Je m’appelle Iris. J’ai 31 ans. Je suis une menteuse.

poulpita

Je m’appelle Iris. J’ai 31 ans. Je suis une menteuse. Je suis là, attablée au grand air. Les alouettes tracent au dessus de ma tête un espiègle ruban. Les yeux plissés par un bonheur feint, j’acquiesce, j’encourage, je m’exclame. Je dis, oui, bien sûr. Je pense, non. Je regarde les passantes, qui s’aventurent devant notre table joyeuse. Je pense, tiens, c’est la mode des grosses, moulées dans des robes vulgaires, des joggings en velours. J’observe leurs maris. Sourires tranchants, cerveaux minuscules. Je frissonne de dégoût.

Je m’appelle Iris. J’ai 31 ans. Je suis le guide rassurant et silencieux d’une tribu. Je montre le chemin, je fais grandir les uns, je console les autres… Qu’ils crèvent tous. Je suis une menteuse. J’ai mes raisons. Mes blessures. Mes couteaux dans le dos. Mes humiliations glaciales. Mes flèches plantées dans le cœur. J’ai eu ma dose. Il dit qu’il aime le satin de ma peau. Je pose souvent mes doigts sur sa nuque, doucement. Je rêve de la briser. Je lui réponds que je l’aime depuis toujours. Pour l’éternité. Ma bouche ment. Mes mains vieillissent, ne veulent plus faire et refaire.

Je m’appelle Iris. J’ai 31 ans. Je suis là et ailleurs. Surtout ailleurs. Dans le souvenir délicieux d’un naufrage lointain. Je serre parfois mes enfants dans mes bras, ça les apaise. Je ris discrètement aux mots fins, aux évocations, je sers du vin, du rouge, cher, je trinque, mais je ne bois pas. Je cours après les moments de solitude. Je mordrais celui qui perturbe mes rêveries sous la voûte blanche du cerisier, celui qui m’empêche de savourer le craquement de la mousse sèche sous mes pas.

Je m’appelle Iris. J’ai 31 ans. Je suis une menteuse. Je déteste ma vie.

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