui vient de se refermer. Isolés du monde extérieur. Tout ce qui peut être abandonné sans encore se dévêtir l'est sur la commode, les clefs, le sac à main, le foulard, la montre. Les chaussures délaissées aussi, en vrac, sur le tapis. Les pieds nus prennent un malin plaisir au contact chaud et rugueux de la laine. 

Louis et Iris ne se dévoileront qu'une fois la porte de la chambre refermée. Il caressera cette peau comme on découvre une île après avoir nagé trop longtemps. Le sable s'enroulera autour de lui à la dernière vague. Il sera séché, consolé, restauré par son contact. Il remontera la plage tiédie jusqu'à la lisière de la forêt. Il explorera les lieux jusqu'à la source claire où se désaltérer. Il caressera des galets que le soleil n'a plus besoin de réchauffer. Il y aura des musiques et des parfums musqués. Il y aura des ombres où se cacher, des éblouissements, des pièges, des cris d'animaux, des froissements végétaux, des glissements soudains rompus, des échappées.

Il y aura le Monde.

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