Je n'attends que toi

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Le cliquetis des chaînes scellant ses chevilles tintaient au rythme lent de ses pas désabusés. Pour en arriver là, il a dû braver des blizzards, glaçant ses membres jusqu’à ce que son cerveau oublie la sensation de froid et de douleur. Il a dû traverser des déserts, jusqu’à ce que son cerveau oublie la sensation de fraternité et de douceur. Il a dû voguer les sept mers, à bord de son misérable radeau, jusqu’à ce que son cerveau oublie la chaleur du monde et de ses couleurs.
Couvert de poussière, il a repoussé les limites de son corps. Toujours plus loin, criant toujours plus fort.  Le poids de ses pêchés plus lourd à porter, faisant chaque jour plus dur à supporter.
Depuis tout petit déjà, il peinait à avancer. Un mécanisme trop dur à assimiler. Il n’était pas de ceux pour qui ce n’était qu’un simple reflex. Pour cet homme il s’agissait de bien plus que cela. Il s’agissait toujours de plus.
Il s’est donné corps et âme dans chacun de ses combats. Pour vivre. Pour aimer. Il s’est casser l’crâne à vouloir bien faire, à vouloir satisfaire toute personne importante. Il s’est casser l’crâne. Au sens propre et figuré. Un nombre incalculable de fois il a retapissé les murs avec ses viscères des ruelles sombres dans lesquelles il errait.
C’est l’amour qui l’a excédé. Chaque histoire, chaque regard, chaque espoir. Rien de plus qu’un coup de cutter dans l’cœur. Dans ses veines, un torrent de haine. Les organes se tordant de mal. Se frottant au Mal. L’esprit commença a sombré très tôt. Mais cela n’est pas une mauvaise chose.
L’ombre, le noir, les abysses. Un gouffre immense dans lequel il a su trouvé une place. Bien confortable. Entouré de cauchemars lugubres. Un univers qui collait à la perfection à ses pensées désunies.
A trop s’être donner, il connaît désormais la préciosité des valeurs que les autres souillent de par leur ignorance et leur naïveté.
Le cliquetis de ses chaînes résonne. Un son faisant partie de son quotidien. Un bruit qui agresse doucement ses tympans. Même s’il se fond dans la masse de voix qui retentissent à longueur de temps, il n’en est pas moins bénin et présent. Il ne s’en rend pas encore compte pour le moment. Mais je l’ai vu. Dans son regard perçant. J’ai vu ses os rongés. J’ai vu la lumière ternir. Il est temps pour lui d’en prendre compte et d’agir.
C’est à ce moment que j’interviens. Brave, bien que peureuse, mais décidée à faire bouger les choses. Je n’ai pas de remède miracle contre l’acide râle du métal sur sa peau blême. Je n’ai que la maladroitesse d’esprit de croire que je peux lui être utile.
Le plus fou, c’est de savoir mes propres chaînes ne sont toujours pas dissoutes, et qu’elles me dévorent comme des monstres affamés mais insatiables. Pourtant je me sens obligée de faire quelque chose. Un simple geste. Bien que minime. Il faut que je puisse l’aider.
Lui tendre la main.
Les mots n’étant pas mon fort, j’espère que nous saurons nous en passer. Un unique regard, lui présentant ma main, paume vers le ciel, devrait suffire.
Non. Cela doit suffire. C’est mon unique chance. Mon unique occasion de lui montrer qu’il n’est pas seul à s’être perdu dans l’immensité du monde.
Je suis dans le même cas. À quelques millénaires de son corps. À quelques centimètres de son esprit.
Après avoir essuyé toutes mes larmes, j’ai rencontré cet homme blessé. Et je suis assez prête pour lui chuchoter qu’il est maintenant sous mon aile fragile et abîmée.
J’ai désormais pour but d’essuyer les gouttes de sueur qui pointeront sur son front. Rien ne doit déranger sa course. Rien ne doit le pousser à être sans cesse dans la retenue du don de soi. Il a des choses à donner. À partager. Et je suis là pour l’y aider.
Je dois le forcer à retourner vers la surface. C’est de cette seule manière que j’y arriverais à mon tour.
Je lui montre le chemin à prendre, je lui ouvre la voie, et il m’y emmène.
C’est aussi simple que cela.

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