IRONIE DU SORT

Hervé Lénervé

On me dit que mes contes sont immoraux. Je m’inscris en faux, ils sont simplement d’un atavisme immémorial.

Nous avions embarqué, tous les passagers étaient maintenant assis à leurs places et nous écoutions distraitement les consignes de sécurité avant le décollage imminent. C'était un long courrier, plus d'une dizaine d'heures de vol, selon les forces des vents, pour se rendre en Amérique Centrale, au Costa-Rica plus précisément. Un voyage organisé par le Comité d'Entreprise de la Société dans laquelle travaille mon père. J'ai douze ans et je n'aime pas l'avion, je n'ai pas peur de voler, à proprement parlé, je n'aime pas ça, c'est tout, pourtant dans l'excitation du voyage, j'étais énervée comme une puce et mon appréhension n'était qu'au second plan de mes préoccupations. Devant était assis un collègue de mon père qui chuchotait avec sa femme et pour ce que je captais de leur conversation, il s'agissait d'un choix difficile à prendre. Le mari insistait pour continuer le voyage, la femme, angoissée, tentait de l'en dissuader pendant qu'il était encore temps. Ils venaient de recevoir un appel, les informant que leur jeune garçon, gardé par un parent, avait quarante degrés de fièvre. Mes parents écoutaient également, sans trop  en avoir l'air, les échanges. Je le voyais à leur concentration, par moment ils se chuchotaient, eux aussi, des phrases que je ne comprenais pas. Je ne compris pas non plus l'argument décisif qu'avait dû trouver l'épouse du Monsieur, mais le fait était qu'il se leva précipitamment en appelant une hôtesse. Il lui expliqua succinctement leur situation et leur désir de quitter l'avion, l'hôtesse accéléra le mouvement et tous les passagers et surtout ceux du même voyage virent leur collègue partir, en laissant par-ci, par-là quelques informations en explication. « Ouais ! Une affaire familiale, rien de grave, je vous appellerai. Ouais ! Ouais ! Pas de problème. » Enfin des phrases à la con, car s'il n'y avait eu aucun problème, je ne vois pas pourquoi ils auraient renoncé in extremis à un tel voyage.

Au faite, j'ai oublié de mentionner que je suis une fille, Julie, je m'appelle et mon entourage me trouve pas mal mignonne, ce que je partage avec eux du reste, c'est vrai, je ne suis pas modeste et je m'aime bien aussi, voilà c'est dit.

Bref, quand le couple fut définitivement descendu, qu'on leur ait restitué leurs bagages de la soute et raccompagné loin du tarmac. Un sombre pressentiment me saisit à la gorge et moi, qui n'ait pas peur de l'avion, à proprement parlé, je fus prise d'une peur panique avant le décollage. C'était évident, nous allions nous cracher et tous ces inconscients attendaient placidement leur mort, en lisant, en discutant ou en ne faisant rien du tout. Tous les films catastrophes commençaient sur ce même principe, ceux qui évitaient de justesse une mort imminente en se croyant défavorisés par rapport à ceux qui allaient partir mourir. Je ne voulais pas être le mouton que l'on mène à l'abattoir et je suppliais mon père, ma mère de faire comme ce couple qui venait de sauver sa peau. Ils essayèrent par tous les moyens de me rassurer, de me calmer, mais cela ne me rassurait en rien, j'étais la seule à être lucide dans cette avion de mort. Ils finirent, après bien des hésitations, par me donner un tranquillisant, un somnifère, qu'ils se réservaient pour passer tout ce temps à attendre. Et je sombrais, avant le décollage dans un sommeil cotonneux et peuplé de drames. Moi si jeune, j'allais partir sans rien avoir connu de la vie, sans premier émoi, sans aucun grand amour, si ce n'était que la tendresse de mes parents et quelques tentatives maladroites de séduction de la part de timides compagnons de classe. J'avais à peine soufflé ma douzième bougie. J'allais partir sans la conscience de quitter ce Monde. La belle mort certes, s'endormir le soir pour se réveiller mort le matin. Mais moi je ne voulais pas mourir, cette mort-là, c'est bien pour les vieux qui ont fait leur vie et qui n'ont plus que la déchéance pour perspective.

 

Le croiriez-vous, L'avion se posa sur la piste de l'aéroport Juan-Santamaria de Saint José, sans aucun incident de vol, même pas le moindre voyant défectueux, dans la cabine de pilotage, même pas la moindre zone de turbulences à traverser. J'avais dormi pendant tout le parcours et je me réveillais vivante, mon cœur n'en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles. Je revenais abrutie par le cachet, mais transportée d'une joie mystique, une allégresse magique. Magique le séjour le fut. Tout m'enchantait dans ce pays, les forêts primaires, des papillons bleus, symbole du Costa-Rica, gros comme des oiseaux, de mignons coatis se déplaçant à la queue leu leu, leurs queues dressées conne des « I ». Tout m'enchantait dans ce gentil pays, j'étais émerveillée par le séjour qui fut cependant assombrit en son milieu, par un coup de téléphone au responsable du voyage.

Le couple qui avait précipitamment quitté l'avion, dans sa précipitation, le père du garçon malade, en oublia la prudence et brûla un feu rouge pour être précipité par un poids lourd contre une façade d'immeuble. Ils périrent, tous les deux, sur le coup et ne devaient jamais arriver au chevet de leur enfant, dont la fièvre était subitement tombée et jouait, comme si de rien n'était, avec ses jeux électroniques.

Le groupe de touristes fut profondément affecté par ce drame. Moi-même, j'y pensais pendant un temps, puis le merveilleux repris le dessus et je balayais ses tristes pensées philosophiques sur la fragilité de l'existence et les mauvais coups du sort, appelons cela le destin puisqu'il faut bien dire quelque chose, là où, il n'y a certainement rien à dire. Puis comme, on est égoïste à douze ans et que je n'allais, quand même, pas gâcher mes vacances par des réflexions morbides, je me dis :

« Bien fait pour eux, ça leur apprendra à me filer une frayeur pareille. »

FIN

  • "Destination finale" à l’envers ! J'ai bien aimé passk'y a pas besoin de réfléchir :o)))

    · Il y a environ 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Ça fait du bien une histoire simple !:o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Toutafé ! En fait j'ai horreur de me prendre la tête avec des trucs tordus.

      · Il y a environ 5 ans ·
      Gaston

      daniel-m

    • Moi, j'aime assez écrire des trucs tordus. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Oui, mais toi t'es accessible ;o)

      · Il y a environ 5 ans ·
      Gaston

      daniel-m

    • Eh, je ne suis pas un homme facile ! Ha, ha, ha!

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Belle mayonnaise de mise en bouche avec du Walerian Borowczyck (ça cartonne au Scrabble) du destination fatale, du petit Nicolas et parachevé à la sauce énervée. :)

    · Il y a environ 5 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

  • excellente histoire

    · Il y a environ 5 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Super clin d'oeil aux destinées.

    · Il y a environ 5 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

  • Dès qu'on parle de vols, on ne compte plus les lignes !

    · Il y a environ 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • Sur les longs courriers pour passer une bonne nuit, deux Gins toniques, un somnifère et une belle voisine. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Je constate une très nette amélioration de l'élève Hervé, dans la qualité de son orthographe, et une longueur de texte plus à même de faire un tri parmi les paresseux congénitaux du site :)
    14 sur 20

    · Il y a environ 5 ans ·
    275629861 5656871610996312 6495493694404836520 n

    Mario Pippo

    • Je n'aime pas publier des textes si longs, car comme tout un chacun, je n'ai pas la journée pour lire ceux des autres. ;o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • je partage le regard de Sir Edgar, mais je ne note pas, Chacun écrit pour son plaisir et le plaisir ne se note pas ne croyez-vous pas, Sir Edgar ... Et si je coche un coeur c'est pour signifier un bonjour ou un clin d'oeil fraternel ...

      · Il y a environ 5 ans ·
      Lune 08

      scribleruss

    • Le dernier qui m'a mis une mauvaise note, on l'a retrouvé au fond de ma piscine. j'ai dit à la police qu'il avait glissé en venant me cambrioler :)

      · Il y a environ 5 ans ·
      275629861 5656871610996312 6495493694404836520 n

      Mario Pippo

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