Je dois le faire. Pour guérir

le-maitre-de-la-mort

Réécriture d'un ancien texte qui me tiens à cœur.

Voilà déjà cinq ans que mon accident a eu lieu. J'ai sauvé un enfant, mais je n'ai pas réussi à sauver mes jambes. Le prix était élevé mais mon instinct ne m'a pas laissé le choix. Maintenant deux prothèses finissent mes jambes.

                Mes longues années de funambulisme m'ont permis de marcher seul assez rapidement. La première année je me baladais avec des béquilles, la deuxième année j'avais une canne comme Docteur House. Voulant m'en débarrasser le plus vite possible, je me baladais dans l'hôpital toute les nuits pour m'améliorer.

Bien que mes amis soit au courant, aucun d'eux n'avait vu mes prothèses. Pour moi il était hors de question qu'ils me voient découpée de la sorte. Ils avaient compris mon choix et l'avais respectée.

Dieu merci.

Samedi soir, Emma nous avait invitée chez elle. Habitant dans une belle et grande maison, avec une piscine, tout le monde en profita pleinement. Evidemment moi, je restai tranquillement sur le bord, allongé sur mon transat, une bière à la main, habillée seulement d'un pantalon en lin noir. La nuit commençant à s'installer, ils sortirent de l'eau pour se rhabiller.

Voilà des années que je ne m'étais plus baigner.

Les verres se vidant proportionnellement aux heures, mon esprit se libéra, je me sentais bien avec eux. Les jeux d'alcool s'enchaînèrent mais la fatigue nous terrassa. Fermant les yeux, je posais mes jambes sur la table pour me reposai un moment. Les doux murmures des conversations me bercèrent doucement. Une question attira toutes mon attention :

- Tu crois qu'ils nous en voudraient ?

- Arrête Aurélien, il ne veut pas qu'on le voit avec ça.

- Il est toujours en pantalon, il fait 35 degré à l'ombre, ça le débloquera.

- Non, il doit le faire de lui-même.

- Il est entrain de dormir, il ne le remarquera pas, moi je le fais.

- N'y pense même pas, répliquais-je, cinglant.

Je réouvris les yeux en replaçant mes jambes à l'abri sous la table.

- Vous connaissez mon histoire et je pensais que vous aviez compris. Je ne veux pas qu'on me résume à mon handicap. Vous cacher mes jambes me permet de rester normal à vos yeux.

- Bien sur que non, même si on te voit avec tes prothèses, tu seras toujours le même pour nous.

- Vraiment ? Quand tu vois une personne en fauteuil roulant, tu le vois de la même façon qu'une personne valide.

Un silence gêné s'installa. Cependant, mon psychologue m'avait encouragé à me dévoiler. Cela m'aiderait à m'accepter.

- Écoutez. Je veux vous les montrez, vraiment. Mais c'est très dur. J'ai perdu beaucoup de chose avec mon accident. Donc promettez moi que ce que je vais vous montrer reste entre nous.

Après une approbation générale, Emma me proposa d'aller dans sa chambre et de sortir quand je serais prêt. La remerciant, je fermai sa porte à clé, m'assit sur son lit, seul. C'était la première fois que des personnes, autres que ma famille, me verrait « au naturel ».

 Me dévoiler ainsi est une véritable angoisse, j'avais tellement peur d'être jugée. Mon psy me disait sans cesse que pour m'accepter il fallait que je m'assume.

Donc pas le choix.

Les mains tremblantes, je déboutonnais mon pantalon en lin. Bien que je fasse ce geste tous les jours, aujourd'hui il avait une autre valeur. Je fis glisser doucement le tissu sur mes hanches et cuisses, le passa sur mes genoux, mais buta sur mes emboitures de prothèse. Tant qu'elles étaient cachées, je pouvais faire semblant d'être normal.

Mais ce n'est pas vrai, je ne suis pas normal.

En fermant les yeux, je quittai mon pantalon. Plus pour m'occuper et gagner du temps qu'autre chose, je pliai et le repliai le pantalon avant de le ranger. En face de moi, les portes du placard sont en miroir. Je me regardai timidement.

Moitié homme, moitié coupé.

Quelqu'un toqua à la porte. J'entendis Camille de l'autre côté du battant.

- ça va, tu es ici depuis un moment ?

- Oui oui, ça va, c'est plus dur que ce que je pensais c'est tout.

Un bref silence.

- Camille, tu peux fermer les yeux s'il te plait.

- C'est fait

Sa voix était tendue, elle sentait que j'étais prêt à tous arrêter. J'ouvris la porte, passa un bras pour attraper le sien et la guider à l'intérieur. Je l'assis sur le lit et me mit debout devant elle, tendus. La température chuta d'un coup dans la pièce, la chair de poule me piquait la peau. Rouge comme une pivoine, je lui murmurai qu'elle pouvait ouvrir les yeux.

Je n'osai pas la regardais. J'écoutai ce qui m'entourais. Son souffle, calme et régulier, le miens, accélérais et saccadée, les murmures venant du salon, puis le grincement du lit, ses bras m'enlacèrent, la chaleur de son corps, son parfum, ses larmes mêlées aux miennes. Elle n'essaya pas de me réconforter, de me dire qu'elle comprenait ou toutes ces conneries.

Elle était là et ça me suffisait largement.

- Aller, viens, me dit-elle tendrement.

Elle avait raison, je dois arriver, je dois le faire, pour guérir, pour avancer

Pour m'accepter. Enfin.

Je me dirigeai vers la porte, la main au-dessus de la poignet, je ne trouvais pas la force de l'ouvrir. Je sentis les doigts de Camille passer et s'entremêler entre les miens.

Je devais le faire. Je vais le faire.

Je l'ai fait.

Grâce à elle.

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