J'ai 10 ans

moboci

Souvenir d'enfance

J'AI DIX ANS

J'ai dix ans et je regarde mes parents qui regardent leur pays caché par l'horizon.

J'ai dix ans, et je vois mon père pleurer, il a perdu son père, mort là-bas derrière l'horizon.

J'ai dix ans, mes parents me regardent écrire en français, cette langue qu'ils n'ont jamais parlée.

J'ai dix ans et je baisse les yeux sur les Français qui se moquent de mon nom.

J'ai dix ans, j'apprends à ma mère à lire les chiffres crayonnés sur les ardoises des vendeurs du marché.

J'ai dix ans, j'habite dans le quartier gitan, j'ai une amie gitane qui respecte mon identité. Je chante avec elle et je m'exprime dans sa langue chanson.

J'ai dix ans, et j'écris des lettres ou les mots sont les larmes de ma mère qu'elle me cache par d'interminables bonjours et embrassades que je dois bien consigner pour ceux du pays car comme elle disait : « chacun son nom, alors bonjour à sidi machin, tu lui diras que… » Tout le village y passé.

J'ai dix ans, j'ai quelques lettres à mon actif, secrétaire est mon premier métier.

J'ai dix ans, je n'arrive pas à dormir, les yeux grands ouverts et j'entends murmurer mes parents dans leur chambre.

Ma mère : bien, je crois que l'on va attendre encore.

Mon père : un peu pour rentrer au pays. ..

C'était ma première nuit blanche. J'ai voulu tendre une main vers ma mer, vers mon père, vers la mère, mais le bateau n'est plus jamais revenu. Je voulais me lever, les rejoindre pour leur dire que je rêvais de ce pays derrière l'horizon, ce pays qui les faisait pleurer de l'avoir quitté. J'ai dix ans et je veux le bonheur de mes parents. J'ouvre la porte de leur chambre, en fait, j'imagine le faire.

Je dis : maman, papa, je veux rentrer chez nous, car aujourd'hui, à l'école, on m'a traitait de sale bougnoule et pourtant j'ai chanté la Marseillaise.

Mais j'ai fui dans la nuit dans ma tente lit couverture refuge, toujours, les yeux ouverts sans rien dire.

Et je n'ai rien dit pendant dix fois dix ans, c'était il y a longtemps chante une gitane et je ferme les yeux pour enfin m'endormir pour enfin m'effacer derrière l'horizon.

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